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PÉCHÉ ORIGINEL. ERREURS DE BAIUS


péché originel est constituée par la privation du privilège qui procurait la rectitude de la volonté en Adam, à savoir la grâce sancti liante. En nous rendant celle-ci, le baptême fait disparaître le péché originel, et nous reconstitue dans ce qu’il y a d’essentiel à la justice primitive.

Cette explication de D. Soto devait avoir un vaste retentissement dans la théologie postérieure. Successivement, Bellarmin, Suarez, les Salmanticenses, un grand nombre de théologiens contemporains identifieront la justice primitive avec le privilège qui la conditionne et définiront de ce chef le péché originel par la privation de la grâce sanctifiante.

Soto, qui avait assisté au concile de Trente, reconnaît lui-même que son explication ne s’identifie point avec la pensée du concile : Nihil censuit quidnam sil originale, sed sub lile inler doctores reliquit. Elle interprète sans doute les données du concile sur le péché originel et le baptême, beaucoup mieux et plus simplement que la théorie de Pighius et de Catharin. Il reste qu’en fait, quoi qu’il en pense, elle ne s’identifie pas de tout point avec la pensée de saint Thomas ; c’est une opinion théologique qui ne s’impose pas nécessairement à l’exclusion des autres. Elle est aujourd’hui plus discutée qu’il y a vingt ans.

Pour ce qui concerne les conséquences du péché originel, D. Soto affirmait nettement que la chute s’est bornée à nous enleverdes privilèges gratuits. Ibid., 1. 1, c. xiii, p. 42 sq.

II. Nouvelles précisions doctrinales en face de l’erreur baianiste. — 1° La doctrine de Baïus sur le péché originel. — 2° Signification doctrinale de la condamnation portée contre elle (col. 535).

I. IDÉE GÉNÉRALE DE LA DOCTRINE DE BAIUS SUR

le péché originel. — 1° Ses présupposés. — L’ensemble de la doctrine de Baïus et l’opposition que l’Église lui a faite ayant été suffisamment étudiée ici, art. Baïus, il suffira de rappeler le concept baianiste du péché originel, de montrer les précisions doctrinales que l’Église a été amenée à ajouter à sa doctrine traditionnelle en rejetant ce concept, de dire enfin comment ces précisions ne sont point en divergence avec cette même doctrine.

Bien des causes qui agissaient au xvr 3 siècle sur un certain nombre d’esprits et qui agiront encore plus au xviie siècle, expliquent la doctrine et la méthode du professeur de Louvain : le souci de se mettre sur le terrain positif des réformateurs dans l’espoir de les ramener à l’unité de la foi, ensuite le dédain de la philosophie et particulièrement de la tradition scolastique, surtout le culte exclusif de saint Augustin, la prétention de l’interpréter en passant par-dessus l’exégèse, plus ou moins fidèle, et la mise au point qu’en avaient faite les docteurs de l’École, enfin, une affinité élective vers les aspects les plus durs et les plus sombres de cette pensée.en ce qui concerne les faiblesses de la nature humaine. Voir F.-X. Jansen, S. J., Baïus et le baïanisme, dans Muséum Lessianum, 1927, p. 127-138. Voilà ce qui va faire du baïanisme, dans la longue histoire de l’augustinisme, « l’épisode radical se déroulant intra Ecclesiam et en dehors de toute pensée de rupture avec elle. Comme le jansénisme qui achèvera de préciser ses visées doctrinales, il fut un essai pour imposer à l’Église, sous le patronage de saint Augustin, une conception sévère et sombre du christianisme qui tend à décourager l’effort humain en grossissant à plaisir les suites fâcheuses du péché originel et à annihiler la nature devant la grâce. » Ibid.. p. 137.

A la base de la conception baïanisLe se trouve un jugement erroné sur l’homme normal ; on l’a signalé ici : « Le vrai point de départ du théologien lovaniste se trouve dans sa conception optimiste de l’état

normal de la créature raisonnable qui a pour pendant naturel sa conception pessimiste de la nature tombée. Art. Baïus* col. 46.

