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PÉCHÉ MORTEL ET PÉCHÉ VÉNIEL. RAPPORTS


soit virtuellement, à une fin ultime, laquelle ne peut assurément être Dieu, tout au plus terme de la référence habituelle. Kl ils disent que cette fin ultime, où est actuellement référé le péché véniel, est le bien en général, bonum in communi, comme rassasiant l’appétit. On satisfait ainsi ; '. la nécessité posée, mais on évite de donner au péché véniel deux fins, attendu que le bien en général ne fait pas nombre avec une fin particulière. Nous croyons que cette opinion est répréhensible et dans sa teneur et dans son fondement. Car le bien en général ne meut la volonté et n’en termine les actes qu’appliqué à un certain objet particulier répondant à l’appétit de la volonté, lequel incline précisément vers ce qui convient à la nature, non vers le bien en général comme tel. De tout acte volontaire, il y a une fin dernière concrète à quoi il est de quelque façon référé. Une façon de l'être est celle que nous avons dite : et c’est ici que pèche en son fondement même l’opinion de nos théologiens. Car il n’est point nécessaire de retrouver l’influence positive de la fin dernière en tout acte volontaire, et le recours de la part de saint Thomas à l’influence habituelle signifie précisément le refus d’une telle nécessité. Tel qu’il est, l’acte du péché véniel est sous l’influence de la fin dernière de la manière que nous avons dite ; il n’y a point lieu d’y rechercher quelque autre fin. Sans doute ne le fait-on que pour entendre l’influence habituelle en un sens qui soustrait à l’efficacité de la fin dernière l’acte même du péché. Les Salmanticenses, qui expriment pour leur part le premier des deux griefs que nous venons de dire, font une concession à cette opinion quand ils posent outre Dieu une fin particulière où s’arrête la référence actuelle du péché véniel en tant qu’actuelle, et qui est le bien propre et naturel du pécheur ; mais celui-ci est à son tour référé habituellement à Dieu et soumis à la charité. Disons qu’ils introduisent ainsi un intermédiaire psychologique dans l’analyse que nous avons adoptée, et que l’influence négative de la fin absolument dernière prend volontiers cette forme d’une influence positive du bien naturellement aimé ; mais le titre décerné à celui-ci de fin dernière actuelle du péché véniel ne nous paraît pas recommandable puisqu’il dissimulerait l’influence que détient la fin habituellement voulue sur l’acte même du péché. Gonet, reproduisant avec une grande fidélité les carmes de Salamanque, tient à son tour le bien du pécheur comme la fin dernière actuelle du péché véniel. Op. cit., tr. v, disp. IX, art. 4, n. 83 sq. L’opinion propre de Curiel et de Martinez est davantage connue par l’adoption qu’en a faite Billuart, op. cit., tr. De ultimo fine, diss. I, a. 4-5 ; tr. De peccaiis, diss. VIII, a. 4. Comme il entend la référence habituelle d’une pure concomitance (comme on dirait que la prière du juste dormant est référée habituellement à Dieu), il recherche la fin dernière actuelle du péché véniel, et il la trouve en la béatitude comme telle ; en définitive, cet homme veut être heureux. Par là, on n’exclut pas la charité, car cette fin est en soi indifférente. D’ailleurs, il n’est point nécessaire que l’on agisse toujours en vue d’une fin dernière particulière. Car la cause finale meut moralement, au lieu que la cause efficiente le fait physiquement et, de ce chef, est inévitablement particulière. De nos jours, le P. Billot s’est prononcé pour la même opinion, op. cit., p. 121-122, 125 ; après lui, le P. Garrigou-La grange : La fin ultime du péché véniel…, dans Revue thomiste, 1924, p. 313-317 ; voir aussi Blaton, De peccalo veniali, dans Collationes Gandavenses, mars 1928, p. 31-42. On voit assez qu’elle ne peut s’autoriser sans de graves réserves de la tradition thomiste et qu’elle souffre d’une difficulté. Pour la différence de l’ange et de l’homme, qu’invoque le P. Garrigou-Lagrange, nous croyons qu’elle consiste, non en ce que l’homme puisse

ne pas agir sous l’inlluence d’une fin dernière concrète, mais en ce que son action est susceptible, de la part de la fin dernière concrète, d’une influence originale/celle que saint Thomas nomme > habituelle ». En définitive, le juste qui pèche véniellement en cet acte même veut Dieu ; saint Thomas le déclare avec trop de fermeté pour que nous cherchions ailleurs le secret du péché véniel.

