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PAUL (SAINT). LA JUSTIFICATION, SA NÉCESSITÉ


tiel. A ne considérer que l’individu, il est vrai de dire que la vérité religieuse s’altère parfois sous l’influence des passions. Mais saint Paul retrace plutôt l’histoire de l’humanité : Dieu s’est manifesté aux hommes par ses œuvres, mais les hommes, par leur faute, ont rejeté cette « vérité de Dieu », ꝟ. 25. Pour les punir, Dieu les a abandonnés à leurs passions. La faute initiale est donc une faute d’ordre intellectuel. Sans doute, saint Paul ne dit point qu’ils auraient été à l’abri des passions et qu’ils n’auraient pu pécher s’ils avaient accepté la vérité religieuse ; il n’adopte point la théorie de Socrate que tout péché vient d’une erreur de l’intelligence. Mais il laisse entendre que Dieu aurait ménagé aux hommes son concours en leur donnant sa grâce. La méconnaissance des vérités religieuses est donc le principe de la dépravation morale. La sollicitation au mal n’est plus maîtrisée par la croyance religieuse et l’homme n’est plus soutenu par Dieu.

Telle est bien la pensée de l’Apôtre. Mais l’historien se demandera si ce réquisitoire n’est pas injuste à l’égard du paganisme. Les païens ne confondaient point les idoles avec la divinité. Et puis les religions païennes étaient-elles une cause d’immoralité ? N’enseignaient-elles pas, au contraire, une morale parfois très élevée ?

En fait, les philosophes distinguaient bien la divinité de ses représentations. Mais ces images des dieux, en multipliant ou en divisant, pour ainsi dire, la divinité, lui enlevaient son véritable caractère et la rabaissaient au niveau de l’homme. Bien plus, elles la représentaient dans des formes ou des attitudes qui n’étaient nullement faites pour en donner une idée élevée. Ainsi, le peuple en était arrivé à regarder le dieu comme habitant dans sa statue ou son temple, et s’identiflant presque avec sa représentation. Par ailleurs, il n’y avait rien dans le culte qui pût retenir sur la pente du mal ; rien qui communiquât de l’énergie pour résister aux passions. Au contraire, les récits mythologiques, les représentations et les discours obscènes favorisaient la dépravation des mœurs. De plus, les rites des mystères n’exigeaient aucune disposition morale. Ils étaient censés agir d’une façon mécanique ou magique. La philosophie prêchait bien une morale et mettait la divinité au-dessus de ses symboles grossiers. En pénétrant dans les religions au I er siècle, elle devait les relever un peu. Mais, au temps de saint Paul, elle avait peu d’influence sur les religions positives, car celles-ci n’étaient point liées à une conception morale. D’ailleurs, le tableau des mœurs païennes tracé par les moralistes n’est guère moins sombre que celui de saint Paul.

Toutefois, il importe de le remarquer, l’Apôtre parle non à la façon d’un historien qui aurait analysé et comparé les diverses formes religieuses de l’antiquité ; mais il agit en prédicateur et en apôtre. Il connaît bien la société païenne de son temps. Il a observé, au cours de ses voyages, la faiblesse et la déchéance de l’homme qui n’a pas la notion du vrai Dieu. Il porte sur le polythéisme un jugement d’ensemble, qui est à la fois celui du juif éclairé par la révélation d’Israël et celui du chrétien instruit des desseins de Dieu sur le salut de l’humanité.

2. Après le procès des païens, celui des Juifs. — La condition des Juifs à l’égard du salut n’est guère meilleure que celle des « gentils ». Le Juif se donne le rôle de juge. N’a-t-il pas la Loi dont la pratique lui garantit le salut ? A ses yeux, les païens sont des pécheurs, puisque, n’observant pas la Loi, ils ne font pas la volonté de Dieu. Voir plus haut, col. 2368 sq. Ils sont donc voués à la condamnation. Or, le Juif lui-même est sous le coup de la condamnation. En jugeant les autres, il se condamne lui-même, car il

commet les mêmes fautes qu’eux ; Rom., ii, 1. Il n’échappera pas au jugement de Dieu, ꝟ. 3 ; car Dieu, dans sa bonté, l’invite au repentir, mais lui, « par son endurcissement et son cœur impénitent, amasse un trésor de colère pour le jour de la colère et du juste jugement », ꝟ. 5. A ce jugement, chacun recevra selon ses œuvres, soit la « vie éternelle », soit la « colère et l’indignation », ꝟ. 7, 8 : « Tribulation et angoisse à toute âme d’homme qui commet le mal, au juif d’abord et au païen. Mais gloire, honneur et paix, à tout homme qui accomplit le bien, au juif d’abord et au païen, car Dieu ne fait pas acception de personnes », ꝟ. 9-11.

