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PÉCHÉ ORIGINEL. SAINT ANSELME


diiclles en Adam ; mais, avec Jean Scot, ils s’appuieronl sur l’idée que tous les hommes participent à une même nature réelle pour expliquer la transmission du péché originel.

II. Saint Anselme de Cantorbéry (ï 1109). — (Voir les art. Anselme, col. 1348 ; Luther, col. 1210, et Justice originelle, col. 2033-2034.)

D’une érudition moins vaste que l’Érigène, surtout en ce qui concerne la tradition grecque, saint Anselme a, beaucoup pi us que lui, le sens de la doctrine ecclésiastique. Il la connaît surtout à l’école d’Augustin. Disciple génial de l’évêque d’Hippone, il médite assidûment ses livres, en approfondit le sens, développe certaines de ses idées, en corrige certaines autres ; il l’interprète personnellement. En traitant de la chute, aussi bien qu’en se posant le pourquoi de la rédemption, il ouvre des voies nouvelles que suivront les grands scolastiques.

C’est en métaphysicien désireux de comprendre la foi que, tour à tour, il se pose les questions de l’origine, du mal moral, de l’essence, de la transmission et des suites du péché originel.

1° L’origine de la situation misérable de l’homme déchu. — Celle-ci ne peut tenir à la nature telle que Dieu l’a faite ; elle vient d’un abus du libre arbitre de l’homme.

On ne peut douter de l’intention divine : Dieu a fait l’homme raisonnable, capable d’arriver au bonheur par la justice dans l’amour parfait de Dieu. Cur Deus homo, t. II, c. l, P. L., t. clviii, col. 401.

Comme Dieu a dû créer Adam juste, parce que raisonnable, et écarter de lui toute dette aussi bien que toute incommodité, ainsi se devrait-il encore aujourd’hui, dans sa sagesse, s’il recréait directement un homme, de ne pas lui donner une moindre justice et un moindre bonheur qu’à Adam. De conceplu virginali, c. xiii, col. 448 : neeesse effet eum non minori præditum esse juslilia et beatitudine, quam fuit Adam, cum primum factus est. Il répugnerait à la sagesse de Dieu de faire mourir l’homme en dehors du cas d’un péché. Cur Deus homo, t. II, c. ii, col. 401. Si Anselme pense que la mortalité n’appartient pas à la nature pure, mais à la nature corrompue, ibid., c. xi, col. 410. son langage laisse aussi clairement entendre que la concupiscence n’a point de place dans une nature rationnelle normale : appetitus.., quia sunt in creaiura rationali, ubi non debent esse, dicuntur injusli. De concord. preesc. Dei, c. xiii, col. 538-540 ; De conc. virgin., c. ii, col. 434 ; De nuptiis consang., c. v, col. 559.

Saint Anselme, il faut bien le reconnaître, semble raisonner ici en dehors d’une conception nette de la distinction entre nature et surnature ; il part de la contemplation de l’idée de la sagesse divine pour affirmer que la nature humaine, dans la situation misérable où elle se trouve actuellement, ne peut être ainsi créée par Dieu : elle ne représente point l’idéal divin. Cf. Kors, op. cit., p. 28-29.

C’est la faute de l’homme qui, seule, explique les misères et les souillures qui nous accablent. Dieu lui avait conféré, avec la rectitude de la volonté, un libre arbitre, assez fort et assez droit, pour garder la justice. Par sa faute, il a abandonné cette justice qu’il pouvait garder, De concordia, c. xiii, col. 53’.*, et c. xi v, col. 540 : sed culpa hominis qui justifiant descruil, quam servare potuit.

L’essence du péché originel.

