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PAUL (SAINT). LE CHRIST JÉSUS


quatrième évangile, c’est une idée courante : le Fils manifeste le Père ; en voyant le Fils on voit le Père.

On peut objecter à cette explication, avec saint Jean Ghrysostome, que, si l’archétype est de nature invisible, l’image doit être de même nature, par conséquent également invisible, sinon elle ne reproduirait pas exactement son archétype : Oùxoijv et èxeïvoç tS6pocToç, xoù aij-7) ô[i.oîtoç iôpaxoç, ÈtceI oùS’av elxùv sÏt), Hom. ni in epist. ad Col., P. G., t. lxii, col. 318.

A cette objection, on doit répondre par une distinction. Être invisible est vrai du Verbe avant l’incarnation, mais ne l’est plus après l’incarnation. La personne du Verbe incarné est réellement visible, quoique sa nature demeure invisible. Or, saint Paul parle du Verbe incarné, de Jésus-Christ. C’est le mystère de l’union des deux natures en une seule personne. Cf. Joa., i, 18 : « Personne n’a jamais vu Dieu, niais le Fils unique, qui est dans le sein du Père, celui-là l’a fait connaître (l’a manifesté). » Cf. Joa., xiv, 5 sq., et surtout 9.

On peut rapprocher la doctrine de saint Paul de celle de Philon. La philosophie alexandrine enseignait que l’on connaît Dieu parle Aôyoç ; qui lui-même est invisible d’une manière directe. Philon, De mundi opificio, 24-25, appelle image, eîxova, de Dieu, l’invisible et intelligible Logos divin ; pour lui le xôa[i.oç vo7)tôç est synonyme de Aoyoç. Ibid.

Saint Paul ne parle ni de Aoyoç, ni d’image invisible. Il laisse entendre, au contraire, que le Christ glorieux est, lui, la véritable image de Dieu. La philosophie ne lui fournit pas sa doctrine, car cette doctrine est déjà acquise ; mais elle lui offre des termes dont il précise le sens en les appliquant au Christ.

Les autres passages de Philon offrant des analogies avec la doctrine de saint Paul appellent les mêmes observations : < Le Logos, par lequel, oY ou, le monde entier, ai !)|j.7taç ô xôapioç. a été fait, è87)[i, to>pye’ÏTO (condilus est, fabricatus est), est l’image de Dieu. » De spec. lef/ibus, i, 81. « De même que ceux qui, ne pouvant voir le soleil lui-même, voient l’éclat qui émane de lui, tt)v àv6y)Xiov aùyrjv ; ainsi ils atteignent par l’intellect, xaTavooùctt., l’image de Dieu, son ange le Aoyoç, comme Dieu même. » De somniis, i, 239.

Image de Dieu, le Christ est aussi « premier-né de toute créature ».

Le mot « premier-né » se retrouve dans Heb., i, 6 : « Il a introduit le premier-né sur terre, xôv tepcototoxov. » Dans l’Ancien Testament, le terme « premier-né » est appliqué à Israël. Nous lisons dans le Ps. lxxxix, 28 :

Il m’invoquera (en disant) : Tu es mon Père, mon Dieu, et le rocher de mon salut. Et moi je ferai de lui le premier-né, le plus élevé des rois de la terre.

Il s’agit du peuple d’Israël (cf. ꝟ. 16), mais personnifié dans son roi, son Christ, ꝟ. 39, 31, de la dynastie de David, ꝟ. 4-5. Le passage est regardé comme messianique par les Juifs. Cf. rabbi Nathan, dans Shemoth Rabba, 19, fol. 118, 4.

Dans Ex., iv, 22, Israël est appelé « le fils », « le premier-né » de Dieu, c’est-à-dire peuple consacré à Dieu, choisi par lui, objet de sa sollicitude et de ses faveurs.

Dans Jérémie, xxxi, 9, Dieu dit :

J’ai été un père pour Israël,

et Éphraïm est mon premier-né.

Le terme « premier-né » pouvait donc convenir au Messie, comme au représentant le plus élevé, le plus qualifié du peuple de Dieu. Mais ce n’est pas proprement un terme messianique.

Dans le passage de saint Paul, ce terme signifierait, selon les uns, la souveraineté, la dignité éminente du Christ ayant la nature humaine ; le sens serait ana logue à i, 18, et Rom., viii, 29 : « Le premier-né d’un grand nombre de frères » ; le Christ, si on le compare aux créatures, occupe le premier rang, il en est le chef. Ainsi, le mot premier-né conviendrait au Christ comme homme et n’indiquerait nullement la génération du Verbe. Voir Knabenbauer, p. 297.

