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PECHE ORIGINEL. SAINT THOMAS


premier père, mais comment cet état originel les prédispose encore aux péchés actuels.

Le Contra gentes et le Compendium theologise mettent en valeur le grand contraste paulinien entre Adam et Jésus-Christ, et les rapports intimes qui rattachent la doctrine du péché originel à celle de l’incarnation rédemptrice.

Dans le De malo, à peu près contemporain de la partie morale de la Somme, et qui l’éclairé si bien en ce qui concerne le péché, on saisit sur le vif quelle place tient dans l’esprit de saint Thomas la doctrine du péché originel pour expliquer le mal moral dans le monde : « Il semble qu’après une vue générale du péché… saint Thomas ait eu hâte d’en venir à l’étude du péché originel, comme pour attester qu’il y voyait, tout ensemble, la grande cause universelle du mal qui sévit dans l’humanité, tant pour la faute que pour la peine, et l’une des formes les plus spéciales et les plus caractéristiques que puisse prendre le péché. » R. Bernard, op. cit., p. 325. La Somme étudie aussi le péché originel comme un cas de causalité mystérieuse du mal dans le monde. Le péché ne se propage pas seulement comme le voulait Pelage, par imitation spirituelle ; sous l’influence du chef de l’humanité, le péché se propage par origine charnelle : « Le moment est venu d’étudier la part de l’homme comme cause du péché. Or, bien que l’homme soit pour un autre homme une cause de péché du fait qu’il le lui suggère de l’extérieur, il a une certaine manière de porter le péché chez les autres qui est de le leur transmettre originellement : d’où le traité du péché originel. Et, par rapport à ce péché, il y a trois choses à considérer : sa transmission, son essence, son siège dans l’homme. » IMI 38, q. lxxxi, prologue, traduction de R. Bernard, p. 46.

Pour se faire une idée de la place que tient le péché originel dans la synthèse de saint Thomas, on fera bien aussi de consulter le De veritate, c. xxv, les Commentaires sur la sainte Écriture, Romains, c. v, leçon in ; / Cor., c. xv, leçon m ; les passages où il est traité des effets du baptême : IID, q. lxix, etc.

On pourrait, en suivant l’ordre chronologique de l’apparition des œuvres de saint Thomas, s’efforcer de mettre en relief les progrès de la pensée du Maître dans l’adaptation toujours plus adéquate de la doctrine spéciale du péché originel à l’esprit général du système et aux vérités fondamentales qui en sont le support. Le P. J.-B. Kors l’a fait avec beaucoup d’attention dans son livre cité, II’partie, p. 83-166. On s’appliquera plutôt à marquer ici les traits les plus saillants de la doctrine définitive de saint Thomas, ce par quoi il a largement influencé la théologie postérieure.

2° L’originalité < ! u point de pur thomiste. L’originalité de saint Thomas dans sa théologie de la justice primitive et du péché originel consiste à mettre merveilleusement en valeur des points de vue jadis entrevus par des Grecs comme Sévère d’Antioche et surtout le pseudo Denys. Le premier avait déjà eu la vision nette du concept de nature philosophique : aussi distinguait-il clairement, dans l’état de Justice primitive, les éléments qui constituaient la nature pure, et les dons gratuits qui venaient la perfectionner. Le second avait beaucoup insisté sur II privatif du mal et du péché, et il avait posé en principe que la nature, dans ses éléments constitutifs, ne peut être diminuée ni détruite par le péché. A l’école du pseudo I) : nys < Les noms divins), saint Thomas va méditei ces principes et leur faire produire Ions leurs fruits, h y sera aidé d’ailleurs pai les analyses philosophiques d’Aristote sur la nature humaine.

