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ORDRE. LA REFORME GRÉGORIENNE


fondamentale inaugurée par Bernold. Il y a, en réalité plus de nuances à observer dans la pensée d’Urbain II.

Tout au début de son pontificat (1088-1099), Urbain II, en effet, fait une condition privilégiée aux sacrements conférés par des ministres précédemment catholiques et non simoniaqucs. Il admet que les sacrements donnés par de tels ministres intra ou extra Ecclesiam sont de même nature, tous valides et complets. Quant aux sacrements administrés en dehors de l'Église, par des ministres ordonnés extra Ecclesiam, il les considère (l’eucharistie exceptée) comme valides, mais incomplets C’est la théorie que M. Saltet appelle de Vordinatio catholica. Cette doctrine que nous connaissons surtout par Bruno de Segni, Comment. in Johannem, P. L., t. clxv, col. 533, est à la base d’une courte réponse faite par Urbain II à l'évêque Anselme de Milan : eorum qui in Ecclesia ordinati sunt, sed ab Ecclesia per scismata discesserunt, non exsufllamus. Sur le sens de ce dernier mot, voir Saltet, op. cit., p. 225-227.

Postérieurement, Urbain II a été amené à identifier la condition des sacrements administrés en dehors de l'Église, que le ministre ait été ou non précédemment ordonné dans l'Église. Ainsi, désormais, pour lui, tous les sacrements administrés en dehors de l'Église sont valides, mais incomplets. L’idée de l’ordinatio catholica semble abandonnée, au moins partiellement. Urbain lui substitue la doctrine, qu’il croit trouver chez les Pères, de la forma et de la virtus sacramenti II lui semble que ce fondement patristique est très bien exprimé dans la phrase suivante de Léon le Grand : Hi qui baptismum ab hæreticis acceperunt, cum baptizati antea non fuissent, sola Sancti Spiritus invocatione, per impositionem manuum, conflrmandi sunt, quia formam tantum baptismï sine sanctificationis virtute sumpserunl. Epist., CLIX, 7, P. L., t. liv, col. 1139.

Si forma signifie le caractère sacramental, la formule est parfaite. Mais au xie siècle, elle n’a pas été comprise en ce sens : on n’a vu dans la forma que le rite matériel, extérieur. D’après le cardinal Humbert, voir col. 1287, il dépendrait de l'Église d’admettre la forma du baptême donné par un hérétique ou de la rejeter ; ainsi, la notion de forma fut étendue bientôt à l’ordination conférée par les hérétiques. Nous avons vu que Bernold avait d’abord pensé qu’il dépendait de l'Église d’accepter ou de réitérer cette forma, laquelle, en somme, est une réalité extérieure qui n’engage pas Dieu ni l'Église à grand’chose. LIrbain 1 1 s’inspire de ces principes pour proclamer que les ordinations et autres sacrements conférés par des ministres criminels, mais appartenant à l'Église, doivent être tenus pour valables ; que les ordinations et autres sacrements conférés par des hérétiques ou des schismatiques possèdent la forme des sacrements, sans en avoir l’efficacité, et que cette efficacité ne pourra s’exercer que par le retour à l'Église dans l’imposition des mains, Epist. ad Lucium, P. L.. t. en, col. 531, et Urbain prétend s’appuyer ici sur l’autorité de Pelage, Grégoire le Grand, Cyprien. Augustin, Jérôme.

Cette doctrine de la forma sacramenti comporte de gTaves défauts. On peut se demander en quoi elle consiste ? que valent les sacrements réduits à cette seule forme ? quelle sera la manière de la compléter pour rendre aux sacrements leur virtusl En ce qui concerne l’eucharistie, il semble bien que, réduite à la forma sacramenti, l’eucharistie ne comporte plus la présence réelle ; cf. Gerhoh, De scismalicis, dans Mon. Germ. hist., Libelli, t. iii, p. 127, 261. On comprend donc les hésitations d’Urbain II. « Il a admis, en théorie, que tout sacrement administré en dehors de l'Église manque de la virtus sacramenti, conformément à la

