Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 12.1.djvu/134

Cette page n’a pas encore été corrigée
253
254
PÉCHÉ VÉNIEL CONSIDERE EN LUI-MEME


de délibérer de soi, qui naît au premier instant de la vie raisonnable. D’elle, saint Thomas tire l’obligation qu’a l’enfant alors de se tourner vers Dieu, sous peine de pécher mortellement par omission. Sollicité comme il l’est, l’enfant peut négliger de délibérer sur soimême : il remet à plus tard de le faire, il n’opte maintenant pour rien, il diffère de se prononcer. En cela, il pèche. Il n'évite pas d’entrer en l’ordre moral : s’il ne le fait par une adhésion délibérée au bien, il le fait par un péché. Mais pourquoi ne tolérer aucun délai ? Il est bien clair que le recours au précepte divin n’est pas ici décisif : parce qu’il estime que ce moment est celui où le choix s’impose à l’enfant, saint Thomas détermine pour lors le temps de l’obligation du précepte affirmatif de la conversion à Dieu ; et non pas inversement : il est inutile de suivre en leur exégèse forcée les carmes de Salamanque. Disp. XX, n. 2-3. Or, saint Thomas juge ainsi de ce moment, parce qu’il y voit le temps marqué par la nature. De la sollicitude que nous avons dite, dont est naturellement touché l’enfant, il tire immédiatement que ne pas opter alors a raison de négligence, où l’enfant ne fait pas ce qui est en soi. Il appartient à la nature de fixer à quel moment l’homme entre dans la vie morale ; nous n’avons point la faculté d’y changer quelque chose ; nous sommes engagés.

Ne découvrons-nous point ici, en cette thèse au premier abord surprenante de saint Thomas, un sentiment saisissant de la vocation morale de l’homme : cela ne souffre point délai, le candidat, si l’on peut dire, est aux ordres de la nature. Sans compter que, privé d’une règle de sa conduite, l’homme qui n’a point opté se trouve livré à toutes les séductions et n'évitera guère de pécher, sous peu de temps. Les carmes de Salamanque ont abondamment développé cette considération de saint Thomas. Disp. XX, n. 415. Il n’y a dans l’obligation ainsi entendue aucune rigueur, comme on aurait peut-être pensé, mais justice et équité. Les commentateurs que nous venons de citer l’expriment d’un tour pittoresque : l’invitation de choisir, disent-ils, est si pressante, et taliter pro ea clamât et réclamât, prolixaque et importuna existit, ut valde dissonet rationi his impulsibus non acquiescere. Ibid., n. 21. Il n’y a point de disproportion entre ce que nous demandons et ce que veut l’enfant : nous ne faisons qu’invoquer la donnée de la nature, et l’obligation dont nous parlons s’accorde à l'événement décisif qui se produit en cet instant moral. Davantage, disons que le moment est miséricordieusement choisi pour cette obligation : Facilius enim tune (ertur volunlas in bonum honestum quando nullum adhuc personale peccatum aut vilium incurrit, quam postea cum per vitiorum afjectiones fueril in contrarium malum inclinala. Ibid., n. 41. En vertu de la même donnée naturelle, on rejette l’objection selon laquelle l’enfant, au cours de sa délibéral ion. pourrait être distrait, curieux, etc., et donc aurait commis un péché véniel avant d’avoir pu encourir l’omission grave que l’on dit : la sollicitation de choisir est à ce point pressante que vel nullo modo, vel nonnisi ex industriel et data opéra oaleal puer ad aliud coyitandum diverti : et ideo si quæ » tunc diversio fieret vel ad dicendum mendarium vel ad aliud aliquid, per quod deliberatio illa rclardaretur, non quasi ex surreplione aut semiplena tantum advertentia incident damnaretur "</ tolam culpam ventaltm, sed ut

I habita ex animo et data opéra imputanda effet ad mortalrin. Ibid., n. tii ; cf. Cajétan, lor. rit., n. 9. Reste que l’on « lise de quelle conversion à Dieu il s’agit alors. Saint I bornas énonce expressément : secundum quod in illa telate est capax dtêcrettonis, ou bien : factOU quod in se est. Or, ce qui se présente au choix 'le l’enfant C’est, d’une part, ! < bien raisonnable ou honnête, de l’autre, le bien sensible ou naturel.

