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PÉCHÉ ORIGINEL. S. GRÉGOIRE LE GRAND


ces décisions : « Nous devons croire que, par le péché du premier homme, tout le libre arbil re a été tellement porté vers le mal et affaibli que, par la suite, personne ne peut aimer Dieu comme il le doit, ou croire en lui, ou faire le bien pour Dieu, si la grâce de la miséricorde divine ne le prévient… Nous croyons aussi qu’avec l’aide et la coopération du Christ, tous les baptisés peuvent et doivent, en vertu de la grâce reçue au baptême, accomplir tout ce qui est nécessaire au salut de l’âme, s’ils veulent fidèlement y travailler. » « Ce dernier point est d’une importance capitale, a-t-on dit à l’art. Augustin, t. i, col. 2527. Cela renferme à la fois la liberté, la grâce suffisante donnée à tous (les baptisés), même pour la persévérance finale. »

Cette doctrine des Pères du concile est bien dans la ligne du docteur d’Hippone, pour qui la volonté n’est jamais si libre que sous l’influence de la grâce du Christ.

La signification de ces textes est très importante : elle tient d’abord à leur origine. Ce ne sont point là seulement les définitions d’un concile provincial ; c’est après en avoir référé à Rome et reçu la réponse de Félix IV, conservant huit capitula parmi ceux que Césaire lui avait transmis et y ajoutant seize propositions extraites des Sententise de Prosper, que l’évêque d’Arles fit approuver ce projet un peu remanié par les Pères du concile. Une fois accepté et signé par les Pères, le 3 juillet 529, le document fut de nouveau soumis à Rome et reçut, de l’approbation doctrinale du Saint-Siège, une autorité définitive.

Après avoir rappelé l’erreur des adversaires qui attribuent la foi à la nature et non à la grâce, le pape Boniface II déclare que beaucoup de Pères et de saints, surtout saint Augustin, beaucoup de papes aussi ont affirmé que la foi vient de la grâce et n’est pas dans la puissance de la nature. Il se réjouit particulièrement que le concile ait eu le sens de la foi catholique, surtout parce qu’il a confessé que la foi nous vient d’une grâce prévenante. Bref, il déclare la profession de foi des Pères d’Orange : consentaneam catholicis Patrum regulis.

C’était ainsi, confirmée par l’autorité de Rome, l’élimination définitive du pélagianisme jusque dans les formes adoucies qu’il avait chez les « Marseillais » ; c’était, par le fait, le triomphe de l’augustinisme dans ses thèses essentielles : transmission par suite du péché d’Adam, non seulement de la mort corporelle, mais encore du péché ou mort de l’âme ; incapacité radicale pour le bien du libre arbitre laissé à lui-même, absolue souveraineté de Dieu et initiative de sa grâce dans l’œuvre du salut. Par ce triomphe, venait en sa pleine clarté, en des formules et un langage dogmatique précis, la doctrine paulinienne sur Adam, source de péché et de mort, et sur le Christ source de justification et de vie.

Cependant, tout en acceptant l’essentiel des vues d’Augustin sur les points controversés, l’Église ne faisait pas siennes toutes ses spéculations. Elle se taisait prudemment sur les points les plus vulnérables de son système, ("étaient, d’ailleurs, des points moins importants parce que plus personnels et moins traditionnels : malice de la concupiscence, transmission par elle du péché originel, masse pécheresse condamnée par le seul péché originel aux supplices éternels de la géhenne ; par le fait, condamnation des enfants morts sans baptême à des peines sensibles.

Ce qui était alors essentiel, c’était d’écarter la confusion entre les forces de la nature déchue et celles de la grâce. Pelage avait voulu faire de l’homme, par l’énergie de sa seule volonté, le véritable auteur de son salut ; les Marseillais avaient prétendu que le libre arbitre déchu pouvait du moins encore quelque chose dans l’ordre divin, au commencement de la foi. En face de

ces erreurs, il Fallait faire le bilan des incapacités de la nature au regard du salut.

