Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 12.1.djvu/147

Cette page n’a pas encore été corrigée

279

    1. PÉCHÉ ORIGINEL##


PÉCHÉ ORIGINEL. LE RÉCIT DE LA GENÈSE

280

de Jésus-Christ, dans Revue des sciences philos, et théoi, 1911, p. 527 et 515.

Les alexandrins, surtout Origène, le suivirent. Saint Augustin distingue trois modes d’interprétation courante, à son époque, de ce récit : Una eorum qui tantiimmodo corporaliter pàradiswn intelligi volunt ; alia eorum qui spirituatilcr tantvun ; lerlia eorum qui utroque modo paradisum accipiunl, alias corporaliter, alias autem spirilualiter. Rrcviter ego ut dicam, tertiam mihi fateor placcre sententiam. De Genesi ad litt., VIII, i, 1, P. L., t. xxxiv, col. 371.

Plus près de nous, dom Calmet, sur ce point, fait cette remarque : « La manière dont Moïse raconte cette histoire de la chute de nos premiers parents est tout à l’ait remarquable. Il se sert d’expressions figurées et énigmatiques, et il cache sous une espèce de parabole le récit d’une chose très réelle, et d’une histoire la plus sérieuse et la plus importante qui fût jamais. » Commentaire littéral, t. i, 2 9 édit., Paris, 1724, p. 34.

Ce sera un des mérites de l’histoire et de l’exégèse contemporaine d’avoir précisé le genre si spécial de ce récit. Voir J.-M. Lagrange, art. cité, et La méthode historique : L’histoire primitive, p. 182-220 ; J. Feldmann, Parodies und Sùndenfall : Der Sinn der biblischen Erzàhlung nach der Aufjassung der Exégèse und unter Berilcksichtigung der ausserbiblischen Ueberlieferungen, Munster, 1913, p. 575-605 ; Nikel, Die biblische Urgeschichte, Munster, 1909 ; Gôttesberger, Adam und Eva, Munster, 1910. Cf. H. Lesêtre, La Commission biblique : les trois premiers chapitres de la Genèse, dans Revue pratique d’apol., 1910, 1 er mars, p. 834-841 ; 1° avril, p. 7-13 ; 15 avril, p. 110-115 : Hugueny, Adam et le péché originel, dans Revue thomiste, janvier-février 1911, p. 64-88, etc.

1. C’est une histoire d’un genre tout spécial, qui n’est pas semblable à celle des Rois, par exemple, écrite d’après des archives.

On peut le déduire déjà de la façon dont s’exprime l’auteur, en particulier sur Dieu, sur le serpent, sur l’arbre de vie et sur l’arbre de la science du bien et du mal.

Point n’est besoin d’insister sur les anthropomorphismes ; ils ont été soulignés depuis longtemps. Tandis que, dans le premier récit de la création, Gen., i. 1-n 4 a, Dieu agit spirituellement par sa parole, ici il exerce physiquement son action à la façon d’un homme : il prend de la poussière pour modeler sa créature, comme un potier ; il souffle dans les narines de celle-ci le souffle de vie ; plante les arbres de l’Éden : prend une des côtes d’Adam, referme ensuite la plaie ainsi ouverte ; se promène à la brise du soir…, etc.

Non moins énigmatique est la façon étrange dont le serpent est mis en scène : c’est l’animal le plus rusé des champs, et cependant il se montre supérieur à l’homme ; il parle et cependant il est puni comme un animal, dans son corps, pour s’être fait tentateur.

Les deux arbres qui produisent, l’un la science du bien et du mal, l’autre l’immortalité, posent aussi des problèmes. « Il est difficile de penser que l’auteur, intelligence si profonde, nous donne comme des faits historiques réels, des circonstances enveloppées par lui-même de mystère et d’impossibilité. » Lagrange, art. cité, p. 368. En agissant ainsi, ne nous met-il pas lui-même, par certaines expressions, sur la voie d’une interprétation symbolique ?