Entre ces biens-là, il est sollicité d’opter pour luimême. Il aura bien agi, s’il a choisi le premier : unde si sibi appetendum censuerit bonum honestum in confuso, ut œtas illa consuevit, bene deliberavit de seipso, finem suum in vera beatitudine collocans, quamvis imperfecte et inchoative : non plus enim exigitur a puero. Cajétan, loc. cit., n. 7. L’opinion en est commune et les Salmanticenses s’y rallient. Ces derniers estiment toutefois que le précepte alors en cause est celui de l’amour formel et surnaturel de Dieu ; mais beaucoup sont excusés de l’accomplissement de ce précepte en un acte explicite dès l'âge de raison, plus encore de l’amour de Dieu comme fin surnaturelle. De son accomplissement dans l’amour naturel du bien honnête en général, personne en revanche n’est excusé, vu l’analyse qu’on a faite de ce premier instant, n. 17. A ce point de la thèse, se situe la difficulté de comprendre qu’un tel acte entraîne toujours la rémission du péché originel et l’infusion de la grâce sanctifiante : voir Salmanticenses, n. 23-39, 63-69, avec leur formule : Cum efficax eonversio in Deum finem ultimum naturalem fsive elicienda sil naturæ viribus sive auxilio supernaturalis ordinis) sil incompossibilis cum aversione ab ipso Deo ut fine supernaturali, fieri nequit ut puer infecius originali culpa, quæ est aversio ab isto fine, exerceal prædictam conversionem, nisi simul aut per prius ab ipsa originali culpa mundetur : atque adeo nisi gralia et juslificatio ibi concurrat, saltem ut removens illam aversionem et conversionem istam prohibenlem, n. 65 ; mais ce point intéresse proprement la justification et la rémission du péché ; il n’appartient pas à notre sujet.

Saint Thomas a posé la présente question en des termes tels qu’elle concerne l’infidèle. Mais il n’est pas douteux que l’obligation de se convertir à Dieu, dès le premier instant de la vie raisonnable, atteigne l’enfant baptisé comme les autres, puisqu’elle se fonde, nous l’avons dit, sur une donnée naturelle. Cajétan estime que les habitus infus concourent chez l’enfant baptisé à l’accomplissement du précepte, lequel a lieu chez lui le plus souvent. Il n’a pas lieu infailliblement néanmoins, non seulement, dit ce commentateur, à cause de la liberté, mais à cause de la complexion et des mauvaises habitudes qui ont pu précéder ce moment, en sorte que la sensibilité meuve davantage vers ses objets déréglés que la foi et la charité vers le bien honnête. Pour cette raison, ajoute-t-il, il n’est pas de peu d’importance que l’enfant soit habitué, dès le plus jeune âge, à entendre des paroles spirituelles et honnêtes, car Vhabitus de foi infus se détermine selon ce qui est entendu, et la charité y fait suite. Loc. cit.. n. 12. Notre thèse aboutit donc à la nécessité d’une éducation attentive du petit enfant, en prévision de ce moment solennel de son entrée dans la vie raisonnable. La conclusion n’est que plus urgente au sujet de l’enfant infidèle, auquel doit manquer le secours des habitus infus. Mais est-on jamais sûr d’avoir satisfait à ce précepte et ne doit-on pas se confesser de cette omission ? Il faut, dit Cajétan. s’en repentir et s’en confesser comme de tous les péchés incertains. Toutefois, il suffirait peut-être pour celui-ci de se confesser en général des pèches cachés, le comprenant de tous : car cette incertitude est commune à tout le genre humain et. pour cette raison, personne ne sait s’il est digne d’amour on de haine. Ibid,

L’usage que nous venons de faire des commentateurs de saint Thomas annonce déjà la fortune de cette doctrine dans la t radition théologique. La pensée

du maître était trop ferme pour que les disciples ne tentassent point de la justifier, loin d’en doute !

jamais, si tontes leurs Interprétations ne concordent point, leur fidélité du moins est unanime. Par là. on attire notre attention sur cette phase mystérieuse du