Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 12.1.djvu/247

Cette page n’a pas encore été corrigée
479
480
PÉCHÉ OIUGI.XKL SAINT THOMAS


b) C’est un état de péché qui, comme tout étal moral, appelle une relation essentielle à une volonté : il

ne s’agit point Ici (l’une relation a la volonté personnelle de celui qui contracte le péché originel par hérédité, mais d’une relation de ce membre de l’humanité avec la volonté du chef dont il reçoit l’empreinte. Voir I a -II" ([. LXXXI, a. 1 ; De molli, q. iv, a. 2.

<) C’est une habitude, une disposition mauvaise passée en nature, comme une maladie, une langueur de la nature. « Il est une certaine disposition désordonnée, provenant de la rupture de cette harmonie qu’était la justice originelle, de même que la maladie est une disposition déréglée du corps, laquelle détruit l’équilibre qu’est la santé. De là vient que le péché originel est appelé une langueur de la nature. » [a-Il », q. lxxxii, a. 1.

Aussi, « de même qu’une maladie du corps est à la fois une privation, la perte de l’équilibre de la santé, et quelque chose de positif, le mauvais état des humeurs, de même le péché originel comporte la privation de la justice originelle et avec cela le dérèglement des différentes parties de l’âme. Ce péché n’est donc pas une pure privation, mais une certaine mauvaise habitude. » Ibid., ad lum. Il faut écarter ici une confusion possible : du fait de la répétition des actes naît, dans une puissance, une habitude qui lui donne un penchant positif à l’acte. « Le péché originel, dit saint Thomas, ibid., ad 3um, n’est pas une habitude de cette sorte, bien qu’il entraîne après lui un penchant à des actes désordonnés. » L’entraînement qui existe en l’homme déchu à des mouvements déréglés naît de l’éloignement de la justice originelle qui contenait et réfrénait ces mouvements. On voit dans quel sens le péché originel est plus qu’une privation, une mauvaise habitude positive : ceci est vrai par rapport à l’état de la nature humaine concrète dans son institution. Mais, si l’on songe à la nature en ses éléments essentiels, il n’y a pas de perversion positive dans ses puissances : elles sont abandonnées à leur pauvreté constitutionnelle. Elles sont livrées à elles-mêmes comme le cheval impétueux dont les rênes se brisent : « Le grand lien spirituel qui contenait merveilleusement toute notre nature étant rompu, sans être proprement disposés à rien, nous sommes exposés à tout, comme un vin généreux qui s’écoule en tous sens, ou comme une fougueuse monture qui n’est plus gouvernée. » De malo, q. iv, a. 2 ; quest. i, sol. 4 ; De veritate, q. xxviii, a. 3, sol. 4. Cf. R. Bernard, op. « 7., p. 293.

En résumé, cette disposition désordonnée de la nature qu’est le péché originel, n’est ni une habitude infuse, ni une habitude acquise par l’acte, c’est une habitude ou une manière d’être innée qui nous vient par notre origine viciée. D-II 33, q. lxxxii, a. 1, ad 3um.

d) Plus précisément, cet état malheureux et coupable de la nature déchue se définit par opposition au merveilleux état dans lequel Dieu avait constitué l’homme primitif : c’est la privation volontaire de la justice originelle ; en d’autres termes, l’absence de justice originelle et le rapport de cette absence avec le péché du premier père de qui elle est déduite par le vice même des origines. Q. lxxxii, a. 4 ; q. lxxxi, a. 1, et a. 5, ad 2um.

2. Définition par opposition avec la justice primitive.

— a) Idée de la justice originelle. — La façon dont saint Thomas conçoit les éléments constitutifs de la justice originelle doit éclairer celle dont il entend la définition du péché originel.

