Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 12.1.djvu/223

Cette page n’a pas encore été corrigée
431
432
PÉCHÉ ORIGINEL. L’OCCIDENT, JEAN SCOT


conséquences de son péché et que Dieu n’abandonna pas ; dans le même sens, un peu plus loin, l’on oppose notre désobéissance en Adam à l’obéissance du Christ. Nous sommes englobés dans le péché d’Adam ave< suites, comme nous le sommes dans la victoire du Christ. Noire solidarité morale en Adam comme dans le Christ est ici impliquée.

La volonté, celle de l’humanité, la nôtre, a été atteinte la première par le péché originel et a besoin d’elle restaurée dans le Christ. « Si c’est en voulant qu’Adam a fourni son consentement, si c’est en voulant qu’il a mangé, c’est donc que la volonté, la première, a été atteinte en nous. Si la volonté a soullert la première, et que le Christ ne l’ait pas prise, nous ne sommes pas libérés du péché. » III, xiv, col. 1041. « Par le péché d’Adam, notre volonté est dans le péché. Dans notre volonté il y a un dérèglement ; elle a été faussée en quelque sorte ; le désir de l’homme s’est détourné de Dieu et il le porte vers la matière. » II, xxx, col. 977. Ainsi, la nature déchue est non seulement malheureuse, mais pécheresse ; elle a besoin d’être purifiée. C’est pour nous purifier de cette souillure que le Christ est venu. Seul, lui, le Seigneur, n’a pas besoin de cette purification : « S’il s’est fait baptiser, ce n’est pas qu’il ait besoin du baptême pour se purifier, mais il s’appropria en quelque sorte notre purification, afin d’écraser les têtes du dragon dans l’eau, afin de détruire le péché, et d’ensevelir le vieil Adam tout entier dans l’eau. Le baptême est ici nettement mis en relation avec le péché d’Adam.

On peut se demander si, selon le Damascène, la Vierge comme les autres descendants d’Adam, n’eut pas besoin de purification. D’après lui, après le consentement qu’elle donna à l’ange, elle dut être purifiée : « Après le consentement de la Vierge, dit le saint docteur, le Saint-Esprit descendit sur elle pour la purifier, la rendre capable de recevoir la divinité du Verbe et lui donner la fécondité. » De fideorthod., III, ii, col. 985 ; cf. t. xevi, col. 704, où il est dit que l’Esprit la purifia, la sanctifia, la rendit féconde. Le sens de la purification dont il est question ici n’est pas, il est vrai, précisé. Quoi qu’il en soit, il reste de cet ensemble que la nature humaine maudite, pécheresse et malheureuse par le fait d’Adam, a besoin de purification. « C’est par la croix seule que la mort a été vaincue, que le péché a été détruit. »

Il est vrai que, dans le commentaire de l’épître aux Romains, Jean ne parle pas de la transmission de la souillure là où l’on s’attendrait à l’en entendre parler. Il traduit sans doute le ècp’cb de v, 12, en faisant rapporter le relatif ù> à Adam, per quem (Adamum), mais il ne voit pas le péché originel dans -rçu.apTov ; il commente ainsi ce verset : « Par la chute d’Adam, dit-il, tous sont devenus mortels, bien qu’ils n’aient pas tous mangé du fruit. » In Rom., v, 12, t. xcv, col. 477. De même, il entend le à[xapTwXoîdu ꝟ. 19 dans le sens de « sujets à la mort à cause du péché ». Ibid., col. 481.

A s’en tenir à ces textes, nous devrions ainsi à Adam notre sujétion à la mort seulement. Cette exégèse reproduit littéralement le commentaire de Jean Chrysostome sur ce point. Il ne faut point y chercher la pensée intégrale du Damascène sur la souillure originelle ; il n’est ici qu’un écho de l’exégèse du grand évêque de Constantinople. Il y a, d’ailleurs, dans ce commentaire des passages qui laissent entendre qu’Adam nous a transmis un péché que vient détruire le Christ. Un peu plus bas, parmi les bienfaits de la rédemption il compte non seulement l’exemption du supplice, mais la destruction du péché : « Nous avons été exemptés du supplice, nous avons dépouillé toute malice, xaxîocv7tôcaav, nous avons été régénérés et, ayant enseveli le vieil homme, nous sommes ressuscites,

