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PÉCHÉ ORIGINEL. LE JANSÉNISME
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Ce pessimisme consiste à affirmer que, du fait du péché originel, qui s’identifie en l’homme déchu avec la concupiscence, la nature est corrompue jusque dans ses racines les plus profondes, à tel point que sa volonté est toujours sous l’empire de l’une ou l’autre délectation victorieuse, ou bien la délectation charnelle qui impose à l’homme le péché, ou bien la délectation céleste qui lui assure le triomphe sur le mal. La liberté actuelle ne peut consister que dans l’exemption de toute coaction.

2° Élimination successive des éléments hétérodoxes de l’augustinisme janséniste. — 1. Condamnation des cinq propositions. — Home, en condamnant les cinq propositions en 1653, ne vise point en elle-même la doctrine de Jansénius sur le péché originel, mais l’atteint cependant dans ses conséquences exagérées touchant l’infirmité de notre nature déchue.

Baïus avait prétendu qu’on ne peut, à l’exemple de Pelage, expliquer l’axiome : « Dieu ne commande à l’homme rien d’impossible », à moins qu’on n’eût égard au secours divin, par lequel Dieu rend possible à ses saints ce qui, depuis la chute, est devenu impossible aux forces humaines. Cette proposition est équivalemment condamnée. Denzinger, n. 1054. En conséquence, la première proposition de Jansénius : « Certains commandements de Dieu sont impossibles à des hommes justes, selon les forces qu’ils ont présentement, bien qu’ils aient la volonté et qu’ils s’efforcent de les accomplir ; il leur manque aussi la grâce qui les rendrait possibles », devait être rejetée comme téméraire, impie, blasphématoire, digne d’anathème et hérétique.

Baïus avait affirmé que la « violence seule répugnait à la liberté naturelle de l’homme ». Denz., n. 1066. Il préludait ainsi à la 3e proposition de Jansénius : « Pour mériter et démériter dans l’état de nature déchue, l’homme n’a pas besoin de la liberté qui exclut la nécessité, mais il suffit qu’il ait celle qui exclut la contrainte. » Cette proposition fut condamnée comme hérétique.

De même la 3e proposition : « Dans l’état de nature déchue, on ne résiste jamais à la grâce intérieure », était déclarée hérétique et condamnée comme telle. L’Église voulait sauvegarder, par là, dans la nature déchue, une véritable liberté. Voir art. Jansénius, col. 479-491. L’on atteignait ainsi les principales erreurs contenues dans VAugustinus sur ce point.

Cependant VAugustinus renferme encore des exagérations que le jansénisme va développer avec Quesnel et ses disciples, aux xviie et xviiie siècles, et qui sont signalées dans l’art. Jansénius, col. 496-500. On peut reprocher à Jansénius de s’être attaché trop exclusivement à l’autorité de saint Augustin, d’avoir ainsi méconnu les progrès accomplis par la théologie et le dogme depuis le v c siècle. « Il s’est trouvé amené à défendre, sans aucune réserve, des thèses avancées parlois un peu rapidement par l’évêque d’Hippone, soit dans l’enthousiasme de certaines découvertes faites par lui (Qwvstiones ad Simplicianum, 1. I), soit dans le feu des discussions avec les pélagiens. Alignées par Jansénius suivant toute la rigueur de la méthode scolastique, ces thèses font parfois, en théologie moderne, l’effet d’erreurs formelles » ; elles ont pour objet soit l’identification du péché originel avec la concupiscence, soit l’ignorance invincible, soit l’état de nature pure et de nature intègre, soit le salut des infidèles, soit le péché originel comme cause de la réprobation positive, soit, enfin, le sort des enfants morts sans baptême. Bref, le jansénisme apparaît, dans l’ensemble de sa doctrine, comme l’achèvement du baïanisme ; il se présente toutefois avec plus de prudence dans l’expression que celui-ci, surtout en ce qui concerne les points traités par le concile de Trente ; il s’inspire cependant du même esprit, et mérite, du point de vue de l’ortho doxie, le même jugement : son rigorisme ne devait point seulement être soutenu, comme celui de Baïus, dans des thèses scolaires : il allait inspirer la piété chrétienne. C’est ainsi que la conception janséniste de l’homme déchu allait pénétrer bien des âmes, déprécier à leurs yeux la mystique, généraliser une spiritualité rigoriste, maintenir les esprits fervents dans les austérités d’un ascétisme pur qui ne fait peut-être pas toujours droit aux légitimes exigences de la nature. Sur la réaction de l’augustinisme janséniste contre le molinisme et l’humanisme dévot, voir Pourrat. op. cit., t. iv, p. 14-28, 319-333.