lettre à Lucius de Pavie ; en pratique, il a considéré comme très différents les sacrements administrés en dehors de l'Église, suivant l’origine de la consécration du ministre. Comment expliquer cette inconséquence ? Il semble bien que ce soit à cause de l’idée très défavorable que les théologiens d’alors se faisaient de la forma sacramenti : c'était une réalité purement extérieure que, suivant Bernold, première manière, et le cardinal Deusdedit, l'Église peut accepter ou réitérer : c'était donc un prope nihil comme certaine entité scolastique. Pour LIrbain II, c'était davantage : une réalité qui empêchait la réitération du sacrement. Pareille réalité, même ainsi affermie, était cependant trop réduite pour qu’Urbain II se résignât à ne voir qu’elle dans les sacrements administrés hors de l'Église par des ministres précédemment catholiques. Le seul fait de sortir de l'Église ne lui paraissait pas avoir une telle influence sur les sacrements conférés par un seul et même ministre. » Saltet, op. cit., p. 230.

La doctrine de la forma sacramenti amène Urbain II à réconcilier les prêtres et évêques ordonnés par des excommuniés par la réitération de tous les rites de l’ordination, sauf l’onction. Voir les références dans Saltet, op. cit., p. 233. C’est équivalemment déclarer que l’onction est le rite essentiel de l’ordination des évêques et des prêtres. Cette doctrine du rite essentiel de la consécration, qui contraste si fort avec les enseignements de l’antiquité, se retrouve plus tard dans un texte de Gratien et chez Maître Bandinus, P. L., t. cxcii, col. 1104. Cette théorie fut conçue par analogie avec le rite de la réconciliation des laïcs, lequel dans l'Église latine, ne comportait aucune onction, mais la seule imposition des mains. Par contre, les ordinations des diacres, où n’intervenait aucune onction, étaient purement et simplement réitérées. Voir le cas classique du diacre Daibert, dans Yves de Chartres, Panormia, III, lxxvi, P. L., t. clxi, col. 1147 sq. Yves de Chartres acceptait lui-même la réordination. Toutefois Yves insiste à plusieurs reprises sur un texte d’Augustin qui place la valeur du sacrement en dehors de la dignité du ministre. Op. cit., III, lxxix ; Decretum, II, c. c ; Epist., lxiii, P. L., t. clxi, col. 1148, 187 et 80.

Telle était la doctrine de la forma sacramenti, dans laquelle il ne semble pas qu’on doive chercher, avec le P. Hurter, Theologiiv dogmaticæ compendium, t. iii, p. 224, Innsbruck, 1900, l'équivalent de notre doctrine actuelle de la reviviscence de la grâce. L’interprétation que nous avons donnée, après M. Saltet, semble tellement s’imposer, qu’elle est la seule qui puisse se concilier avec les décisions du concile de Plaisance (1094) relatives aux ordinations faites par des excommuniés.

6. La théologie de Bruno de Segni.

Aux décisions

d’Urbain II se rattache la théologie de son confident, l'évêque de Segni. Théologie sacramentaire assez curieuse, et surtout confuse. Bruno admet que toute ordination simoniaque donne la forma sacramenti ; mais quand il s’agit d’expliquer comment un simoniaque peut conférer la grâce à un ordinand de bonne foi, il laisse de côté le pouvoir d’ordre du consécrateur et rattache l’effet de l’ordination à la foi de l’ordinand et à celle de l'Église.

Une première interprétation de cette idée serait que Bruno reconnaît comme seules valides, les ordinations faites aux ordinands de bonne foi ; cf. Gigalski, Bruno, Bischof von Segni, Munster, 1898, p. 184. Cette interprétation est inadmissible ; elle supposerait que Bruno n’admet pas chez les évêques simoniaques la forma sacramenti. Il vaut mieux dire que l’efficacité ex fide suscipientis concerne, non la forma sacramenti, qui est toujours donnée, mais la grâce. Cf. Saltet, p. 253.