Tandis qui sain) Vugustin aimait à. regarder la nature concri te 1 1 historique, telle qu’elle est sortie des lutins de Mien, comme la vraie nature, commi la

nature normale, et tenait par conséquent ce qui est inférieur à la perfection primordiale, l’insubordination de la chair à l’esprit par exemple, comme un vice de la nature, saint Thomas va partir au contraire, la plupart du temps, dans ses analyses de la nature telle que la connaît la raison. Sa norme pour distinguer nature et grâce, ce que perd et ce que conserve l’homme après le péché, c’est la définition de ce que l’essence métaphysique de l’homme implique comme appartenant de droit à la nature. Ce n’est point que le philosophe oublie ici les données de la révélation : saint Thomas tient d’elle l’affirmation des privilèges de l’homme primitif ; mais, pour caractériser ces privilèges, il conjugue les données de la révélation et de la raison : la claire vue des exigences de la nature pure l’aide à concevoir le caractère gratuit des éléments qui viennent surélever et perfectionner cette nature. Comme la nature humaine, considérée dans ses éléments essentiels et ses exigences, ne peut être touchée par le péché, avant comme après le péché originel, il existe dans l’homme un élément de bonté essentielle que rien n’entame : c’est la nature pure telle que Dieu aurait pu la créer. Voilà d’un seul coup clarifiée la distinction entre naturel et surnaturel, et limitées, d’une façon précise, les conséquences du péché originel.

Dès le Commentaire des Sentences, saint Thomas raisonne ainsi : « L’homme a été ordonné par Dieu à une fin qui dépasse la puissance d’une nature créée. Cette fin est la béatitude qui consiste dans la vision de l’essence divine : elle est connaturelle à Dieu seul. C’est pourquoi, pour atteindre facilement sa fin, l’homme a dû recevoir, en plus de ce qu’exigeait sa constitution, certains privilèges surérogatoires. Comme il ne pouvait en effet s’attacher à Dieu, sa fin dernière, par amour, pour fixer en lui la partie suprême de l’âme, et écarter les obstacles qui la détournaient de lui, les forces inférieures furent soumises à la raison. » hi 7/um Sent., dist. XXX, q. i, a. 1. Dans le De malo, il précise le caractère des secours ajoutés aux principes essentiels de la nature en son état primitif pour lui donner sa rectitude : « Pour l’orienter vers la vision de Dieu, il fallait à cette nature, en plus de ses principes constitutifs, le secours divin qui est nécessaire à toute nature rationnelle : auxilium gratise gratum facientis et, en plus, un autre secours pour corriger les défauts qui viennent à la nature humaine de sa complexité : ratione su.se compositions. Hoc auxilium fuit originalis justitia. » De malo, q. v, a. 1 corp.

Ainsi, la justice originelle OU rectitude primitive est un don surajouté par la bonté de Dieu à la nature ; elle ne découle pas de ses principes constitutifs. A raison de la composition de ceux-ci, la nature, humaine doit être corruptible. En plus, il est naturel que l’appétit sensitif tende vers tout bien qui est délectable aux sens, fùt-il contraire à la raison ; enfin 1’'intelleclus possibilis, d’abord en puissance à l’égard des objets intelligibles, ne peut que s’élever lentement de l’ignorance à la connaissance de la vérité. Summacont, gent., I. IV. c. in : voir aussi De vrril.. q, XVIII, a. 2 corp.

Bref, si les défauts actuels de la nature humaine ont. de fait, un caractère pénal, celui d’une déchéance par rapport à l’état primitif, en eux mêmes ces défauts : mortalité, ignorance, concupiscence, sont d’abord la résultante naturelle des principes constitutifs de l’homme. La dominai ion complète des forces inférieures de la sensibilité par la raison, dépasse les

ces rationnelles de la nature ; s’il en était autrement, nous posséderions encore cette dominai Ion après la chu le de nos premiers parents : Manifestement, la soumission du corps a l’âme et des puissances Inférieures a la raison n’était pas naturelle : autrement, elle aurait survécu au péché puisque selon Denys, De d/p. nom., c. » « pari 1, lect, 19), les démons