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PÉCHÉ PHILOSOPHIQUE. LES ANTÉCÉDENTS


Son texte est notoire : De mysterio incarnaiionis, disp. V, sect. v, éd. Vives, t. ii, p. 337 sq. Mais l’auteur avertit qu’il a défendu déjà la même doctrine dans son traité De bonilale et malilia humanorum actuum. Il la reprend ici et la confirme contre un enseignement adverse, en faveur duquel des théologiens récents, dit-il, invoquent l’autorité de J. de Salas : celui-ci, en effet (théologien jésuite, 1553-1612 ; cf. Hurter, op. cit., t. iii, col. 589), au témoignage de de Lugo, a vivement combattu l’opinion selon laquelle les actes commis dans l’ignorance de la loi divine ne peuvent être des péchés mortels. Dispulationum in lam.jjæ £). Th., l re éd., t. ii, Barcelone, 1607, tract. XIII, disp. XVI, sect. xxii. Voici comment de Lugo, pour son compte, entend le problème.

Il le rencontre dans l'étude de la nécessité de l’incarnation pour la satisfaction des péchés. Ayant établi que l’homme est impuissant à satisfaire pour les péchés mortels à cause de l’infinité de Dieu offensé, ce théologien est conduit à rechercher s’il n’y a point des péchés tels que l’homme pût les réparer, et qui ne seraient donc point des péchés mortels au sens où l’entendent les Pères et les théologiens. Cette question naît en lui de cette pensée que l’ignorance invincible de Dieu, ou l’invincible sentiment que Dieu est indifférent à la bonté ou à la malice des hommes, semble devoir ôter au péché sa raison d’offense de Dieu. L’acte mauvais commis en ces conditions, un homicide par exemple ou un adultère, déplaît sans doute à Dieu et fournit une juste cause à sa colère, mais sa malice naturelle en est seule la cause et non point l’offense de Dieu qu’un tel acte, commis hors la prévision d’une telle malice, ne saurait vérifier. Car autre est la malice qu’un acte tient de son opposition à la raison, autre celle qu’il tient de son opposition au précepte divin. Celle-là est antérieure à la prohibition divine et indépendante d’elle ; celle-ci est due à une intervention de Dieu et elle s’ajoute à la malice que de Lugo appelle philosophique, d’ores et déjà contractée. Il est difficile d’accuser plus fortement la dissociation des deux ordres de moralité, à laquelle nous assistions déjà chez Lessius. En cette position, où de Lugo s'établit d’emblée, on requiert logiquement à l’offense de Dieu, élément autonome dans le péché, une psychologie nouvelle par rapport à celle qui joue dans l’acte purement déraisonnable : c’est pourquoi ce théologien estimait dès l’abord que l’ignorance de l’offense divine ôte en effet de l’acte commis son caractère offensant pour Dieu. N’en vient-il pas à déclarer qu’un homme, ignorant que sa raison représente la loi de Dieu, peut à la fois agir contre sa raison et faire un acte d’amour de Dieu ? Ainsi portée dans le sujet, la dissociation des deux ordres de moralité découvre son défaut : on ne l’y soutient qu’au prix d’une psychologie invraisemblable et proprement monstrueuse. Comment un homme, sachant qu’un acte répugne a sa raison, s’il pense à Dieu, peut-il concevoir que Dieu l’approuvr et se persuader qu’il aime Dieu, cédant àcel acte ? Non renonçons à élucider pareille inversion. De Lugo pro~ la même logique et erse dans les mêmes invraisemblances quand il dit que le pécheur Ignorant lof fense de Dieu ne peut m Formellement ni virtuellen mettre sa fin dernière dans la créature ni aimer la 1 lire plus que Dieu, il avoue Ingénument, quelqu< part, que les anciens théi n’ont point distinc

tement po lème qu’il entreprend de résoudre

Mais il ne manque pas en chemin d’invoquer l’auto rite de quelques-uns d’entre eux, comme si, pour avoii reconnu que la malice infinie du pé< lié consistait dans l’offense de Dieu, ils avalent d’avance approuvi

propres déductions I II traite notamment saint Tho

mas d’Aquin avei cette inconscience, l’interprétant ce principe devenu pour lui évident qu’autre

la malice de la transgression déraisonnable, autre la malice de l’offense divine.

