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    1. PECHE MORTEL ET PECHE VÉNIEL##


PECHE MORTEL ET PECHE VÉNIEL. DIFFÉRENCE

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I. LA DIVISION DU PÉCHÉ EN MORTEL ET VÉNIEL. —

Le point de discernement.

Le péché est mortel qui

fait contracter au coupable la detle d’une peine éternelle, véniel qui n’emporte l’obligation que d’une peine temporelle. De là part, nous l’avons dit, la présente recherche.

Mais il est clair que cette différence dans le realus consécutif au péché dépend elle-même d’une différence antérieure. Elle tient, on le sait déjà, au caractère irréparable ou non du péché, lequel dépend à son tour du principe ôté ou sauvé de l’ordre moral, savoir l’adhésion de la volonté à la vraie fin dernière. De même que ne peut corriger son erreur l’intelligence qui se trompe sur les principes mômes de ses connaissances ; de même que ne peut se guérir l’organisme corrompu dans le principe même de la santé et de la vie ; ainsi la volonté privée d’adhérer à la vraie fin dernière est vouée à un éternel désordre. L’image de la mort convient bien à cette condition ; comme celle du pardon et de la rémission au cas d’une volonté déréglée en quelqu’un de ses amours, mais non pas dans le principal. Entendus ainsi, mortel et véniel, on le voit, s’opposent comme péchés, encore que ces mots, pris en leur sens propre, ne disent point entre eux opposition. Mais il est commun que des mots, non opposés selon leur sens propre, le soient et rigoureusement selon leur sens métaphorique : ainsi riant et desséché dits de la prairie.

L’origine de la différence.

Reste que du péché

mortel et du péché véniel, on poursuive l’origine. Ils signifient quelque chose dans l’acte du péché. Car ôter le principe de l’ordre moral ou le respecter, d’où vient au péché sa qualité de mortel ou de véniel, dépend d’une différence en cela même qui obtient ces divers effets. Il la faut découvrir, et déclarer en vertu de quoi certains actes mauvais vont jusqu’à exclure l’adhésion de la volonté à la vraie fin dernière, cependant que d’autres ne le font pas.

1. L’objet.

Il est certains objets de l’action

humaine de telle nature qu’ils emportent une opposition à la fin dernière, et que la volonté ne s’y peut porter sans rompre avec ce principe du bon ordre raisonnable. Et parce qu’il est une vertu dont l’objet est précisément la fin dernière, savoir la charité, nous disons avec assurance que tout acte contraire à la charité est un péché mortel. Saint Thomas recourt invariablement à ce critère de l’opposition à la charité quand il veut déterminer si quelque acte mauvais est ou non un péché mortel. Voyons-en les conditions principales et nous aurons acquis en cette matière les principaux discernements.

Il faut tout d’abord prendre garde que l’objet de la charité est Dieu, mais aussi le prochain aimé selon Dieu. Il est impossible de ne pas aimer le prochain et cependant d’aimer Dieu ; c’est ici que la théologie rejoint le mot célèbre de saint Jean : « Celui qui dit aimer Dieu et n’aime pas son frère est un menteur. » Rompent donc le bon ordre de la volonté à la fin dernière les péchés contraires directement à l’amour de Dieu, mais aussi les péchés contraires à l’amour du prochain. Les deux amours n’en sont qu’un seul et nos frères sont à notre premier amour un objet inséparable de Dieu. Dans la Somme, on trouvera la liste et l’étude des péchés contraires à l’amour du prochain au traité de la charité. II 3 - !  ! 86, q. xxxiv-xliv. Il faut ensuite remarquer qu’il n’en va pas de la charité comme d’une vertu particulière, à laquelle sont contraires seulement les vices regardant le même objet. L’amour institue entre ceux qu’il unit un régime de relations que l’on ne méconnaît qu’au mépris de l’amour même : le parjure, par exemple, et l’adultère sont des péchés mortels, car il n’est pas possible de prendre Dieu à témoin d’une fausseté et de l’aimer, d’aimer son prochain et de lui faire cet outrage. Ces

