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PAUL (SAINT). L’EUCHARISTIE
« repas du Seigneur », voulait dire, sans doute, que ce

repas avait été institué par le Seigneur. Mais il voulait noter aussi, qu’en y prenant part, on était uni à lui ; qu’on participait à son corps et à son sang. Ainsi, ce repas était celui du Seigneur, Kupîoo ; lui seul méritait ce titre que les païens donnaient à leurs dieux : « Il n’y a qu’un seul Seigneur, Jésus-Christ. » I Cor., viii, 6.

Dans de pareilles conditions, on comprend que bien des cas de conscience se soient posés pour les Corinthiens. Pouvaient-ils manger de la viande offerte en sacrifice, et dans quelles conditions ? Pouvaient-ils prendre part aux repas où l’on mangeait cette viande ? L’Apôtre répond à leurs questions dans de longs développements contenus dans viii, 1-13, et x, 14xi, 34 ; la section ix, 1-x, 13, étant regardée généralement comme une digression, une apologie personnelle à l’adresse des judaïsants. A cette occasion, l’Apôtre expose sa doctrine sur l’eucharistie.

Il affirme d’abord les principes qui doivent guider les fidèles. « Les idoles ne sont rien dans le monde », viii, 4, c’est-à-dire représentent des êtres qui n’ont aucune réalité. « II n’y a pas de Dieu si ce n’est un seul. S’il y a des êtres appelés dieux [par les païens] soit dans le ciel, soit sur la terre — ainsi il y a beaucoup de dieux et beaucoup de seigneurs — cependant, pour nous, il n’y a qu’un seul Dieu, le Père, de qui viennent toutes choses et pour qui nous sommes (vers lequel nous tendons) ; et un seul Seigneur, Jésus-Christ, par qui nous sommes (non seulement dans l’ordre de la création, mais dans l’ordre du salut : par lui les fidèles sont une nouvelle créature, II Cor., v, 7). » I Cor., viii, 4-6.

Ainsi, les êtres représentés par les idoles sont néant : il n’y a qu’un seul Dieu. Toutefois, il y a beaucoup d'êtres appelés dieux dans le ciel et sur la terre, et il y a ainsi beaucoup de dieux et beaucoup de seigneurs. En parlant de la sorte, saint Paul développe-t-il simplement sa pensée première, à savoir : que les dieux représentés par les idoles n’existent pas, bien que les païens leur prêtent une réalité et en peuplent le ciel et la terre ? Ou affirme-t-il l’existence d'êtres réels, inférieurs à Dieu, et sur la nature desquels il ne s’explique pas ? Bien que la première hypothèse ne manque point de probabilité, la seconde, admise également comme probable par saint Thomas, h. L, éd. Vives, t. xx, p. 687, est plus en harmonie avec le contexte. Tous les êtres que l’on avait pu appeler improprement du nom de dieux, comme par exemple les élohim mentionnés, Deut., x, 17 ; Ps. cxxxvi, 2, 3, sont des créatures de Dieu et lui restent soumis. Également, tous ceux qui exercent un empire et sont appelés seigneurs, ne sauraient rivaliser à aucun titre avec le Seigneur Jésus-Christ, car lui seul a l’empire sur toutes choses. L’Apôtre affirme ainsi, d’une part « l’unicité » et la transcendance de Dieu, par contraste avec les autres êtres ; d’autre part, la suprématie du Christ, à titre de Seigneur, sur toute autre puissance. Cf. Col., i, 16.

En outre, bien qu’il parle du Christ ressuscité et glorifié, il lui attribue, cependant, un rôle dans la création. Il suppose donc clairement la préexistence du Fils. Ce n’est pas forcer le texte que de l’entendre ainsi. L’Apôtre énonce déjà une doctrine que nous retrouverons plus explicite dans Phil., ii, 6, et Col., i, 16-17. C’est d’ailleurs le fondement même de sa qualité de Seigneur ; cf. Rom., i, 4 et Phil., a, 9-10.

