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377 PÉCHÉ ORIGINEL. S. AUGUSTIN AVANT LE PÉLAGIANISME 378

tin, que « Dieu juge que cela est nécessaire à la perfection de l’univers où les feuilles mêmes des arbres n’ont pas été créées en vain ». Et il ajoute : « Soyons sans crainte : il peut y avoir place pour une vie intermédiaire entre la vertu et le péché ; il peut y avoir une sentence intermédiaire du juge entre la récompense et le châtiment. » III, xxiii, 66, col. 1303-1304. On remarquera la ressemblance de cette solution avec celle de saint Grégoire de Nazianze, de saint Grégoire de Nysse, celle aussi de saint Ambroise et de l’Ambrosiaster : tout en reconnaissant que les enfants morts sans baptême sont exclus du ciel, ces Pères ne veulent point qu’ils soient passibles de la seconde mort, réservée seulement à ceux qui ont commis des péchés actuels. Pour ce qui concerne le sort des enfants baptisés qui meurent avant l’âge de raison, Augustin pense que c’est « une croyance pieuse, que la foi de ceux qui offrent ces enfants leur est utile ». III, xin, 67, col. 1304.

Reste à expliquer les souffrances imméritées de ces enfants ; il leur découvre un sens et une intention miséricordieuse : « Qui sait, dit-il, si ces petits ne recevront pas une récompense pour avoir souffert, sans avoir fait aucun bien, il est vrai, mais aussi sans avoir commis aucun péché ? » III, xxiii, 68, col. 1304.

Toutes ces vues concernant les enfants qui meurent prématurément paraîtront, il est vrai, insuffisantes à l’évêque d’Hippone. Dans une lettre écrite à saint Jérôme vers 415, il repoussera la justification des souffrances des enfants, telle qu’elle est donnée dans le De libero arbitrio, et en appellera au péché originel pour justifier ces souffrances. Epist., clxvi, 18-20, t. xxxiii, col. 728. De même, il écrira dans le De dono persev., xii, 30, t. xlv, col. 1010 : « C’est en vain qu’on veut me faire une loi de ce que j’ai enseigné, il y a si longtemps …Parce que j’ai eu alors un certain doute sur le sort des enfants qui meurent avant le baptême, qui m’empêchera de progresser, et m’obligera à rester dans le doute ? »

2. Le De libero arbitrio relève enfin la responsabilité que l’homme encourt quand le péché a perverti sa nature et a entraîné l’ignorance et la concupiscence.

Si ces deux misères étaient naturelles, elles excuseraient du péché, mais elles n’excusent pas, parce qu’elle sont, en fait, des peines du péché, et même d’une certaine façon des péchés. Et tamen per ignorantiam /acta quædam improbantur et corriyenda judicantur. .. Sunt etiam necessitate (acta improbanda, ubi uult homo recte facere et non potest. Hœc omnia sunt ex illa morlis damnatione venientium ; nam si non est isla pir.na hominis, sed natura, nulla ista peccata sunt. III, xviii, 51, col. 1295.

Et il ajoute, en distinguant le péché au sens absolu et qui suppose la libre volonté dans laquelle le premier homme a été créé — celui-là n’est que péché — et le péché qui est une conséquence pénale de ce premier péché : « Ce qu’on accomplit par ignorance, d’une manière déréglée, ou ce qu’on ne peut accomplir avec la perfection requise, contrairement à la volonté qu’on en a, cela mérite le nom de « péché », parce que c’est une suite du premier péché, accompli avec une entière liberté. Le premier péché a mérité ces conséquences. C’est ainsi, en clfet, que nous donnons le nom de langue non seulement au memhrc auquel il convient en toute propriété, mais encore aux mots ou paroles, à la prononciation desquelles ce membre concourt. De la même manière, nous appelons « péché non seulement celui qui provient d’une volonté éclairée et libre, auquel seul ce terme convient en toute propriété, mais encore tout ce qui en découle comme nécessairement en vertu d’une punition. » III, xix, 54, col. 1297.