Saint Augustin

avait affirmé souvent que, dans les non baptisés, le péché originel c’était la concupiscence ; mais il avait dit non moins catégoriquement qu’après le baptême le péché originel était complètement détruit. Il savait que la concupiscence n’était péché que dans la mesure où elle soutenait une relation morale avec la faute d’Adam en qui tous ont péché ; cette relation morale

supprimée par le baptême, la concupiscence restait, mais seulement comme une peine de la faute primitive. Il y avait, dans ce langage, quelques obscurités : il prêtait à des simplifications, voire à des confusions, par exemple, à l’identification pure et simple de la concupiscence avec le péché originel. Des disciples de saint Augustin, soit avant, soit après saint Anselme, pensèrent que le maître avait enseigné cette identité et le suivirent. L’original mérite de saint Anselme lut de réagir contre cette identification en définissant le péché originel : « la privation de la justice que chaque homme doit posséder » : Hoc peccatum quod originale dico, aliud intelligere ncqueo in eisdem infantibus, nisi ipsam quam supra posui, faclam per inobedientiam Adæ justiiiæ débitée nuditalem per quam ornnes filii sunt irse. De conc. virg.. C. xxvii, col. 401.

Puisque tout péché est une injustice, et que le péché originel en est un. au sens propre du mot, il s’ensuit que ce péché est vraiment une injustice. De conc. virg., c. ni, ibid., col. 435. Or, l’injustice n’est rien d’autre que la privation, l’absence de la justice là où elle aurait dû se trouver. Étant donné que la justice primitive, comme toute justice d ailleurs, est la rectitude de la volonté gardée pour elle-même et doit se trouver dans la nature humaine raisonnable, le péché originel, ou injustice primitive, consistera dans l’absence ou privation de la justice dans l’âme d’Adam, où elle aurait dû se trouver. Ibid.. c. m. Abandonner librement cette rectitude de la volonté, voilà la faute originelle de la nature en Adam. De concept, virg., c. xxvii : Quoniam et naturam accusât sponlanea quam fecit in Adam justiiiæ desertio, col. 461.

Ce n’est donc point dans le domaine physiologique de la concupiscence qu’il faut aller chercher le constitutif intime, essentiel du péché originel, c’est dans le domaine psychologique de la volonté.

En effet, ce ne sont pas les appétits de la chair qui sont par eux-mêmes injustes. Il ne suffit pas de les sentir pour pécher ; il faut y consentir : Non enim hominem justum faciunt vel injustum senlientem ; sed injuslum lantum voluntate, cum non débet, consenlientem. .. ; quare non eos sentire, sed eis consentire. peccatum est (Anselme, le contexte le montre, parle ici seulement des baptisés). De concept, virg., c. iv, col. 437.

Par manière de preuve, il ajoute : « Si ces mouvements étaient injustes par eux-mêmes, chaque fois qu’on les sentirait, ils vous feraient injuste. D’ailleurs, quand les animaux sans raison les ressentent, on ne les dit pas injustes. Si ces mouvements étaient des péchés, ils disparaîtraient dans le baptême où tout péché est enlevé. Or, il n’en n’est pas ainsi : ce n’est donc pas dans leur essence que se trouve une injustice, mais dans la volonté rationnelle qui les veut d’une façon désordonnée. Ibid., col. 437.

C’est toujours à une relation morale de ces mouvements de la concupiscence avec la volonté qu’il faut penser lorsqu’on parle de faute : Nom etsi vitiosa concupiscentia gencratur infans, non lamen magis est in semine culpa quam est in sputo vel in sanguine, si quis mala voluntate exspu.it aul de sanguine suo aliquid emittit ; non enim spulum aut sanguis, sed mala volunlas arguitur. Ibid., c. vii, col. 441.

Saint Anselme ne contredit point cette thèse, lorsqu’il affirme que chez les non baptisés, le fait de sentir les mouvements de la concupiscence eux-mêmes est un péché grave : Et cum Paulus ait : - nihil damnationis est his qui sunt in Christo Jcsu, qui non secundum cornent ambulant », hoc est non voluntate consenliunt, sine dubio significat eos qui non sunt in Cliristo sequi damnationem, quoties sentiunt carnem. etiam si non secundum illam ambulant. De concord.. c. vii, col. 530.

Les mouvements de la concupiscence sont ici un péché, parce qu’ils se trouvent dans une nature ration-