L’immensité du temps, qui sépare du fait de la chute l’auteur inspiré qui nous en transmet le récit, ne milite-t-elle point dans le même sens ? Entre le fait et l’auteur qui nous le raconte, il y a l’âme de combien de générations pour nous en transmettre le souvenir ? L’humanité est très ancienne, le peuple hébreu relativement jeune. Le souvenir a dû vivre sous une forme très concrète, très populaire, très imagée, adaptée à la mesure de l’âme de ceux qui le recevaient avant d’arriver jusqu’à l’auteur qui, sous l’inspiration, devait le recueillir.

Sans doute l’auteur inspiré l’a-t-il épuré ; mais il ne lui a vraisemblablement laissé que le genre d’historicité spéciale que comportait une tradition populaire ainsi transmise.

C’est donc à une comparaison du récit de la Genèse avec des récits de forme similaire, transmis par des peuples de même degré de culture, qu’il faudra demander quelque lumière pour éclairer le caractère littéraire de ces pages difficiles. Ce genre, remarque Feldmann, op. cit., p. 574 sq., « comporte ordinairement un fond de vérités historiques, présentées d’une manière plus ou moins poétique et parabolique ».

Loin de nous de prétendre que le récit biblique de la chute a trouvé son explication adéquate dans des récits babyloniens : ce serait aussi erroné dogmatiquement que critiquement. « On ne peut conclure à une dépendance littéraire entre le récit de la Genèse et des récits de nous connus. Cependant, si nulle part on ne retrouve une trace de ce qui fait l’esprit du récit de la Genèse (la félicité perdue par la faute de l’homme), on se meut dans le monde sémitique, dans le même cercle de symboles : séjour délicieux des dieux, arbres sacrés de la vie ou de la science, pouvoir merveilleux du serpent. » Lagrange, art. cité, p. 377. Rien ne nous interdit, dans cette perspective, de penser que Dieu, dans le mode de révélation, a tenu compte du milieu auquel il s’adressait : « Nous ne trouvons pas indigne de Dieu de nous enseigner cette vérité d’une manière très simple, avec les traits que l’imagination populaire se transmet, et dont l’auteur inspiré s’est servi comme de symboles. » Ibid., p. 379.

2. Ce n’est point une allégorie pure, mais le récit d’un fait réel présenté sous une forme plus ou moins métaphorique. —

Déjà le ton de l’auteur nous inviterait à reconnaître au récit un sens historique : l’analogie de la foi, d’ailleurs, nous oblige à l’admettre aussi.

L’historicité du fond du récit est fondée non seulement sur ce fait que les traditions populaires recouvrent parfois, sous une forme poétique, imaginative, un noyau de vérité historique, mais sur le caractère même de la Genèse et la dignité de son auteur. Tout le livre se présente comme un ouvrage d’histoire religieuse. Rien ne nous permet de dire que, dans la pensée de l’auteur, il débute par un conte. La place que l’on y donne au récit de la chute, au début de l’histoire sainte, nous laisse entendre que l’on y voit un fait gros de conséquences pour nos premiers parents, et qui éclaire la suite de l’histoire humaine. « L’auteur raconte une histoire à laquelle il croit : histoire très sérieuse pour lui, arrivée à deux personnes qui sont la souche du genre humain et dont les conséquences furent très fâcheuses. » Lagrange, p. 360.

Mais l’histoire que le jahwiste croyait vraie est-elle vraie de fait, ofîre-t-elle des garanties ? Il s’agit sans doute ici d’un fait psychologique et moral perdu dans la nuit des temps et que l’on ne trouve inscrit ni dans les entrailles de la terre, ni dans des archives contemporaines. Humainement parlant, sa transmission orale depuis les commencements du monde, aux yeux de la raison, est difficile à prouver : mais le théologien en appelle aux lumières de la révélai ion, à l’analogie de la foi, à l’inspiration qui garantit la vérité de l’Ecriture. La Genèse fait partie de cet ensemble de documents inspirés qui nous fait connaître le développement divin de l’histoire du salut. Dès que l’on admet dans l’histoire du monde l’exécution d’un plan providentiel, dès que l’on reconnaît au centre de cette histoire la venue du Fils de Dieu pour racheter le monde du

)éché, dès que l’on accepte l’inspiration des Écritures

du Xouveau Testament pour nous révéler le sens de l’événement central du salut, on ne s’étonne point que