Longtemps, l’Église se contentera des précisions acquises a Orange : le péché originel implique non seulement la mort corporelle, mais la mort héréditaire de l’âme ; il est plus qu’une vague déchéance, qu’un affaiblissement de la volonté : c’est un véritable état de culpabilité qui se transmet d’Adam à tous ses fils. Ces précisions seront reprises contre Abélard. Pro] Denz.-Bann., a. 376. Le concile de Trente les reproduira encore, sess. v, can. 2, ibid., n. 789, mais il devra les compléter pour répondre aux exagérations protestantes sur la corruption de la nature humaine. Il le fera avec une conscience plus nette de la distinction entre nature et surnature, avec un sentiment plus vif de ce qui reste encore, à côté des incapacités absolues du libre arbitre déchu pour le salut, de force à celui-ci pour accomplir quelque bien moral naturel.

Au regard du bilan des pertes, incapacités, faiblesses de l’homme déchu, il maintiendra celui de ses possibilités et activités restantes. C’est dire qu’il ne faut demander au concile d’Orange que ce qu’il a voulu définir touchant la situation actuelle de l’humanité déchue, à savoir : l’impuissance radicale de celle-ci à retrouver par elle seule ce qu’elle a perdu en Adam. C’est là un aspect important de la doctrine de l’Église sur le péché originel, ce n’est pas toute sa doctrine. Les décisions d’Orange appellent des compléments.

3° Saint Grégoire le Grand (590-604). — Disciple assidu de saint Augustin, saint Grégoire puise dans ses œuvres la connaissance traditionnelle de la nature déchue ; du système augustinien il retient beaucoup plus les éléments moraux et pratiques, que les aspects spéculatifs.

C’est dans le vaste répertoire de théologie morale et ascétique que sont les Moralia. qu’il faut aller chercher, enchâssés dans sa doctrine générale, les éléments principaux de son enseignement sur le péché originel ; c’est là que le Moyen Age viendra puiser, pendant longtemps, sa connaissance de l’homme déchu.

L’accord du disciple et du maître sur les points principaux de la doctrine traditionnelle du péché originel est indéniable. Le premier péché, dit-il avec saint Augustin, est une déchéance du libre arbitre de l’homme qui s’explique par la faiblesse humaine. Mur.. IV, ni, 8, P. L., t. lxxv, col. 642 : III. xiv, 26, col. 612. Adam abandonna l’amour de Dieu pour se replier sur lui-même et se tourner vers la chair, Mor., VIII, x. 19, col. 813 : il tomba dans l’aveuglement et la mort spirituelle, Mor., VIII, xxx, 49, col. 832 ; XI. xliii. 59, col. 979 ; IX, xxxiii, 50, col. 885. Cf. Mor., XII, vi, 9, col. 990 : Homo peccator moritur in culpa, nudatur a justifia, consumitur in pœna. L’homme perd ainsi la justice et tombe dans l’ignorance, la concupiscence et la mort.

Par Adam, tous les hommes sont devenus pécheurs. Mor., IV, xxvii, 53, col. 664. C’est par la concupiscence que se transmet le péché : Ipsa quippe propter delectationem carnis ejus conceplio immunditia est. Mor., XI, lii, 70, col. 986. Epist.. ix. 52. t. lxxvii, col. 990 : quia genus humanum in parente primo velut in radiée putruit, aridilatem traxit in ramis. Avec saint Augustin, entre le créatianisme et le traducianisme, Grégoire ne se prononcera pas. Ibid. Avec lui aussi il admet la condamnation des enfants morts sans baptême au feu de l’enfer : Perpctuaque lormenta percipiunt et qui nihil ex propria voluntate peccaoerunt Mor., IX. xxt. 32, col. 877 ; XV. li, 57, col. 111(1. Mais, ailleurs, il pose le principe de justice qui implique l’affirmation des limbes comme sanction du seul péché originel : le péché originel n’a pas les mêmes conséquences que le péché actuel. Aussi, les justes de l’ancienne Loi étaient retenus dans Yinfernus sui>erior. en