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PÉCHÉ ORIGINEL LE JUDAÏSME POSTÉRIEUR

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l’auteur appelle-t-il de ses prières le jour où le monde sera délivré des démons, i, 20 : « Crée, Seigneur, dans ton peuple, un esprit de justice et ne laisse point l’esprit de Béliar dominer sur lui, afin de l’accuser devant toi et lui tendre des pièges dans le sentier de justice, a(in qu’il disparaisse de devant ta face.

3. Les testaments des douze patriarches ont un fond juif qui remonte au I er siècle avant J.-C, mais ont été interpolés dans le sens chrétien à partir du iie siècle de notre ère. Cf. Lagrange, Revue biblique, 1908, p. 445 ; et surtout J.-B. Frey, Apocalypses apocryphes, dans le Supplément au Diction, de la Bible, t. i, col. 380383 ; J.-B. Colon, La conception du salut d’après les évangiles synoptiques, dans Revue des sciences religieuses, t. x, 1930, p. 382 sq.

Le testament de Lévi, particulièrement, nous offre une allusion directe, très substantielle, à la chute d’Adam et à ses conséquences, qui seront effacées par la venue du Roi-Messie, xviii, 9-10 : « Pendant son sacerdoce (du Messie) le péché prendra fin : les pécheurs (àvofi.01) cesseront de faire le mal ; il ouvrira les portes du paradis, il écartera le glaive tiré contre Adam ; il donnera aux saints à manger de l’arbre de vie, et l’esprit de sainteté reposera sur eux. Il enchaînera Béliar, et le Seigneur se réjouira dans ses enfants. .. et prendra plaisir dans ses bien-aimés pour toujours. »

Il n’y a pas de doute : le rôle attribué ici au Messie est un rôle de réparateur par rapport aux conséquences funestes de la faute d’Adam. C’est l’esquisse de la conception chrétienne de la chute et de sa réparation : Adam avait fermé par son péché les portes du paradis : il avait dressé contre lui et ses descendants le glaive des chérubins, barré le chemin de l’arbre de vie, perdu pour lui et ses descendants l’innocence originelle et la familiarité de Dieu. Le Messie lui ouvrira le paradis, fera tomber le glaive menaçant de l’ange, rendra aux hommes l’usage de l’arbre de vie, et surtout l’esprit de sainteté et la familiarité avec Dieu. « Mais, n’est-ce pas une théologie trop développée par rapport au judaïsme ? On ne saurait l’affirmer après avoir constaté, comme nous l’avons fait jusqu’ici, le caractère judaïque du morceau dans son ensemble. » J.-B. Colon, p. 386. S’il en est ainsi, nous aurions en ce texte la pensée juive la plus proche de celle de saint Paul, Rom., v. L’auteur aurait entrevu dans le Messie le restaurateur de l’homme dans l’état d’où Adam l’avait fait déchoir.

Si l’on maintient, malgré l’allure cependant bien juive de ce passage, l’idée d’une interpolation chrétienne, on devra faire de l’interpolateur un témoin de la tradition chrétienne touchant la doctrine du péché originel à son époque.

Reconnaissons d’ailleurs que, dans d’autres testaments, Ruben, v, 6 ; iv, 7 ; vi, 3 ; Nepht., iii, 5 ; Benj., m, 3 ; Sim., v, 3 ; Jud., xxv, 3, la diffusion du mal moral est mise en relation avec le péché des veilleurs et avec l’action continuelle des esprits mauvais dont Béliar est le chef ; l’emprise du démon y est ainsi fortement accentuée. Dans les testaments nous apparaît l’idée rabbinique de la bonne inclination à côté du penchant mauvais déjà connu. Ainsi Aser, 1, 3 : « Dieu a donné aux fds des hommes deux voies et deux inclinations. » Si l’on suit la bonne inclination, tous les actes de l’homme sont justes ; si l’on prend plaisir à suivre l’inclination mauvaise, tous les actes sont mauvais. Dans Nepht., 11, 1-5, l’inclination bonne ou mauvaise n’est pas mise en relation avec la faute d’Adam, mais avec la création elle-même de l’âme. « Car, comme le potier connaît le vase, sait combien il contient, et apporte de l’argile en proportion, ainsi le Seigneur fait le corps selon la ressemblance de l’esprit et, selon la capacité du corps, il implante l’esprit (tï)v 8’jvau.iv)…, ainsi le Seigneur connaît le corps jusqu’où il peut aller pour le bien, et où il commence pour le mal. Car il n’y a pas d’inclination ni de pensée que le Seigneur ne connaisse, car il a créé tout homme d’après sa propre image. » L’auteur reconnaît en fait l’universalité du péché et le besoin universel du salut. Levi, 11, 3 sq.

