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PAUL (SAINT). LE ROYAUME DU FILS


ont entendu èv <xùtô> du v. 16 dans le sens de cause exemplaire : « Dans le Christ tout était à l’état d’idée. » Il était l’archétype de l’univers, l’esprit éternel contenant la représentation de toutes choses, ou « les choses dans leur idée », le xocsjjioç votjtoç. Lors de la création, les choses ont reçu une existence indépendante du Christ.

Mais peut-on expliquer saint Paul en lui appliquant si rigoureusement les catégories de la philosophie alexandrine ? Il ne semble pas. L’expression « en lui », au t. 16, traduit plutôt une idée bien paulinienne : le Verbe incarné est, relativement à l’univers, TrâvTa, ce qu’il est par rapport à l’Église dont il est le chef. Dans l’ordre spirituel, tout est « dans le Christ, èv XpioTcô » ; il en est de même dans l’ordre de la création. L’univers aussi est « dans le Christ », ayant été créé par lui et pour lui, et subsistant en lui. Le Christ est ainsi le chef et le roi du monde, comme il est la tête de l’Église. Cf. Eph., i, 10.

En effet, « tout a été créé par lui » comme cause instrumentale, lorsque l’univers a reçu l’existence. De plus, "tout a été créé pour lui » ; c’est-à-dire tout a été ordonné au Christ comme fin, parce qu’il est la source de la perfection des êtres, qui doivent tendre à lui. Cf. Hebr., Si’Sv, ii, 10 ; Apoc, xxii, 13 ; I Cor., xv, 24, 23, et surtout I Cor., viii, 6, et Rom., xi, 36. Le Christ remplit ainsi le rôle de toute cause, dans l’ordre d’origine, d’existence, de finalité ; il « existe » avant tout, ëariv 71pô tcixvtcov ; cf. Joa., viii, 58 : « Avant Abraham., je suis. » Enfin « tout subsiste, auvsa7Y)X£v, en lui ». Cela résulte du fait que tout a été créé en lui et par lui. Il est comme le lien qui unit, et maintient dans l’existence et la cohésion, tous les êtres.

On comprendra mieux saint Paul en comparant sa doctrine aux spéculations philosophiques sur le A6yoç et son rôle dans la création. Voici comment Philon entend ce rôle : « Le monde des idées, tô>v îSewv xôctjxoç, n’a point d’autre lieu, si ce n’est le Logos divin qui les a ordonnées, xaûxa 81.axoa[i.Y)cravTa. » De mundi "pif., 20 ; cf. ibid., 24, où le Aoyoç est le xôay.oç voyjtoç, Ht ailleurs : « Toutes les pensées qu’il (Dieu) conçoit, tsktt), il les dispose avec ordre dans le Logos, comme dans une demeure, èv otxco. » De migrât. Abraham, 4. Et encore : « Car ce monde est le fils de Dieu le plus jeune, vecoTepoç ulôç Osoû, étant sensible ; quant à l’aîné, Trpsa6uTspov, le monde intelligible, Dieu l’ayant jugé digne d’honneur, il a résolu de le faire rester auprès de lui. » Quod Deus sit immutabilis, 31.

Saint Hippolyte explique ainsi ce rôle du Aoyoç dans la création : « Celui-ci donc, Dieu unique et absolu, xarà tcxvtcov, engendre d’abord un Verbe, l’ayant conçu dans son esprit, èvvoTjOsîç, non un Verbe comme une voix, cpcovrjv, mais une pensée ordonnatrice de tout, èvSiâŒTOv toô roxvTÔç Xoyicrjxôv. Il l’a engendré le seul des êtres, toutov jjiôvov zï, ovtcov èyévva. Car le Père lui-même était l’être, lui de qui provenait ce qui était engendré, et le Logos était la cause des choses devenues (créées), portant en lui le vouloir de celui qui l’avait engendré, et n’ignorant point la pensée du Père. Car, tout en procédant, ixposXGstv, de celui qui l’engendrait, étant son premier-né, upoTÔToxoç, il avait en lui-même, comme une parole, les idées préconçues dans le Père. D’où, lorsque le Père ordonna que le monde fût, le Logos exécuta une à une les choses qui étaient le bon plaisir divin. » Elenchos ( Philosophoumena), x, 33, éd. Wendland, p. 289. Cf. Gen., i, 3-31.

