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PECHE VENIEL ET FIN DERNIÈRE


théorie traditionnelle des sujets du péché représente un bénéfice pareil : nous le disions déjà ci-dessus, à propos des sujets du péché. Il reste en notre théologie qu’un certain sujet de péché, savoir la sensualité, est invariablement sujet de péché véniel ; par ailleurs, c’est le rapport du péché à la fin dernière selon quoi on obtient cette répartition. Quant aux causes du péché, il y a lieu de rappeler ici seulement que les causes qui de soi diminuent la gravité, comme l’ignorance et la passion, peuvent laisser le péché mortel ; et de noter que le péché de malice peut être véniel, (encore qu’il soit plus correct de ne parler point de malice à propos d’un tel péché, qui laisse sauf le bien spirituel, cf. I a - II 33, q. lxxviii, a. 2, ad lum), dans le cas où son objet, léger de sa nature, n’est pas érigé par le pécheur en fin dernière ; ainsi des mensonges joyeux procédant de l’habitas qu’on en a acquis, ainsi peut-être chez les personnes peu ferventes beaucoup de péchés véniels : on se les permet, sans ignorance, sans passion, sous prétexte qu’ils ne sont que de petits péchés.

Quant aux effets du péché, nous avons dit déjà comment se distingue le reatus du péché véniel d’avec celui du péché mortel. Pour la corruption du bien de nature, le péché véniel la cause certainement pour son compte et de lui-même ; mais, comme il dispose au péché mortel, ainsi que nous le dirons, par là il la cause en outre indirectement. Pour la tache, il faut dire d’abord que le péché véniel n’en cause point dans l’âme, à proprement parler, car une fois passé l’acte de ce péché, la grâce et la charité demeurent entière, illuminant l’âme de leur éclat : ainsi saint Thomas, Sum. theol., I a -II « , q. lxxxix, a. 1. Mais, par ailleurs, il faut rendre compte de la persistance du péché véniel dans l’âme jusqu’à l’instant de sa rémission. Elle y consiste dans une adhésion non révoquée de la volonté à quelque bien déréglé, en quoi est gênée, comme par un obstacle, l’extension de la charité jusqu’à ce genre d’actions. En ce sens, le péché véniel laisserait une tache, et qui serait la privation de la ferveur de la charité. Ou même, si l’on entend la tache plus librement, non point comme un éclat perdu mais comme une souillure positive adhérant à quelque sujet, celle du péché véniel consistera, à l’instar d’une poussière, en cet amour persistant pour le bien déréglé où le pécheur s’est attaché ; ainsi pense saint Thomas, III a, q. i.xxxvii, a. 2, ad 3um ; cf. a. 1. Voir Salmanticenses, In l* m -ll&, q. lxxxix, a. 1.

Péché véniel et fin dernière.

La notion du péché

mortel et du péché véniel que nous venons de présenter apparaît jusqu’ici des plus satisfaisantes. Cette considération de la fin dernière, d’où nous avons fait tout dépendre, en même temps qu’elle permet d’assumer les données traditionnelles, introduit dans le traité systématique du péché un légitime et heureux principe de discernement. Mais n’est-ce pas au détriment de la doctrine même de la fin dernière ? Il se pose à ce sujet deux questions :

La première tient à cette affirmation établie ailleurs, que le même homme ne peut avoir en même temps qu’une seule fin dernière. Or si, par un péché mortel, renonçant à Dieu, on a mis sa fin dernière dans une créature, et que, demeurant attaché à ce premier péché, on vienne à commettre un second péché mortel sur un autre objet, n’aura-t-on point deux fins dernières à la fois ? Cette question a conduit les théologiens à déterminer avec exactitude de quelle manière, par le péché mortel, on met sa fin dernière dans la créature, en sorte que la multiplicité spécifique de tels péchés en un pécheur ne porte pas atteinte à l’unité de la fin dernière qui est la sienne Leur doctrine concerne davantage le traité de la fin dernière que celui du péché. Il nous suffit ici de l’avoir mentionnée. Voir les théologiens à ce sujet, par exemple :

Jean de Saint-Thomas, De fine ultimo, disp. I, a. 7, § 1, n. 1-32 ; Salmanticenses, ibid., disp. IV, dub. m ; Billuart, ibid., diss. I, a. 4 ; par ailleurs : Suarez, ibid., disp. III, n. Il ; Vasquez, ibid., disp. V, c. i.

