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PAUL (SAINT). LA JUSTIFICATION


ixÏlxocti ». TXaaxrjptov ne doit point être pris pour un masculin, mais pour un neutre. C’était l’usage, à l’époque impériale, d’élever aux dieux des monuments appelés tXaaxrjpta, dons propitiatoires destinés à rendre la divinité favorable. Ce mot était donc tout indiqué pour désigner un moyen de propitiation. Dans les LXX, il désigne le kapporeth, ou partie de l’arche d’alliance que, l’on aspergeait de sang au jour de « l’expiation ». C’était un instrument d’expiation grâce au sang de la victime. C’est là que l’Apôtre a pris le terme et la figure pour traduire l’œuvre expiatrice du Christ. Le Christ a été établi comme un moyen permanent de propitiation et d’expiation pour les péchés. Cf. Heb., ix, 11-12 ; 15-17, 18 sq. Dieu l’a disposé comme une manifestation, une preuve de sa justice salvifique à l’égard des hommes. Son sacrifice a été accompli une fois au Calvaire, mais son œuvre expiatoire se perpétue, et l’homme y participe par la foi.

La doctrine de l’Apôtre est ainsi d’accord avec l’Ancien Testament, où le péché exigeait une réparation, peine à subir ou amende à payer. Elle l’est aussi avec l’enseignement évangélique où le péché est une dette, et la mort du Christ une rançon. Les exégètes modernes indépendants ne veulent point voir dans la mort du Christ « une expiation objective faite devant Dieu pour le péché, mais le moyen historique d’une expiation subjective qui se fait dans la conscience humaine par la foi, par la mort du vieil homme et la naissance de l’homme nouveau » ; cf. A. Sabatier, La doctrine de l’expiation, p. 79. Mais peut-on, sans faire violence aux textes, plier la pensée de l’Apôtre aux catégories de la philosophie moderne ?

La justification.

D’après Rom., iii, 21-27.

l’homme est donc justifié gratuitement par Dieu, en conséquence de l’œuvre du Christ, par la justice de Dieu communiquée à l’homme ; justice que l’homme s’approprie par la foi et qui est pour lui la source d’une vie nouvelle. Il nous sera plus facile maintenant de saisir la portée des termes justifier, justification, 81y.<zioùv, StxatcocTLi ;, dans saint Paul.

Les verbes en … - 6c> ont le sens de donner la qualité exprimée par l’adjectif qui leur correspond ; par exemple, Xeuxôw veut dire « rendre blanc’». Aixoaooj devrait donc signifier « rendre juste ». Mais quand il s’agit d’une qualité morale que l’homme n’a point le pouvoir de donner, la règle ne peut s’appliquer. C’est pourquoi, dans la langue profane, le verbe Siy.rx.161u ne signifie pas « rendre juste », mais « trouver juste ; regarder, reconnaître comme juste ». l’ar suite, il prend le sens juridique de « faire justice », acquitter ou condamner par un jugement. Toutefois, ce dernier sens — il importe de le noter — est le moins courant, tandis que les autres se rencontrent avec une grande variété de nuances.

Dans l’Ancien Testament, le mot Sixaioco signifie parfois reconnaître le droit, déclarer juste par un jugement, Ex., xxiii 7 ; Deut., xxv, 1 ; III Reg., vin, 32 (cf. II Par., vi, 23) ; Ps. lxxii, 3 ; Is., v, 23 ; l, 8 ; lui, 11 ; ou encore : donner raison, sans idée de jugement, comme dans Job, xxxiii, 32.

Le passif signifie très souvent « être juste » ; le P. Lagrange l’a bien montré dans son Commentaire sur l’épître aux Romains, p. 124 sq. (édit. 1916) ; citons spécialement Ps. xvin (xix), 10 ; l (li), 4 : « pour que tu aies raison, que tu sois juste et reconnu comme tel » (cf. Rom., ni, 4) ; Ps. cxlii (cxliii), 2 ; Is., xliii, 26 ; xlv, 25 (26) ; Mich., vi, 11 ; Ps. lxxii (lxxiii), 13 ; Eccli., ix, 12 (17) ; xxxiv (xxxi), 5. Il en est de même dans l’Apocalypse de Baruch, xxi, 9, 11, 12 ; xxiv, 1 ; li, 3, et IV Esdr., xii, 7.

