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PÉCIIK ORIGINEL. LE DÉBUT DU XIV* SIÈCLE


du péché originel ; loin de négliger l’apport de la tradition grecque, elle l’utilisait en s’inspirant des principes du pseudo-Denys sur le péché, pure privation. Sagement progressive, elle faisait valoir, touchant la notion de culpabilité, l’essence et les suites du péché originel, des vues plus optimistes qui, dans l’ensemble, allaient tôt ou tard s’imposer. Mais elle devait cependant, tout d’abord, trouver des contradicteurs : à droite, les augustiniens continuateurs de Pierre Lombard et de saint Bonaventure : à gauche, des esprits de tendance rationalisante qui, sous prétexte de mieux expliquer ou de diminuer le mystère du péché originel, en méconnaissaient l’aspect de culpabilité et revenaient plus ou moins aux idées d’Abélard. La fin du xiii et le xive siècle vont être une époque de controverses et de discussions où la théologie anselmo-thomiste aura d’abord à se défendre. Mais elle va faire des conquêtes aussi : ce sont ses principes qui inspirent, dans l’ensemble, les théologies scotiste et nominaliste. Cependant, jusqu’à la veille du concile de Trente, surtout dans la famille des religieux augustins, continue à se développer le vieux courant augustinien du xiie et du xme siècle.

1° Le courant augustinien aux XIIIe et XIVe siècles. — Ce courant est représenté surtout par Henri de Gand, Matthieu d’Aquasparta, Pierre Auriol, Grégoire de Rimini.

1. Henri de Gand.

Archidiacre de Tournai, il professait comme maître en théologie à Paris, de 1276 à 1292 environ. C’est dans ses Quodlibeta, le premier, de Noël 1276, le second, de Noël 1277, et le cinquième, de 1280, que l’on trouve exposées ses idées. "Voir ces textes dans R. Martin, O. P., La controverse sur le péché originel au début du xive siècle. Textes inédits, = Spicit. sacr. Lovan., fasc. 10, Louvain, 1930.

a) Mode de transmission du péché. — - Le Quodlibef, I, s’oppose à la thèse générale et aux conclusions de saint Thomas sur le mode de transmission du péché originel. ia-II 88, q. lxxxi, a. 4. Selon ce dernier, « ceux-là seuls contractent le péché originel qui descendent du premier homme par les éléments actifs de la génération originellement dérivés de lui… Or, si quelqu’un était simplement formé de la chair humaine par une vertu divine, il est manifeste que ce ne serait pas par une force active dérivant d’Adam. Aussi, cet homme ne contracterait pas le péché originel. Pas plus que la main n’aurait part au péché de la personne humaine si cette main était mise en mouvement non par la volonté de la personne, mais par une force extérieure. » Pour Henri de Gand, ce n’est point en vertu du semen générateur, par la motion de la génération, motione generationis per virtutem activam in generatione (il cite ici, sans le nommer, saint Thomas, q. lxxxi, a. 4) que nous contractons la corruption de notre nature, voir Quodl., 1, q. xxi, op. cit., p. 6, 1. 5-10 ; c’est du fait de l’existence dans la matière corporelle, soit dans le semen générateur, soit dans un autre élément matériel de cette substance, d’une affection morbide, quxdam infectio morbosa existens in semine, p. 5, 1. 27 ; p. 6, 1. 3, 6 ; propter dispositionem morbosam naturæ, p. 7, 1. 10-81. Cette affection morbide agit par contagion à la façon d’une lèpre, et par l’infection du corps ainsi touché fait contracter à l’âme le péché originel. Ainsi, quelle que soit la manière dont la nature humaine ainsi infectée est communiquée, soit par la voie ordinaire de la génération naturelle, soit miraculeusement par la mère seule entachée de cette infection, soit par voie extraordinaire où, par exemple, l’enfant est formé d’un membre quelconque, du pied ou de la main (I) d’un individu de la race humaine, le péché originel est contracté. Le Christ est soustrait au péché originel du fait que la substance dont il a été formé a été purifiée de l’infec tion originelle dans le sein de la vierge Marie, lbid., p. 7-8.

b) Nature du péché. — La tache ainsi contractée par une affection morbide de la chair entraîne dans la chair un véritable péché et non seulement une peine. Quodl., II, q. xi : Ulrum parvuti a parenlibus contrahant aliquam culpam ? Ibid., p. 9-11.