Dans son ouvrage cité, le docteur Landgraf entend la doctrine thomiste du péché véniel comme s’il consistait dans un acte non ordonné à Dieu, quel qu’en soit l’objet prochain, bon peut-être ou indifférent. Entre plusieurs inexactitudes, c’est méconnaître que l’objet du péché véniel est de sa nature déréglé. Le P. Schultes a heureusement critiqué, dans le Bulletin thomiste, 1921, p. 136-142, cette interprétation inattendue à laquelle s’est rallié chaleureusement le B. P. de la Taille dans Greyorianum, 1926, p. 28-43.

Péché et imperfection.

La division des péchés

en mortels et véniels épuise le mal moral. Ce qu’on a appelé « imperfection » est un acte bon en lui-même. La question de savoir si des imperfections se rencontrent en effet ou si elles ne sont pas des péchés véniels relève d’une étude des exigences de la charité. L’on en a traité à l’article Imperfection, et il ne nous appartient pas d’y revenir ici. Il faut seulement signaler que cette question, historiquement, a été posée en liaison avec une conception du péché véniel, Scot, nous l’avons dit, distinguant ce péché du mortel en ce qu’il s’oppose aux conseils et celui-là aux préceptes ; l’un des arguments de cette opinion est en effet qu’un acte contraire aux conseils ne peut être bon ; il est donc mauvais ; il est donc péché véniel. Sur quoi on trouvera de judicieuses réflexions chez les carmes de Salamanque, disp. XIX, n. 6-9. L’idée scotiste du péché véniel est restée sans fortune. — Pour l’abondante littérature parue sur le sujet depuis l’article Imperfection, consulter la bibliographie du Bulletin thomiste.

II. L’ORDRE DU PÉCHÉ VÉNIEL AU PÉCHÉ MORTEL

et réciproquement. — Ils ne sont point sans rapports, les deux péchés dont nous venons d'étudier la division, et nous l’avons allégué déjà. Nous l'établissons cette fois expressément.

1° Du péché véniel au péché mortel, l’ordre est exprimé par la théologie en plusieurs manières. — 1. Elle tient communément que le péché véniel dispose au péché mortel. — En vertu de ce rapport, il a été dit ci-dessus que le péché véniel vérifie cette notion de péché selon une analogie d’attribution. La disposition du péché véniel au mortel est analysée par saint Thomas comme il suit.

Par son effet propre et direct, le péché véniel selon l’objet ne dispose pas premièrement et par soi au péché mortel selon l’objet : car il dispose ainsi à l’action pareille, et ces deux péchés sont d’espèce immédiatement dissemblable. Le mensonge joyeux, par exemple, ne dispose pas ainsi au blasphème. Mais par son effet propre et direct, un péché véniel selon l’objet peut disposer, par une certaine conséquence, au péché mortel de la part de l’agent. Car il peut aller jusqu'à engendrer un habitus et déterminer ainsi son objet en fin dernière de l’agent. Mais comment reconnaître que l’objet d’un péché véniel est traité par l’agent comme sa fin dernière ? Les carmes de Salamanque l’ont recherché. In / am -// æ, q. lxxxviii, a. 4. Ou bien, disent-ils, formellement et expressément la volonté tient cet objet pour sa fin dernière, l’appréciant comme supérieur à tout : le cas est clair, mais il est rare. Ou bien elle le met au-dessus de tout, de manière seulement interprétative, et s’y attache effectivement comme à sa fin dernière. Le signe de cette disposition est que l’on ne refuse pas de commettre un péché mortel en faveur d’un tel objet. Ce qui advient dere-