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PÉCHÉ. LES PÈCHES CAPITAUX


Les péchés causant d’autres péchés.

On ne relève

pas ici, outre celles que l’on vient d’exposer, une nouvelle catégorie de causes du péché. Mais on signale, à l’origine des actions qui nous mettent en la disposition de pécher, la présence possible de péchés antérieurs. Une théologie systématique assume de cette façon maintes données de la tradition chrétienne où sont dénoncés les rapports de certains péchés entre eux ; en même temps qu’elle introduit dans ce royaume du désordre certaines lois qui le réduisent mieux à notre connaissance. Sont retenues ici, comme objet d’examen, la connexion établie par la sainte Écriture entre la cupidité et tous les péchés, entre l’orgueil et tous les péchés, et la théorie des péchés capitaux.

1. La cupidité.

Saint Paul a dénoncé la cupidité comme la racine de tous les péchés. I Tim., vi, 10. Comment le comprendre ? Le mot de cupidité de soi souffrirait plusieurs sens. Par une méthode remarquable, saint Thomas l’interprète selon le contexte ; et il l’entend comme l’amour désordonné des richesses. Le grec quXapyupîa lui donne nettement raison. Cette cupidité est la racine de tous les péchés en ce sens que les richesses, qu’elle convoite, permettent l’assouvissement de tous les appétits, et non seulement en choses matérielles ; qu’est-ce qui ne s’achète pas en ce monde ? Pecuniæ obediunt omnia, disait l’Ecclésiaste, x, 19. La causalité, ici considérée, est bien exprimée par ce mot de racine : de la richesse, toute sorte de péchés tireront leur substance, comme de la racine toutes les parties de l’arbre tirent leur aliment. On n’entend d’ailleurs avancer ainsi qu’une loi morale, et qui se vérifiera souvent, mais non infailliblement. Notre théologie rencontre exactement la pensée de l’auteur inspiré : Nam qui volunt diviles fieri, dit le ꝟ. 9, incidunt in tenlationem et in laqueum diaboli et desideria mulla inutilia et nociva quæ mergunt homines in interitum et perditionem. A la faveur de cette formule, la théologie a ainsi retenu l’un des avertissements les plus constants du christianisme, qui redoute les richesses comme l’un des dangers du royaume des cieux. Le vœu de pauvreté, essentiel à l'état religieux, n’est pas étranger à ce sentiment. On distinguera le cas allégué ici de celui de l’avarice tenue pour péché capital. Ia-IIæ, q. lxxxiv, a. 1 ; cf. Ila-II*, q. exix, a. 2, ad lum. Pour l’exégèse du texte de saint Paul, on peut voir M. Meinert, Die Pastoral briefe des ht. Paulus, Bonn, 1931, p. 73-74, la note Irrlehre und Habsucht ; sur la pensée ici engagée : L. Rohr, Die soziale Frage und das Neue Testament, Munster, 1930.

Il n’y a pas de rapport, on le voit, entre la considé ration que nous venons de dire et la théorie augustinienne de la cupidilas, où le mot possède un sens beaucoup plus ample et intéresse l’origine du péché plus profondément : il se rencontre plutôt avec cette conversion déréglée vers quelque bien dont nous avons dit que tout péché la comporte premièrement, ou avec cet amour de soi d’où nous devons redire à l’instant que tout péché procède. Sur cette notion augustinienne et sa place dans la théorie du péché : Mausbach, op. cit.. i. [. p. 222-229.

2. L’orgueil.

Un verset de l’Ecclésiastique, x. 15, énonce, dans la Vulgate, que l’orgueil est le commencement de tout péché, inilium munis peccati superbia. Le contexte consulte avertit saint Thomas d’entendre Ici l’orgueil comme péché spécial, c’est-à-dire l’amour désordonné de la propre excellence. Il commence tout péché, en ce sens que tout péché poursuit, dans le bien ou il s’attache, une satisfaction et une perfection du pécheur ; aussi bien n’est-il aucun péché qui ne puisse devenir formellement péché d’orgueil. Tandis que la

cupidité fournit la facilite de pécher. l 'orgueil rend l’homme sensible a l’attrait des biens périssables, lai « et effet se révèle l’un des modes de la primauti d<

1 l’orgueil sur tous les péchés (voir ce mot). Le texte grec ne prête pas à cette systématisation de la théologie, puisqu’on y dit, à l’inverse, que le commencement de l’orgueil est le péché. Voir Swete, The Old Testament in Greek, Cambridge, t. u.