nous avons été rachetés, guéris, élevés à l’adoption. En résumé, si le dernier des Pères grecs n’a point, sur l’ensemble de la question du péché originel, un langage aussi précis que celui des Pères latins, si l’on sent, à le lire, qu’il reste en dehors des préoccupations amenées en Occident par les luttes antipéjagiennes, il n’en est pas moins, dans l’Église grecque, un témoin de ces vérités qui lui sont communes avec l’Église latine. Par le lait du péché d’Adam, la nature est non seulement corrompue, déchue, mais pécheresse, T) à|i.ap-r/ ; aaaa xal neoovaa y.v.i çOapeîcra cpùaiç. Tous les hommes héritent de cette nature coupable et déchue. Le Christ seul, n’ayant pas cette nature souillée, n’a pas besoin de purification. Il s’est incarné pour purifier notre nature en détruisant, par son sacrifice sur la croix, non seulement la mort, mais encore le péché lui-même du premier Père, ainsi que tous les autres péchés qui sont issus de lui.

VI. LA SPÉCULATION THÉOLOGIQUE EN

OCCIDENT JUSQU’AU MILIEU DU XIIIe SIÈCLE.

— L’œuvre de Jean Scot ou Jean l’Érigène est le premier témoin, au début du Moyen Age, des préoccupations spéculatives et dialectiques qui vont animer désormais les théologiens dans leur exposé de la doctrine traditionnelle.

Saint Augustin et les autres Pères s’employaient avant tout, dans leurs commentaires, leurs homélies, ou leurs écrits de controverse, à mettre en relief les fondements scripturaires et traditionnels de la doctrine ; ils spéculaient et systématisaient dans la mesure seulement où cela leur était nécessaire pour défendre la foi reçue.

Les théologiens qui vont désormais se succéder, de Jean Scot à saint Thomas et de saint Thomas au concile de Trente, connaissent très certainement les données de la foi sur l’existence du péché originel et ses suites ; mais ils n’ont plus à les défendre : aussi, les présupposent-ils plus qu’ils ne les démontrent. Ils les prennent comme point de départ de leurs spéculations. Ce qu’ils veulent, avant tout, c’est interpréter et expliquer les données en développant leurs hautes convenances rationnelles. Ce qu’ils cherchent, en ce qui concerne le péché originel, c’est à expliquer moins son existence que son essence, moins le fait que la raison de sa transmission, moins le fait de ses conséquences fâcheuses que le caractère de celles-ci. Successivement, Jean Scot, saint Anselme, Guillaume de Champeaux, Pierre Abélard, Robert de Melun, saint Bernard, Hugues de Saint-Victor et son école, Pierre Lombard et les sententiaires, les sommistes avec Alexandre de Halès, vont scruter les différents apects de ce mystère et préparer ainsi la synthèse magistrale de saint Thomas. Tout ce travail va se faire en des mesures différentes sous l’influence de saint Augustin.

— I. Jean Scot. II. Saint Anselme (col. 435). III. La théologie dans l’École au xiie siècle (col. 441). IV. Les débuts du xme siècle (col. 458).

I. Jean Scot. Un essai audacieux de systématisation théologique au ixe siècle. — Jean Scot ou l’Érigène, maître de l’École du palais sous Charles le Chauve, entre 847 et 867 ( ?), fait naturellement une place centrale à l’homme dans sa vaste synthèse du De divisione naturæ où il décrit le double mouvement des êtres créés : la manière dont ils viennent de Dieu et celle dont ils y retournent. Voir l’art. Érigène, col. 417.

Centre de la création, en qui se rejoignent deux mondes, le sensible et le spirituel, l’homme est l’organené du retour des choses à Dieu. Cependant, par un abus de la liberté, la nature humaine est tombée en Adam : elle s’écarte ainsi à l’extrême de son premier principe et a besoin d’y être ramenée par le Verbe