Du fait de l’union de l’àme avec un corps infecté, par une telle affection, naît une inclination forte au péché. C’est en cette mauvaise disposition que consiste la raison formelle de toute culpabilité aussi bien originelle qu’actuelle : In ipsa(connexione cum carne) slatim pronitatem ad consentiendum carni in peccatum concepit ; quo parvulus statim aptus eral ad concupiscendum et faclus adullus actu concupiscerel. Et talis dispositio pronilatis ad peccatum nonnisi culpa est. In ea enim consislit ratio formalis omnis culpæ tam actualis quam originalis. Ibid., p. 10, 1. 14-18.

Le péché originel a sa cause dans l’acte de volonté d’Adam, in quo eramus omnes malerialiter, mais il a son siège dans la volonté de l’enfant où la volonté du premier père imprime son empreinte. Ibid., p. 11, 1. 5-10.

c) Peine. — Enfin la tache originelle étant un vrai péché mérite d’être, chez l’enfant, punie par Dieu, en tant que le péché de celui-ci est, d’une certaine façon, par dérivation, le péché du premier père.

A la question : Ulrum filius possit a Deo puniri pro peccato patris, Quodl., V, q. xxxv, p. Il et 12, Henri de Gand répond en effet que, si le fils est puni pour le péché du père, c’est seulement parce que le péché de celui-ci appartient en propre, d’une certaine façon, à celui-là par naturelle propagation. « Tous sont punis pour le péché du premier père, parce que tous étaient en lui quand il pécha. Et la peine que chacun subit n’est pas tant pour le péché d’autrui (Adam) que pour le sien propre. » Ibid., p. 12, 1. 9-16.

En résumé, la doctrine du Docteur solennel est d’inspiration augustinienne, apparentée à celle de Pierre Lombard et opposée à celle de saint Thomas. Sans doute, notre auteur ne définit point ici expressément le péché originel. Mais on peut dégager la notion qu’il s’en fait de l’ensemble de son exposé : le péché originel suppose, transmise par Adam et ses descendants, une affection morbide de la chair qui entraîne dans l’âme à laquelle elle s’unit une culpabilité ; celle-ci a son siège dans la volonté et consiste formellement dans une inclination au péché : disposilio pronitatis ad peccatum, pronitas ad consentiendum carni in peccatum. C’est, à quelques nuances près, la notion reçue au xiie siècle.

2. Matthieu d’Aquasparta († 1302). — Disciple de saint Bonaventure, avant de devenir général de l’ordre franciscain, en 1287, il eut l’occasion aussi de critiquer les thèses thomistes, et de développer les idées de son maître sur le péché originel dans son ouvrage sur l’incarnation : Fr. Mallhœi ab Aquasparta, O. F. M. Quæsliones disputalæ selectæ, t. ii, Quæstiones de Christo, édit. de Quaracchi, 1914. Il le fit à Rome, entre 1281 et 1287, au moment où, à Paris et en Angleterre, s’avivaient les discussions entre thomistes et augustiniens.

En disciple de saint Bonaventure, Matthieu développe surtout la preuve expérimentale de l’existence d’une chute et de la transmission du péché originel : Hoc… ratio neccessaria manifestât et potest sumi ratio ex quatuor : ex parte Dei efficientis, ex parte humanx dignitatis, ex parte ordinis naturalis et exporte finis ; iste enim status sive isti defectus répugnant Deo auctori, répugnant humaine dignitati, répugnant ordini naturali, et répugnant fini. Quæst. de incarn., i, p. " Personne n’a dit plus nettement que lui que Dieu n’aurait pu créer l’homme avec les imperfections et