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PÉCHÉ ORIGINEL. SAINT THOMAS


chant désordonné aux choses de la chair, on parle plutôt des désordres de la chair, car, de même que, dans le bien, l’intelligence et la raison ont le rôle principal, de même, dans le mal, c’est la partie inférieure de l’âme qui se trouve au premier rang, parce qu’elle obscurcit la raison et l’attire. Voilà pourquoi nous disons que le péché originel est plutôt la concupiscence que l’ignorance, bien que l’ignorance soit aussi comprise dans ces défauts qui sont la matière du péché originel. Q. lxxxii, a. 3, ad 3um.

En résumé, conclut saint Thomas, le péché originel est formellement l’absence de justice originelle, matériellement la concupiscence. Ibid.

c) Conséquences de cette définition. — a. Égalité du péché originel chez tous. — Comme absence de justice originelle, il est une de ces privations absolues qui n’admettent pas de plus ni de moins. Comme rapport moral avec le principe premier de nos origines viciées, ce par. quoi il a le caractère de faute, en tous les membres de l’humanité, il n’admet pas davantage de plus ni de moins : il ne peut pas être plus chez l’un que chez l’autre. Q. lxxxii, a. 4. Si, le lien de la justice originelle étant brisé, les puissances s’en vont à leur propre mouvement avec plus ou moins d’impétuosité, ce fait provient non du péché originel qui suppose un égal abandon des puissances sensibles à elles-mêmes, mais bien d’une diversité dans la disposition de ces puissances. Ibid., ad lum ; q. lxxxv, a. 5, ad lum.

b. Siège du péché originel. — Dans quelle région de notre nature cette disposition mauvaise ainsi définie trouve-t-elle un siège ? Cela se déduit normalement du caractère moral et spirituel de la justice originelle et de son contraire : « Le siège de la vertu est le même que celui de son contraire, le vice ou le péché ; or, la chair ne peut pas être le siège de la vertu. Ce n’est donc pas la chair mais l’âme seulement qui peut être le siège du péché originel. » Q. lxxxiii, a. 1. Le péché originel a été dans Adam comme sa cause première et principale. Il est dans les membres du grand corps de l’humanité, c’est-à-dire dans les individus, là où ils peuvent recevoir l’empreinte du désordre moral de leur chef, dans la volonté et les parties inférieures capables d’avoir part à cette volonté : « Le péché originel ne peut avoir son siège que dans l’âme : la raison est que le péché originel se transmet de la volonté du premier père à la postérité par le mouvement de la génération, de la même manière que le péché actuel rejaillit de la volonté d’un individu sur les autres partics de sa personne capables d’avoir part au péché d’une manière quelconque : aussi, tout ce que le premier péché communique par sa motion d’attitude déréglée à l’âme, dans ses parties vraiment humaines, susceptibles de péché, se présente comme une faute ; mais ce qu’il communique a la chair ne se présente plus comme une faute, mais comme une peine. Par conséquent, <’est bien l’âme qui est le siège du péché originel, non la chair. y. lxxxiii, a. I

Dans quelle région de l’âme doit-on rechercher le pèche héréditaire : dans l’essence même ou dans les puissances ? C’est d’abord dans l’essence ; mais cel étal de la nature a son retentissement dans l’orienta lion des puissances, particulièrement dans ces puis saines spirituelles qui sont d’abord touchées pat l’absence de justice originelle. Dans l’infection originelle, il y a deux aspects a considérer, d’abord son inhérence a un sujet, ensuite son inclination a l’acte II faut donc qu’elle regarde avanl tout celle des facultés qui est la première dans l’inclination a pécher : la volonté 1 1 lxxxiii, a..’{.