Telle est la doctrine qui doit guider les fidèles dans leurs rapports avec les païens. Mais tous n’ont pas cette « science, y) yvûaiç », ꝟ. 7 ; tous n’ont pas la conscience éclairée par ces principes. En soi, manger de la viande offerte aux idoles est chose indifférente ; mais < les faibles » peuvent en être scandalisés. C’est

pourquoi il faut éviter ce qui pourrait « scandaliser ces frères ». L’Apôtre fait l’hypothèse d’un chrétien ayant « la science » et allant jusqu'à manger dans « un temple d’idole », c’est-à-dire dans l’enceinte où l’on prenait les repas de sacrifices. Ce chrétien ne fera pas un acte d’idolâtrie, puisqu’il sait que « les idoles ne sont rien ». Mais, le faible, en le voyant, sera porté à manger lui aussi de la viande offerte aux idoles ; or, précisément parce qu’il est « faible, » et qu’il croit cette viande offerte à l’idole comme à une réalité, cf. ꝟ. 7, il agira contre sa conscience. Les chrétiens doivent donc s’abstenir de prendre part à de tels repas.

Outre la raison de scandale, l’Apôtre en donne une autre fondée sur le caractère du repas eucharistique, le « repas sacré » des chrétiens, x, 14-22.

Il faut fuir l’idolâtrie. A quoi lion assister aux repas sacrés des païens, puisque les chrétiens ont « la coupe de bénédiction, qui est une commune participation au sang du Christ », et qu’ils « rompent le pain, qui est une commune participation au corps du Christ » ? x, 16. En participant au « même pain » — le pain eucharistique — les chrétiens ne forment qu’un « seul corps ».

Les Israélites « selon la chair », mangent ce qui est sacrifié à Dieu, et ainsi ils sont en communion avec l’autel, et par là avec Dieu lui-même ; telle est l'économie de l’ancienne Alliance. Les païens, eux, « sacrifient aux démons », non à Dieu. Prendre part à leurs repas sacrés, ce serait donc se mettre en « communion avec les démons », ꝟ. 21. Mais on ne peut être en même temps en communion avec le Seigneur et avec les démons. Une telle pratique ne ferait que provoquer la « colère du Seigneur », ꝟ. 22.

Saint Paul oppose aux repas sacrés des païens, non un repas proprement dit, mais uniquement « la coupe de bénédiction », et « la fraction du pain », c’est-à-dire la célébration du mystère eucharistique. C’est sans doute une indication qu’en principe, la célébration de l’eucharistie ne se faisait pas au cours d’un repas, mais constituait par elle-même un repas distinct, le « repas du Seigneur ». Voir plus loin l’explication de xi, 17-34.

En participant au repas eucharistique, les fidèles sont unis au Christ et ne forment plus « qu’un seul corps », le corps mystique du Christ, ꝟ. 17. Le « corps » ici n’est plus pris au sens propre comme au ꝟ. 16. Cf. I Cor., vi, 15, où « les membres du Christ » ne doivent point se livrer à l’idolâtrie, ce qui constituerait une profanation et une monstruosité.

La doctrine sur le corps mystique du Christ se trouve ainsi nettement rattachée à l’eucharistie. Comme le baptême, Rom., vi, 4-5, l’eucharistie unit le fidèle au Christ et le rend membre de son corps mystique. Elle lui procure, par suite, tous les avantages spirituels qui résultent de cette union. Toutefois, le baptême est le rite initiateur qui produit une nouvelle naissance, donne une vie nouvelle, Rom., vi, 4-6, cf. Joa., iii, 5-6. Tandis que l’eucharistie, en faisant participer le fidèle au propre corps du Christ et à son sang, entretient, par cette nourriture divine, la vie communiquée par le baptême. Elle maintient le fidèle « dans le Christ ». Cf. Joa., vi, 56 : « Celui qui mange ma chair et boit mon sang, demeure en moi, et moi en lui », et xv, 4 : « Demeurez en moi et moi en vous… » ; xv, 5 : « Celui qui demeure en moi et en qui je demeure porte beaucoup de fruits. »

Jésus, en instituant l’eucharistie, l’avait rattachée à sa passion et donnée comme un sacrifice d’alliance et de rémission des péchés. Matth., xxiv, 28, et parallèles ; cf. Jer., xxxi, 31-34. Son sang était répandu 7repl uoXXôiv etç àcpecuv àixapTtwv. Jésus était à la fois victime d’alliance et d’expiation : cf. Matth., xx, 28, et Marc, x, 45 ; il avait distribué l’eucharistie à ses disciples