Selon d’autres, le terme signifie la priorité dans l’ordre du temps ; né, ou engendré avant toute créature. Le génitif indiquerait la priorité, comme dans Joa., i, 15 : 7rp6Jxoç jjtou^v ; xv, 18 : « Il m’a haï avant vous, èfiè 7TpwTov û(i « ôv [X£(xtCTY)xev » ; cf. Apoc, iii, 14 : « Y) àpx’Ô "ri)Ç XTiæcoç toù 0soO, le principe de la création de Dieu » ; cf. Prov., viii, 22 ; Col., i, 16 : « tout a été créé en lui et par lui », et ꝟ. 17 : « il est avant toutes choses ». Telle est l’explication de Théodoret : oùy cbç àSsXtpTjv è’^wv ttjv xtîcuv àXX’ù>ç npb nioi)ç xtlctsojç yevvyjôsiç, P. G., t. lxxxii, col. 597, et de saint Jean Chrysostome : où/l àÇîaç xal x.irç, àXXà /pôvoo (16vov èa-uv ov)|i.avTi.xôv. P. G., t. lxii, col. 319. Voir Lightfoot, Epistle to the Colossians, h. I.

Isidore de Péluse interprète le rtpcoTÔxoxoç dans le sens actif de premier auteur, Epist., iii, 31, P. G., t. lxxviii, col. 749. Saint Basile lui donne un sens analogue : le Christ est la cause qui a fait passer la créature du non-être à l’être. Contr. Eunomium, t. IV, P. G., t. xxix, col. 701.

Il n’est guère possible de justifier ces deux dernières interprétations ; 7rptùTÔTOXoç ne peut avoir un sens actif, car cela impliquerait l’idée d’un SsurepoToxoç dans le même sens. Cf. Abbott, Ephesians and Colossians, p. 212.

Quant aux deux premières interprétations, il n’est pas facile de décider quelle est celle qui représente la pensée de l’Apôtre. Aux iie et iiie siècles, le TiporÔTOxoç fut entendu du Verbe éternel par Justin, Clément d’Alexandrie, Tertullicn, Origène. Mais les ariens ayant apporté ce texte pour prouver que le Fils était une créature, leurs adversaires l’entendirent du Verbe incarné et ils expliquèrent xricnç et XTÏÇeoQai au sens spirituel de nouvelle création, xoav/) xxtaiç : saint Athanase, saint Grégoire de Nysse, saint Cyrille d’Alexandrie, Théodore de Mopsueste.

Mais il ne faut pas transporter saint Paul à l’époque des controverses christologiques. Son but est tout autre ; il ne veut point exposer une christologie pour elle-même, en marquant le rôle précis des deux natures dans la personne du Christ. Il veut mettre au point des doctrines concernant la cosmogonie et l’angélologie. Ces doctrines ne s’appuyaient point seulement sur une fausse idée du salut et du rôle du Christ dans l’ordre religieux, mais sur une philosophie ou une cosmogonie où le Christ n’avait point la place qui lui est due. L’Apôtre montre que le Christ était avant la créature, engendré lui-même par Dieu, mais n’appartenant pas au genus creationis, puisque tout a été créé par lui et qu’il est avant toutes choses, ꝟ. 16-17.

En marquant ainsi la priorité du Christ dans le temps, l’Apôtre marque également sa distinction d’avec les créatures. Cependant, pour l’Apôtre, tout cela est vrai de la personne du Christ ressuscité, qui lui est apparu, de qui il tient l’Évangile et qui est Seigneur glorieux. C’est pourquoi il ne serait pas rigoureusement exact de dire qu’aux ꝟ. 15-17 l’Apôtre parle du Verbe avant l’incarnation et aux ꝟ. 18-20 du Verbe incarné.

En outre, le Christ est l’agent de la création : « en lui tout fut créé, èxxlaQ-q », ꝟ. 16 ; « tout a été créé, ëxTiaTou (idée de permanence), par lui et pour lui. Il est avant (ou au-dessus de) toutes choses, et tout subsiste en lui », ꝟ. 17.

Il est ainsi, principe et fin de tout être ; cf. Apoc, xxii, 13 ; Heb., ii, 10 : Rom., xi, 36 ; I Cor., viii, 6 ; Joa., i, 3 ; Heb., xiii, 8. Origène et saint Athanase