3. Les péchés capitaux.

La cupidité et l’orgueil, dont on vient de dire l’influence, pourraient à ce titre passer pour péchés capitaux : leur nom propre cependant est racine et commencement ; la théologie réserve celui-là à des péchés exerçant une causalité qu’elle a soigneusement définie.

La théorie théologique des péchés capitaux conclut une longue histoire. Le mot est ancien, ainsi que l'énumération de péchés auxquels on l’applique. Mais sa signification n’est pas constante. Dans l’ancienne discipline pénitentielle, les péchés capitaux, dont la liste est d’ailleurs variable, sont les péchés dont la rémission ne s’obtient que par pénitence publique. Voir art. Pénitence. Tertullien voit, dans le bain sept fois renouvelé de Naaman le Syrien, le symbole de la purification des péchés capitaux des gentils, qui sont l’idolâtrie, le blasphème, l’homicide, l’adultère, le stupre, le faux témoignage, la fraude. Adv. Marc, t. IV, c. ix, P. L. (1844), t. ii, col. 375. Chez Origène, qui dénombre par ailleurs de certaines inclinations mauvaises comme les principes des péchés (à chacune desquelles est préposé un démon particulier), l’expression de péchés capitaux prend l’acception spéciale de péchés de la tête, telle l’hérésie et autres fautes semblables. In Levil., viii, 10, 11, P. G., t.xii, col. 502 B et 506 A. Sur Origène et Tertullien, voir Cavallera, art. cit., 1930, p. 49-63. Le septénaire des péchés capitaux, tel, ou à peu près, que l’ont consacré la théologie et avec elle la morale populaire, la littérature et les arts, remonte à des auteurs comme Cassien, saint Jean Climaque et saint Grégoire le Grand ; Hugues de SaintVictor, dans ses Allegorise in Novum Testamentum, et Pierre Lombard, // Sent., dist. XL II, contribuèrent principalement à l’imposer à la pensée médiévale. Sur la formation et l’histoire de cette liste, on trouvera un exposé copieux dans Ruth Ellis Messenger, Ethical teachings in the latin hymns of mediseval England, NewYork, 1930.

Sur ce thème, la théologie va raisonner. Elle nous laissera le bénéfice d’une définition précise du péché capital, à partir de cette dénomination même, et d’une justification critique de rénumération des sept péchés capitaux.

Saint Thomas inaugure son élaboration par l’examen de ce mot de capital ; il s’attache en cela au vocable usuel plutôt qu'à celui de saint Grégoire. Pour ce Père, les péchés en question sont les principaux, et il les représente comme les guides, duces, de cette innombrable armée du vice dont l’orgueil est le roi. Entre les acceptions auxquelles le mot de luimême se prête, saint Thomas retient celle qui dérive du sens métaphorique du nom, d’où vient l’adjectif. Et le péché capital prend ainsi rang de chef ou de principe par rapport a d’autres péchés. Or, il y a pour un péché diverses manières de procéder d’un autre. Soit que celui-ci devienne cause efficiente, ou bien par

soi : lacté d’un péché crée l’Inclination à le reproduire,

et la relation est ici établie entre péchés de même espèce ; ou bien par accident : un péché ôtant la grâce ou la crainte, ou la pudeur, ou généralement tout ce qui relient de pécher, permet que l’on tombe en tout autre péché. Soll qu’il devienne cause matérielle, en

ce qu’il fournit matière à un autre péché : comme

l’avarice d’où viennent querelles et chicanes, soit

qu’il devienne cause finale, en ce qu’il représente un bien en VUC duquel est commis un autre péché ainsi l’ambition cause la simonie ou l’avarice, la fornication. De ces diverses dépendances, seule la der*