Une telle déclaration était de nature à froisser profondément l’amour-propre des Juifs. Gomment les païens pouvaient-ils faire le bien, eux qui n’avaient pas la Loi ? Saint Paul a prévu l’objection. Les païens ont, eux aussi, une loi : leur conscience. Ils seront jugés d’après cette loi, ꝟ. 12-16. Il ne suffit pas d’entendre lire ou expliquer une loi pour être justifié, comme le pensent beaucoup de Juifs ; il faut l’observer. « En effet, lorsque des païens qui n’ont pas de loi [positive] observent naturellement, cpûaei, les préceptes [essentiels] de la Loi, rà toù v6jaou, ceux-là. sans avoir de loi, sont à eux-mêmes une loi, car ils montrent que les prescriptions de la Loi sont écrites dans leurs cœurs : leur conscience en témoigne, ainsi que les pensées, tûv XoYiofxûv (les pensées de chacun, ou celles des autres hommes ?), qui tantôt les accusent et tantôt les défendent : [cela apparaîtra] le jour où Dieu jugera les actions secrètes des hommes, d’après mon évangile, par Jésus-Ghrist », ꝟ. 14-17.

Il y a donc des païens — l’Apôtre ne dit pas : les païens — qui observent parfois, ôtocv, naturellement les préceptes de la Loi. Il ne s’agit point de tous les préceptes de la Loi, mais des préceptes essentiels dictés par la nature indépendamment de la connaissance ds la loi écrite ; cf. ꝟ. 15. Le mot (pôaet, naturaliter, ne signifie point " par les seules forces de la nature, sæn la grâce ». Il marque simplement que les païens n’ont point eu, de ces préceptes, une révélation spéciale comme celle de la loi mosaïque ; (poæi porte sur la connaissance, non sur l’observance : toïç èx çôaeoç XoyiCTfxoïç, secundum naturalia ratiocinia, dit saint Jean Ghrysostome, h. L, P. G., t. lx, col. 428 ; cf. saint Thomas, h. I. : Per legem naturalem ostendentem eis quid sit agendum, édit. Vives, t. xx, p. 417.

Les pélagiens abusèrent de ce texte de l’Apôtre pour établir que l’homme pouvait, par les seules forces de la nature, observer les préceptes. Saint Augustin leur répondit qu’il s’agissait de l’action de la nature sous l’influence de la grâce. Cf. Cont. Jul., IV, ni, 25, P. L., t. xliv, col. 750.

En réalité, saint Paul ne fait nullement la psychologie des rapports entre la volonté et la grâce ; il indique seulement le principe de la connaissance qui est le point de départ de l’action. Cette lumière de la raison servira de fondement au jugement que Dieu doit porter, par le Christ Jésus, au dernier jour. Tout cela ressort clairement du ꝟ. 15. D’ailleurs, ni la Loi, ni la nature ne donnaient la force d’observer leurs prescriptions ; cf. Gal., iii, 21-22 ; II Cor., iii, 5 sq. ; Rom., vii, 25 ; Gal., ii, 16.

Les païens dont parle l’Apôtre ne sont ni des païens convertis au christianisme, ni des idolâtres ; car, dans ce dernier cas, ils retomberaient dans la catégorie de ceux qu’il condamne, i, 25, pour avoir « échangé la vérité de Dieu contre le mensonge ». Il faut donc supposer qu’il s’agit de « gentils » monothéistes, croyant au vrai Dieu et observant les préceptes de la loi naturelle. L’Apôtre avait dû en rencontrer plus d’un au cours de ses missions.

En suivant la loi naturelle, les païens montrent que