Pour son excuse, de Lugo a prévenu qu’il entendait considérer les choses absolument et sans préjuger de leur vérification expérimentale. Il avoue l’application en effet très restreinte du cas qu’il a considéré. Chez les fidèles, un tel péché, un adultère philosophique par exemple (on lit le mot chez cet auteur), n’arrive jamais ou très rarement. Chez les infidèles, l’ignorance invincible de Dieu ne peut être que brève ; ils ne mourront pas, selon l’ordre de la providence divine, avant d’avoir pu ou pécher mortellement ou être justifiés. Il reste que la possibilité du péché philosophique a été reconnue et la dissociation consommée d’une atteinte à la raison et d’une offense de Dieu. Lessius lui-même reste en deçà de son émule romain.

4. Autres manifestations. — On peut relever en France, au cours du xviie siècle, des opinions que devait s’annexer la notion du péché philosophique, et qui sont relatives à la nécessité de la pensée de Dieu et de l’advertance actuelle du mal sans quoi il n’y aurait point de péché. L’extension du volontaire était ainsi considérablement restreinte. Le Moine avait défendu ces théories qu’Arnauld combattit dans l’Apologie pour les saints Pères (1650), t. VIII, c. iii, sans qu’il eût encore le moindre soupçon du péché philosophique. Ces pages ont, pour une part, inspiré Pascal, de qui la 4 « Provinciale (25 février 1656) roule sur les conditions d’advertance requises au péché selon les jésuites, et sur la prétendue nécessité d’une grâce actuelle repoussée, faute de quoi l’on ne serait pas coupable : les Pères Bauny et Annat y sont principalement accusés (Œuvres, éd. des Grands écrivains de la France, I. [V, p. 249 sq.). On reconnaît dans ce dernier thème l’opinion où Serry dénonçait l’origine du péché philosophique. Voir aussi la dénonciation faite au P. Oliva par le P. de la Quintinye, art. Oliva, col. 992.

3. Conclusion critique.

Au terme de cet exposé, où nous avons relevé non certes tous les témoignages, mais peut-être des témoignages significatifs, nous estimons que la notion du péché philosophique est due, dans l’histoire doctrinale, à une dissociation opérée entre deux ordres de moralité, l’un commandé par la raison et l’autre par la loi divine. A quoi répond logiquement une dissociation psychologique, et l’exigence de conditions propres par lesquelles l’acte déréglé devient une offense de Dieu. Celles-là sont interprétées selon des théories relatives à l’advertance actuelle de la malice, où Arnauld a vu de préférence l’origine du péché philosophique. Par ailleurs, ces théories relèvent d’une conception plus générale sur la nécessité des grâces actuelles suffisantes, où Serry, pour son compte, 'attachait cette notion malheureuse.

On peut dire que le péché philosophique représente une issue inattendue et paradoxale de l’effort spécifique de la théologie chrétienne. Celle-ci n’eut pas de soin plus grand que de rattacher à la majesté de la Loi éternelle l’ordre de la raison humaine. Cet ordre ne détient son autorité qu’en vertu de (die dérivation au principe de laquelle se rencontre Dieu. Non poinl deux règles superposées, mais entre elles le rapport de l’absolu au participé. Psychologiquement, un seul mOUVC ment Intéresse à la fois l’une et l’autre loi. et l’on offense Dieu en cela même que l’on transgresse la rai son. Or, ce couronnement de l’ordre moral qu’est la

loi divine. Voici qu’une théologie tardive, ('mue sans doute de sa grandeur, le détache du reste et restitl son isolement l’ordre de la raison, aggravant ainsi l’Insuffisance de anciennes philosophies morales : « ai celles-ci, qui ne s'élevaient point Jusqu'à une com i ion de la i mi éternelle, ne professaient point cependant nation tic deux ordres et leur Indépendance

ailleurs, cette dissociation semble sieniliei aussi uiu