actes proprement contraires à la religion ou à la justice sont en même temps contraires à la charité. En outre, l’amour de Dieu emporte l’adhésion aux volontés divines, quelque matière qu’elles concernent : Est igitur de ratione caritalis ut sic diliyat Deum quod in omnibus Délit se ei subjicere et prxceptorum ejus reyulam in omnibus sequi. Ibid., q. xxxiv, a. 12. Sont donccontraires à la charité les actes contraires aux préceptes exprimant les volontés divines. On reconnaîtra cette contrariété selon la nature même de l’acte commandé : car il y a certainement une proportion entre la bonté de cet acte et l’imposition que Dieu nous en fait : Quia cum voluntas Dei per se feratur ad bonum, quanta uliquid est melius, tanto Deus vult iltud magis impleri. Ibid., q. cv, a. 2. Il faut enfin considérer que Dieu a établi entre les hommes la hiérar : hie des supérieurs et des sujets : on enfreint donc la volonté de Dieu si l’on transgresse les préceptes de ceux qui le représentent auprès de nous ; sans compter que l’on contrarie du même coup l’amour que l’on doit à ce prochain. Le discernement du péché mortel est ici moins assuré : car on jugera de ces préceptes selon la volonté des législateurs, et ceux-ci ne mesurent pas nécessairement leur volonté sur la bonté de ce qu’ils commandent : Et ideo ubi obligamur ex solo homini.% preecepto non est gravius peccatum ex eo quod majus bonum præteritur, sed ex eo quod præteritur quod est magis de intenlione præcipientis. Ibid. On appréciera cette intention selon les paroles mêmes du législateur, ou les peines dont il menace la transgression de la Ici, ou même, dans une mesure, selon l’importance de la matière en cause. Car de bons théologiens estiment que le législateur, astreint aux règles de la prudence, ne peut arbitrairement attacher une obligation rigoureuse à une matière insignifiante (Salmanticenses, disp. XIX, n. 27) : ses lois alors ne seraient plus de vraies lois. Sur tout ce paragraphe : Salm., disp. XIX, n. 25-32.

Il n’y a rien ici qui ne soit rigoureusement conséquent avec l’idée d’abord proposée du péché mortel. Il serait important, pour l’éducation des consciences, qu’on ne s’en tînt pas à enseigner des catalogues fixés de péchés mortels, mais que l’on découvrît le rapport de ces actes avec la fin dernière, qu’ils contrarient. Un acte n’est pas tenu pour péché mortel arbitrairement : il porte en lui cette opposition funeste avec le principe même de la vie morale, auquel il faudrait que nous fussions par-dessus tout attachés. Pour les théologiens, il leur appartient d’apprécier le rapport de tel acte humain avec la fin dernière et de déceler en lui, s’il y a lieu, et par des voies peut-être complexes, cette opposition. Mais il semble qu’on leur puisse recommander en cette entreprise la sobriété. A partir d’un certain point du moins, les déterminations sont difficiles et ne s’autorisent plus guère que de la quantité des opinions. On peut se demander dans quelle mesure cette poursuite audacieuse du mortel et du véniel parmi l’infini détail des actions humaines représente un progrès de la science morale. Et l’on songe à cette parole, redoutable à la fois et apaisante, de saint Augustin : Quæ sint levia, quæ gravia peccata, non humano sed divino sunt pensanda judicio. Enchiridion, lxxviii, P. L., t. xl, col. 269.

L’objet de l’acte humain est donc propre à conférer à celui-ci cette efficacité de briser le rapport de la volonté humaine avec la vraie fin dernière. De tels péchés mortels le sont ex génère. Mais si l’objet mauvais de l’acte ne l’est pas à ce point, il donne lieu à un péché véniel ex génère.

2. L’acte.

Mais il se peut qu’un même objet mauvais donne lieu tantôt à péché mortel, tantôt à péché véniel, selon des conditions relatives à l’acte lui-même.