C’est la le mai le plus grave, le plus profond, le

détournement de la fin surnaturelle ; il en est un autre

plus apparent, plus vivement ressenti dans le champ immédiat de la conscience, plus révélateur du constitU

UCT. DE THÉOL. CATHOL.

tif matériel du péché : c’est celui qui s’attache aux actes destinés à la génération : la concupiscence habituelle. Q. lxxxiii, a. 4 ; De malo, q. iv, a. 6, ad 16um et ad 18um.

d) Rapports entre péché originel et grâce. — La définition du péché originel par l’absence de justice originelle pose le problème des rapports du péché originel avec la grâce.

Il est certain que, pour saint Thomas, de même que la présence de la grâce sanctifiante est liée inséparablement, de fait, à la justice originelle, comme la cause à l’effet, sans être l’élément formel de cette justice, de même, la privation de la grâce n’est pas étrangère au péché originel ; elle a un lien nécessaire avec lui, sans en constituer l’essence.

La privation de la grâce sanctifiante appartient certainement à l’état de péché originel. Mais cet état implique à la fois un aspect coupable et un aspect pénal. Or, c’est plutôt à titre de peine, de conséquence du péché, que la privation de la grâce fait partie de l’état consécutif au péché d’origine. Telle est bien, semble-t-il, la doctrine qui ressort du De malo. q. iv. a. 2, et q. ii, a. 9. Aussi peut-on conclure sur ce point avec R. Bernard, op. cit., p. 346, que, pour saint Thomas, dans une nature, « le péché est formellement l’absence de droiture, qu’il s’agisse de la droiture qui fut accordée gratis à l’origine, ou de celle qu’elle peut avoir d’elle-même. La privation de grâce, la mort spirituelle qui s’ensuit, la condamnation à ne pas voir Dieu ne sont point l’essence mais la conséquence du péché. Il n’y a pas plus de raison de faire entrer ces éléments dans la définition du péché originel que dans celle du péché actuel. Cf. De malo, q. ii, a. 9, sol. 2, 6 ; q. iv, a. 1, sol. 14… Le péché (actuel) c’est un mal que nous nous faisons à nous-mêmes ; la privation de la grâce, c’est Dieu qui se retire, son amitié étant rendue impossible par notre faute. » A pari, le péché originel c’est un mal que le chef de la race induit par sa volonté dans ses membres et qui les constitue en état d’opposition avec Dieu ; la privation de la vie de la grâce ici-bas, la privation de la vie divine épanouie dans l’audelà en la vision de Dieu, c’est la conséquence de ce mal. La nature telle qu’elle s’est faite n’étant plus agréable à Dieu, celui-ci se retire avec ses dons, mais laisse la nature humaine à sa pauvreté essentielle, jusqu’au moment où, lui rendant son amitié avec ses dons, par la grâce du baptême, il détruit le lien moral de culpabilité qui unissait cette nature à Adam pour l’incorporer dans son Christ.

Cette doctrine, dans son ensemble, paraît très cohérente et très claire. Saint Thomas avait conscience sans aucun doute que cette manière de définir le péché originel, par l’absence de justice originelle et non par privation de grâce sanctifiante, exprimait bien la doctrine traditionnelle. Klle rassemblait certes, en une synthèse homogène, avec beaucoup de puissance, les différents cléments de la tradition que l’on trouve chez saint Augustin, saint Anselme. Alexandre de I laies et saint Bonav « nt ure. Kst ce à dire qu’elle ne laissait point place a de nouveaux approfondisse ments. a de nouvelles manières de s’exprimer, qui interpréteraient, elles aussi, la tradition, mettraient peut être mieux en relief cet élément d’absence île la Sanctifiante que renferme l’étal de péché et mu

lequel les < irecs ont part leulièremeni insist éî i, es t héo

logiens postérieurs le penseront et diront que l’essence

du péché originel est constituée, non par la privation

de la justice primitive considérée dans la rectitude de l.i Volonté et de la sensibilité, mais plutôt dans la pri ation du privilège qui était comme la racine de cette rectitude : la k’ràce sanct iliante

r) Valeur morale des premier » mouvement* de lu sensibilité, L’inclusion de la concupiscence comme

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