Bref, les Testaments méritent une particulière attention de l’historien de la doctrine du péché originel, si le texte de Lévi n’est pas interpolé ; de toutes façons, ils témoignent de l’universalité du péché, de sa relation intime avec les satans et leur chef Béliar : enfin, de l’universel besoin du salut.

4. L’ « Apocalypse de Moïse » et la « Vie d’Adam et d’Eve ».

(Texte grec de la première dans Tischendorf, Apoc. apocryphx, Leipzig, 1866, p. 1-23 ; traduct. allemande de la seconde dans Kautzsch, op. cit., p. 512 sq. Les deux rédactions sont apparentées.) — Parmi les écrits légendaires qui se rapportent à Adam, ceux-ci se recommandent à notre étude par leur origine juive. « L’état des doctrines sur les anges, sur la tentation et la chute de nos premiers parents et sur d’autres points indiqueraient une époque plutôt tardive. D’autre part, l’acceptation de ces ouvrages dans l’Église chrétienne ferait penser que… le christianisme a dû les recevoir de la Synagogue dès son berceau. » J.-B. Frey, art. Adam (Livres apocryphes sous son nom), dans le Supplément au Dict. de la Bible, t. 1, col. 105.

D’après V Apocalypse de Moïse, la mort et le mal vannent du péché. C’est Eve qui porte la responsabilité de la souffrance et de la mort d’Adam, 7. Elle se lamente en pensant aux malédictions dont l’accableront les pécheurs au jour de la résurrection : » Malheur à moi quand viendra le jour de la résurrection ; tous les pécheurs me maudiront, en disant : Eve n’a pas gardé le commandement divin. » 10. Un peu plus loin, Adam la charge aussi : « Quelle colère n’as-tu pas attirée sur nous en amenant la mort qui règne sur le genre humain », 14, et dans le passage parallèle de la Vita : Quid fecisti ? induxisti nobis plagam magnam. delictum et peccatum in omnem generationem nostram… Omnia mala intulerunt nobis parentes noslri qui ab inilio fuerunt. 44.

On le remarquera, tandis que le triste héritage d’Eve est ramené à la mort dans l’Apocalypse, il s’étend aussi au péché dans la Vita. Mais le mot peccatum in omnem generationem ne se trouve pas dans un ms. latin de valeur. On peut en conclure qu’il est secondaire. Cf. Freundorfer, op. cit., p. 74-76.

C’est dans les paragraphes 15-30 de l’Apocalypse qu’est racontée la chute, cause de tous maux, avec un luxe de détails légendaires. Le démon utilise le serpent comme réceptacle et, pour séduire Eve, « met sur le fruit qu’il lui donna à manger, le venin de sa méchanceté, c’est-à-dire de sa concupiscence, car la concupiscence est le principe de tout péché. » Aussitôt qu’Eve eut mangé, ses yeux s’ouvrirent, et elle reconnut qu’elle « était dépouillée de la justice dont elle avait été revêtue ». Adam fit comme elle et reconnut qu’il avait été « dépouillé de la gloire de Dieu », 16-21 : cf. Frey, art. cité, p. 533-534. D’après le commentaire de cet auteur, la gloire dont il est ici question semble être une émanation de la gloire divine ; elle enveloppe les corps d’Adam et d’Eve et leur tient lieu de vêtements avant la chute. La gloire est aussi synonyme de justice, comme il ressort des paroles d’Eve : « Aussitôt mes yeux s’ouvrirent et je reconnus que j’avais été dénuée de la justice dont j’avais été revêtue et je pleurai en disant : Pourquoi m’as-tu fait cela ? Voici que je suis dépouillée de la gloire dont j’avais été revêtue. » 20.