Sur la causalité du Christ, on peut encore rapprocher saint Paul des passages suivants : « èx 6eoij xà r : âvTa, xal Sià 0sot> fjji.ïv auvsaTYjxsv », pseudo-Arislote, De mundo, vi, 471 ; « ÇuvsaTy.vc.i tco toû oùpavoù 81q|jUoupyÇ> aÙTÔv te xal Ta Iv « ùtù », Platon,

Republ., 530 a ; « la masse sanguine, d’elle-même corruptible et morte, subsiste, auvécrt--/)xsv (se tient ensemble) et est vivifiée par la providence, TtpovoÉa, de Dieu », Philon, Rer. div. hæres, 58. Marc-Aurèle dit en parlant de la Nature : èx ooù rolcvTa, èv aol râvra. sic oè 7tàvTcx. Pensées, iv, 23.

De tous ces passages, ceux qui offrent le plus d’analogie avec saint Paul sont ceux de Philon, car celui de saint Hippolyte suppose un développement de la théologie du Aoyoç. Mais l’Apôtre n’emprunte point ses idées à Philon. Pour marquer le rôle universel du Christ, il parle le langage philosophique en usage chez les Colossiens. Pour lui, le Christ est au-dessus de tous les êtres ou puissances ; il est cause, dans le monde, de telle sorte que rien n’échappe à son action ou à son autorité. Étant Fils de Dieu — l’Apôtre le sail indépendamment de la philosophie du Aôyoç, cf. § ii, 2°, col. 2352 et § iii, 3°, col. 2363 — il est engendré. Mais il n’est pas une créature ; il est Dieu ; en lui habite la plénitude de la divinité. Col., ii, 9. Son rôle divin est universel, dans le fait de la création comme dans la subsistance des êtres ; il est donc le maître de tout, y compris les puissances célestes, quelles qu’elles soient. Mais il est en même temps un personnage historique, qui a vécu, qui est mort et ressuscité, qui a été glorifié, et qui réside auprès de Dieu le Père. Le Christ, pour saint Paul, n’est ni la personnification d’une abstraction philosophique, ni un intermédiaire inférieur à Dieu, comme on se figurait le Logos dans la philosophie alexandrine.

Saint Paul, en parlant de la création, emploie bien le mot x-uiÇco qui, en grec classique, ne signifie pas la création proprement dite ; car les Grecs croyaient à l’éternité de la matière, et la création ne pouvait être à leurs yeux qu’une organisation. Mais, dans le Nouveau Testament, xtiÇco, XTicnç, xzlaiy. indiquent toujours la création proprement dite ; cf. Marc, xiii, 19 ; Rom., i, 25 ; I Cor., xi, 9 ; I Tim., iv, 3 ; Apoc, iv, 11 ; x, 6 ; et aussi Eph., ii, 10, 15 ; iv 24, en parlant de la nouvelle créature. C’est pourquoi l’Apôtre n’emploie pas le mot è87)[xioupyet"ro, comme Philon, Despec. leg., 1, 81 (cité plus haut). D’ailleurs, là encore les termes philosophiques n’entrent chez lui que pour servir d’expression à la révélation déjà acquise. Mais on peut dire que la révélation aussi bien que la philosophie y trouvent leur avantage. D’un côté, la révélation s’exprime dans un langage plus élevé et plus adéquat que la langue populaire ; de son côté, la philosophie v trouve une direction, une mise au point de notions incomplètes ou chargées d’idées fausses.

3° La connaissance, èiriyvcoaiç, de Dieu et la conception du salut, Col., i, 9-12. Le rôle et la place du Christ dans l’ordre du salut, celui de la nouvelle création : le royaume du Fils (Col., i, 18-23 ; Eph., i, 22 ; v, 5, cf. I Cor., xv, 24-29). — Après avoir montré le rôle et la place du Christ dans la création, la nature physique, l’Apôtre marque son rôle dans l’ordre du salut, celui de la nouvelle créature. Col., i, 18-23.

C’est le but principal de son exposé. Il veut, en effet, que les fidèles arrivent à « la pleine connaissance de la volonté de Dieu, en toute sagesse et intelligence spirituelle », afin « d’avoir part à l’héritage des saints dans la lumière ». i, 9-12. Il écrit à des chrétiens préoccupés d’atteindre à une connaissance, yvwatç, profonde de la divinité. Pour lui l’objet de cette connais sance est avant tout la « volonté » de Dieu. Par la « sagesse » et « l’intelligence », il faut viser à’une conduite morale digne du Seigneur, non à une spéculation stérile ; c’est ce qu’il entend par < progresser dans la connaissance de Dieu ». i, 10.

L’Apôtre adopte visiblement son exposé aux besoins des chrétiens. Il reprend les termes qui leur étaient chers, èTÛyvtocnç, aoepta, auvsaiç, en leur donnant