Il n’y a pas de doute : il admet une liaison de fait entre la grâce sanctifiante et la rectitude de la nature ; la première est la racine, la source inséparable de la seconde. I a, q. c, a. 1, ad 2um. La justice originelle, à ce titre, contient la grâce sanctifiante comme sa cause effective. De malo, q. iv, a. 2, ad 17um ; q. v,

a. 1, ad l.’i 1 "". C’est pour maintenir d’une façon stable la soumission de la volonté a Dieu et lui rendre facile la poursuite de sa fin surnaturelle que la grâce sanctifiante lot octroyée de fait a l’âme en cet état de justice originelle. Ibid., et In II"’" Sent., dist. XXX, q. i, a. 1. La justice originelle a sa raison d’être dans la fin surnaturelle du genre humain.

Malgré cette liaison de fait inséparable que saint Thomas met entre la grâce sanctifiante et la justice originelle, il ne confond pas les deux choses, il ne les définit pas l’une par l’autre : « Il ne dit jamais, remarque J.-B. Kors, p. 139, que la rectitude du premier état consistait dans la possession de la grâce sanctifiante, mais bien qu’elle l’exigeait comme sa racine. » La justice originelle consiste essentiellement dans cette rectitude de la nature qui se manifeste d’abord et avant tout dans la facile soumission de la volonté à Dieu, et secondairement dans la soumission de la partie sensitive à la raison. La grâce sanctifiante en est bien la cause effective, en aucune manière la cause formelle. Ainsi appartient-elle, en fait, à l’état de justice originelle à titre de cause, qui seule peut établir la soumission habituelle et surnaturelle de la volonté à Dieu.

b) Analyse des éléments constitutifs du péché originel.

— Conséquemment à cette manière de voir, tout en reconnaissant que la chute entraîne la double perte de la rectitude de la nature et de la grâce, saint Thomas ne définit pas le péché par la privation de la grâce, qui est une conséquence de celui-ci, mais par la privation volontaire de la justice originelle qui constitue un état coupable des puissances morales de l’homme. C’est logique. Comme la rectitude morale originelle se manifeste d’abord et avant tout dans la soumission facile de la volonté à Dieu, et secondairement et par voie de conséquence, dans la subordination des sens à la volonté droite, de même la privation volontaire de cette justice affectera la nature dans ses parties véritablement humaines susceptibles du péché : d’abord la volonté, ensuite la sensualité : « Toute chose est déterminée spécifiquement par sa forme. Il faut donc que ce qu’il y a de formel dans le péché originel soit défini par cette cause. Mais, comme des choses opposées ont des causes opposées, il y a lieu de définir la cause du péché originel par celle de la justice originelle qui en est l’opposé. Or, tout le plan de la justice originelle tient à ceci que la volonté de l’homme était soumise à Dieu. Cette soumission se faisait avant tout et principalement par la volonté, parce que c’est à elle qu’il appartient de mouvoir à leur fin toutes les autres parties de l’âme ; aussi est-ce la volonté qui, en se détournant de Dieu, a amené le désordre dans tontes les autres facultés. Ainsi donc, la privation de cette justice par laquelle la volonté demeurait soumise à Dieu est ce qu’il y a de formel dans le péché originel ; tout autre désordre des facultés de l’âme se présente en ce péché comme élément matériel, comme une conséquence. » I a -II 1E, q. lxxxii, a. 3 ; q. lxxxiii, a. 2, ad 4um.

Adam, en nous transmettant une nature privée de la justice originelle, nous lègue une volonté désorientée parce que privée de la soumission et de la facile élévation vers Dieu, fin surnaturelle de notre être : voilà le formel du péché originel. Tout autre désordre ou déséquilibre qui naît de là dans les puissances inférieures, faites pour obéir à la raison suivant l’idéal de notre constitution, voilà ce qui constitue la partie matérielle de ce péché. C’est ainsi que l’ignorance et la concupiscence appartiennent aux parties secondaires du péché originel, comme (Ans le péché actuel l’attachement aux biens périssables constitue sa partie matérielle. Dans ces éléments matériels du péché où se compénètrent l’ignorance de l’esprit avec le pen-