La seconde question doit nous retenir davantage. Elle concerne proprement le péché véniel. Elle tient à cette doctrine, d’essence métaphysique, que tout acte volontaire, à moins qu’il n’ait poui objet la fin dernière elle-même, est nécessairement ordonné à une fin dernière. Or, d’une part, le péché véniel n’est ni appliqué ni ordonné à une fin dernière mauvaise : il serait un péché mortel ; d’autre part, il ne semble pas réductible à la fin dernière bonne : il ne serait alors plus un péché. Le péché véniel n’aurait-il donc aucune fin dernière ? La difficulté ne concerne point tant les péchés véniels par imperfection de l’acte, dont on peut dire en effet qu’ils n’ont point parfaitement de fin dernière (cf. Jean de Saint-Thomas, De ultimo fine, disp. I, a. 7, n. 41 et 50), que les péchés véniels dus à l’objet ou à l’insuffisante matière, lesquels sont, cependant, de parfaits actes humains.

1. Position de saint Thomas.

On pense bien qu’elle n’a pas échappé à saint Thomas d’Aquin. Aussi bien, la question de la nature du péché véniel avait-elle déjà fait dans la scolastique, depuis saint Anselme et Abélard, l’objet d’un notable débat ; et non sans toutes sortes de vicissitudes, l’opinion semblait s’être imposée que le péché véniel n’est pas ordonné à Dieu, sans qu’il soit cependant détourné de cette fin. Sur cette histoire, voir Landgraf, Das Wesen der Idsslichen Sùnde in der Scholastik bis Thomas von Aquin. Eine dogmengeschichtliche Untersuchung, næh den gedrhckten und den ungedruckten Quellen, Bamberg, 1923.

a) Les textes. — Saint Thomas se range à cette opinion, qui est celle des grands théologiens antérieurs. Mais il donne de cette sorte de dualité que l’on reconnaît au péché véniel une formule précise, qui préserve de la contradiction (comparer cependant avec S. I30naventure, // Sent., dist. XLII, a. 2, q. i, ad 4um), à savoir que le péché véniel, qui ne peut avoir Dieu pour fin actuelle, cependant ne laisse pas chez le juste d’être ordonné à Dieu habituellement. Au premier titre, il est un péché, au second il n’est pas un péché mortel. Saint Thomas ne dit point seulement que le péché véniel n’exclut pas la charité qui nous ordonne habituellement à Dieu (I a -Ilæ, q. lxxxviii, a. 1, ad 2um), mais, avec plus de force, que le péché véniel se réfère habituellement à Dieu : ille qui peccat venialiter inhæret bono temporali non ut fruens, quia non constitua in eo ftnem ; sed ut utens, referens in Deum, non actu, sed habitu. Ibid., ad 3um. Les arguments 2 à 4 du premier article des questions de la Somme consacrées au péché véniel, I ft -II æ, q. lxxxviii, a. 1, ont pour objet la difficulté même que nous avons dite, et ils la résolvent par la formule que nous venons de rapporter. L’enseignement en est constant de la part de saint Thomas. Cf. De malo, q. vii, a. 1, ad 4um : Ille qui peccat venialiter non fruitur creatura sed utitur ea : rejert enim ea habitu in Deum, licet non actu ; In Ium Sent., dist. I. q. iii, a. unie, ad 4um : Quamvis ille qui peccat venialiter non referai aclu in Deum suam opcralioncm nihilominus lamen Deum habitualilcr pro fine habel. Et l’on retrouve plus bas. dans la Somme, la même pensée sous une forme saisissante : Quod enim amatur in pteoato vrni/ili, propler Deum amatur habitu elsi non aclu. I I a - 1 I*p, q. xxiv, a. 10. ad 2° m.

b) Leur interprétation. — La difficulté est donc I

lue de la part de saint Thomas par un discernement introduit dans la psychologie de l’acte humain. OÙ I influence de la fin dernière, qui peut n’être p ; is actuelle, demeure habituelle. Il nous suffit de le bien entendre. Saint Thomas H toujours reconnu que la fin dernière