Ainsi, les responsabilités de la nature déchue s’étendent d’une certaine façon à tout ce qui est fait

sous l’influence de l’ignorance pénale et de la concupiscence désordonnée, produite dans l’âme par le péché originel ; car tout cela est péché volontaire in causa par rapport au premier péché qui, lui, n’a pas été commis par ignorance ou sous l’influence de la concupiscence, mais accompli avec une entière liberté et une pleine conscience. Bref, l’ignorance et la difficulté n’excusent pas en tant qu’elles sont le fruit et le châtiment du péché ; elles excuseraient, si elles étaient naturelles à l’homme.

III. AUGUSTIN EN POSSESSION DE SA DOC.’RINE. —

En 397, comme il appert du Livre des quatre-vingt-trois questions, et plus encore de la fameuse Consultation à Simplicianus, Augustin se montre en possession de sa doctrine complète sur l’absolue gratuité de la grâce et l’impuissance totale de la nature déchue laissée à elle-même par rapport au salut. Il résume ses idées sur la chute dans la doctrine de la massa damnata. Quinze ans avant l’hérésie pélagienne, l’évêque d’Hippone s’établit ainsi sur les positions doctrinales qu’il tiendra durant le reste de sa vie.

Il a dit lui-même l’importance de ce traité et attribué à une révélation divine la doctrine qu’il contient. Dans les Rétractations, II, i, 1, t. xxxii, col. 629, il dira que les recherches qu’il a faites sur la puissance du libre arbitre furent alors consacrées par le triomphe de la grâce : in cujus questionis solutionc laboratum est quidem pro libero arbitrio voluntatis humanw ; sed vieil Dei gratia. Cf. art. Augustin, col. 2379. Ici, comme au jour de sa conversion, c’est la méditation de l’épître aux Romains qui produisit l’illumination décisive et l’éclaira non seulement sur sa douloureuse impuissance personnelle et sur le rôle tout-puissant de la grâce dans sa transformation intérieure, mais aussi sur l’impuissance universelle par rapport au salut de la massa damnata, et sur la nécessité d’un secours absolument gratuit pour tirer les élus de cette masse.

1° L’origine de la « massa damnata » se trouve non en Dieu, mais dans la transgression du premier homme.

Dans le De div. quæst. LXXX1II, q. lxviii, 3, t. xl, col. 71, Augustin affirme déjà : « Notre nature a péché dans le paradis… et c’est pourquoi nous sommes, devenus une masse de boue qui est une masse dépêché. » Et dans Y Ad Simplicianum, t. I, q. i, 11, col. 107 : « Ce n’est point là la première nature de l’homme, niais la conséquence de son délit. » Et plus loin : « Après la chute, tous les hommes ne formèrent plus qu’une masse infectée par le péché et condamnée à la mortalité, quoique Dieu n’eût créé que ce qui était bon. » Ibid., q. ii, 20, col. 125.

2° Résultats de l’appartenance à cette « massa damnata ». — L’appartenance à la massa damnata implique dans l’homme déchu non seulement un état de mortalité, I, q. i, 10, col. 106, un affaiblissement du libre arbitre, 1 1, col. 107, une lutte entre l’homme intérieur et la loi de péché, 13, col. 107, et M. col. 108, mais encore un état de péché.

C’est le sens du rejet d’Ésaû naissant : Dieu le rejette non comme homme — car toute créature humaine, en tant que telle, est bonne mais comme pécheur : ce que Dieu hait en lui, c’est le péché.

Le péché, c’est un désordre et une perversité dans l’homme, un acte par lequel il se détourne de son sou verain bien, le Créateur, pour s’attacher à la créature. Homme par l’institution de Dieu, Esaii est devenu pécheur par sa propre volonté (celle d’Adam participée). Sans doute Jacob naissant a été aimé de Dieu et pourtant il était pécheur à cause du triste héritage commun ; mais ce que Dieu aimait en lui ce n’était pas la faute, mais la grâce dont il l’avait doté. Mrcf, tout homme déchu comme ÊSflO sérail coupable, par son appartenance à la niasse de péché : la’différence qui