2. Condamnation des propositions de Paschase Quesnel (1713). - - (l’est une spiritualité imbue de l’esprit janséniste que l’on retrouve dans les Réflexions morales de Quesnel, publiées en 1691. La doctrine de Baïus. condamnée par Pie V, sur le péché originel et ses suites, sur la liberté dans l’état de nature tombée y est équivalemment renouvelée. Aussi, la constitution Unigenitus du pape Clément XI, du 8 septembre 1713. allait-elle de nouveau la condamner.

Une vingtaine d’années auparavant, le pape Alexandre VIII avait opportunément rappelé, en condamnant des propositions jansénistes, l’attitude de l’Église dans la question de l’autorité de saint Augustin, toujours mise en avant par les hérétiques ; il avait rejeté cette proposition : « Si quelqu’un trouve qu’une chu trine est clairement fondée dans Augustin, il peut la défendre et l’enseigner absolument, sans égard à aucune bulle du souverain pontife. » Denz., n. 132°. C’est donc l’Église qui juge les doctrines d’Augustin ; jamais l’évêque d’Hippone n’a pu prétendre imposer toutes ses opinions à l’Église.

Une fois de plus. Clément XI usait de l’autorité de l’Église pour rejeter certaines propositions que l’auteur pensait, sans doute, abriter sous le patronage de saint Augustin. C’est ainsi qu’y était condamnée l’idée baïaniste selon laquelle la grâce d’Adam rentrait dans les exigences de sa nature. Prop. n. 35, Denz., n. 1385 : « La grâce d’Adam était la conséquence de la création et était due à une nature saine et intègre. On y écartait de nouveau les thèses rigoristes sur la corruption totale de la nature humaine par le péché el sur l’impuissance absolue du libre arbitre dans l’ordre moral ; Prop. n. 38 : « Le pécheur n’est pas libre, sinon pour le mal, sans la grâce du Sauveur » ; n. 39 : La volonté que la grâce n’a pas prévenue n’a aucune lumière, sinon pour errer, aucune ardeur, sinon pour se précipiter dans le mal. aucune force, sinon pour se blesser ; elle est capable de tout mal, incapable de tout bien > ; n. 41 : « Nulle connaissance de Dieu même naturelle, même chez les philosophes païens, ne peut venir de nul autre sinon de Dieu lui-même, et sans la grâce elle ne produit que présomption, vanité, opposition à Dieu, au lieu de sentiments d’adoration, de gratitude et d’amour » ; n. 44 : « Il n’y a que deux amours d’où naissent toutes nos volontés et tous nos amours : l’amour de Dieu qui fait tout pour Dieu, et que Dieu rémunère, et l’amour que nous avons pour nous-mêmes et pour le monde, qui ne rapporte pas à Dieu ce qui doit lui être rapporté et qui. pour cela, est mauvais : n. 59 : « La prière des impies est un nouveau péché cl ce que Dieu leur concède est un nouveau jugement porté contre eux. »

3. Dernière condamnation du pessimisme janséniste par la bulle « Auclorem fidei » (28 août 1794). — Les doctrines jansénistes s’étaient infiltrées en Italie et particulièrement à l’université de Pavie. Elles reçurent, en quelque sorte, une promulgation en 1786, au fameux synode de Pistoie. présidé par l’évêque de cette ville. Scipion Ricci. Le synode renouvelait les erreurs de Baïus. Jansénius et Quesnel sur le caractère naturel et normal de l’état d’innocence, sur la corrup-