D’après son optimisme radical, il faut compter, parmi les exigences imprescriptibles de la nature humaine, non seulement cette harmonie, cet achèvement que Dieu lui a donnés en lui octroyant ce que nous appelons les dons préternaturels, mais encore la possession du Saint-Esprit pour lui communiquer la vie religieuse. Certes, ces dons ne constituent pas l’essence de l’homme, ils ne découlent pas de sa constitution : ils sont exigés cependant par sa vocation naturelle. On ne conçoit point celui-ci, il ne peut être en son état normal, comme il convient, exempt de tout mal, sans être tel que Dieu l’a créé. Comme le dit un récent interprète de sa pensée, H. de Lubac, Deux augustiniens fourvoyés : Baïus et Jansénius, dans Recherches de science religieuse, octobre 1931, p. 430, « Baïus naturalise le surnaturel ». Il ne peut concevoir la possibilité de ce que nous appelons l’état de nature pure, c’est-à-dire d’une condition de l’homme où il serait dépourvu de tout don de grâce et exempt de la souillure originelle, et, par le fait, strictement réduit aux éléments de réalité par lesquels nous le définissons en tant qu’homme. C’est qu’il définit l’homme autrement que nous ; faisant de la situation historique du premier homme la situation de droit de l’homme normal, il n’y a de concevable pour lui comme nature pure de l’homme que celle que Dieu a historiquement réalisée. L’idée d’une éthique purement naturelle, d’un bien honnête purement naturel, d’une religion naturelle, au sens où l’entend saint Thomas dans la II a -II*. lui est inconcevable. Voir dans Opéra Baii, édition de dom Gerberon, Cologne, 1696 : De prima hominis justifia, c. i, Quod primi hominis rectitudo non fuerit sine inhabitante Spirilu Sancto, p. 49-52 ; c. iv, Quod primée creationis integritas non fuerit indebita naturse humanx exaltatio, sed naturalis ejus condilio, -p. 55-56 ; c. vi, Quod vera justifia fuerit primo homini naturalis, p. 57 ; c. VIII, Quod ii qui philosophiam sequuntur non recte sentiunt de prima constitutione naiuræ humanse, p. 59-60, et c. xi : Quod non oporteat ea qux naturalia dicuntur, semper ex internis principiis esse exorla, p. 62-63. Cf. De virtutibus impiorum, p. 63-73.

Les propositions condamnées, 21, 26, 55, 78, résument bien le sens général, sinon la lettre même, des conceptions de Baïus : « L’élévation de la nature humaine à la participation de la nature divine était due à l’intégrité de la condition primitive ; elle doit donc être considérée comme naturelle, et non comme surnaturelle. » — « L’intégrité de l’état primitif ne fut pas une élévation gratuite de la nature humaine, mais sa condition naturelle. » — « Dieu n’aurait pu créer l’homme à l’origine tel qu’il naît maintenant. — « L’immortalité du premier homme n’était pas un bienfait de la grâce, mais sa condition naturelle.

Un optimisme si radical sur l’idéal de l’homme normal entraîne logiquement un pessimisme outré touchant l’estimation de la nature de l’homme déchu tel qu’elle est aujourd’hui.

La nature et les conséquences du péché originel.


1. Xaturc de ce péché.

Ce n’est pas la privation de la grâce sanctifiante : c’est un acte vicieux et désordonné, ou plutôt une disposition habituelle vicieuse, endormie chez l’enfant, mais apte, dès que la raisin s’éveille, à se déployer en actes mauvais. C’est la i cupiscence, dont Augustin a dit et répété qu’elle était remise au baptême dans sa culpabilité, mais qu’elle restait en son activité. De pecc. originis, c. ii, p. 3-1.

Le vice héréditaire pénètre toute l’activité de l’homme : dans l’esprit, c’est une ignorance de Dieu qui nous empêche positivement de le connaître ; dans la volonté, c’est une malice qui nous empêche de l’ai-