Ainsi, le mot Stxatôo) n’était nullement limité à deux sens très tranchés : déclarer juste, ou rendre juste. La « déclaration » de justice, impliquait sans

doute un acte solennel, un jugement. Mais le Juif qui espérait parvenir au « salut », s’efforçait, par la pratique de la Loi, d’ « être juste » déjà en cette vie, d’être reconnu, trouvé juste aux yeux de Dieu déjà en ce monde, avant le jugement ; cf. Luc, i, 6 : Dieu reconnaissait comme justes Zacharie et Elisabeth, et ils « étaient justes à ses yeux ».

Si l’on veut préciser le sens des mots « justifier ». « être justifié », il faut donc avant tout distinguer entre la perspective eschatologique et la perspective terrestre. S’il est vrai que le sens est celui de « déclaration de justice » au dernier jour, quand il s’agit du jugement final, comme dans Rom., ii, 12-13, par contre, on ne voit pas ce que signifierait une déclaration au sens forensique, lorsque la pensée se tient en dehors de cette perspective ; ce qui est précisément le cas pour la plupart des textes de saint Paul.

Si Dieu justifie l’homme, c’est qu’il le reconnaît juste, qu’il le trouve juste à ses yeux d’une justice réelle. Cette manière d’entendre la pensée de l’Apôtre s’accorde avec la doctrine de l’Ancien Testament et du judaïsme. Mais, pour l’Apôtre, l’homme trouvé juste devant Dieu, reconnu juste par lui dès ici-bas n’est point juste de la justice de la Loi, justice propre ; il est juste de la « justice de Dieu ». Cette justice de Dieu est donnée à l’homme, autrement Dieu reconnaîtrait juste à ses yeux celui qui ne l’est pas, ce qui serait une absurdité. Dieu ne saurait donc justifier l’homme sans le rendre juste de sa propre justice. C’est en s’appuyant sur ces principes qu’il faut comprendre les textes des épîtres où se rencontrent les mots 8(.xaiôa>, Sixodcomç.

Voyons d’abord les cas où la justification a le sens eschatologique. Les textes sont peu nombreux et pas tous concluants. D’abord Rom., ii, 13, le plus caractéristique. Ici, la justification est l’antithèse de la condamnation, t. 12 ; la perspective est celle du jugement.

Peut-être en esfc-il de même dans Rom., ni, 20, et Gal., ii, 16 ; mais ici il n’est pas clairement question d’une déclaration de justice au dernier jour ; c’est plutôt l’affirmation du principe général que l’homme ne saurait ni être juste, ni reconnu comme tel « devant Dieu », c’est-à-dire être effectivement juste.

Dans Rom., iii, 30, le verbe étant au futur pourrait s’entendre au sens eschatologique, mais il peut signifier aussi la règle, le principe d’après lequel Dieu justifiera désormais l’homme, par opposition à l’ancienne économie, celle de la Loi : les Juifs comme les Gentils seront justifiés en raison de la foi.

Dans Gal., v, 5, « l’espérance de la justice » est-elle une notion eschatologique ? Si l’on fait de la i justice » l’objet de l’espérance, on a un concept eschatologique. Mais il n’est point dans la ligne de la pensée de l’Apôtre ; car ici la justice est une garantie de l’espérance, c’est-à-dire des biens que l’on espère pour le monde futur ; c’est donc une justice actuelle. Si le texte avait une portée eschatologique, il ne pourrait viser qu’une constatation de justice, non une possession de la justice.

On invoque souvent I Cor., iv, 4, comme ayant un sens eschatologique : « Quoique je ne me sente coupable de rien, je ne suis pas pour cela justifié : mon juge, c’est le Seigneur. » La mention du Seigneur comme juge, et celle de son retour suggère un sens eschatologique. On ne peut méconnaître que ce sens soit dans la pensée de l’Apôtre au ꝟ. 5. Mais en est-il nécessairement de même au ?. 4 ? Ce n’est point évident. L’Apôtre a conscience d’avoir bien rempli sa charge, mais cela ne prouve pas qu’il doive « se tenir pour juste » à cause de cela. Il laisse au Seigneur le soin d’apprécier sa conduite. Il n’y a point là une doctrine sur la justification.