Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 11.2.djvu/639

Cette page n’a pas encore été corrigée
2411
2412
PAUL (SAINT). LA SAGESSE CHRÉTIENNE


sagesse supérieure à celle du monde. L’Apôtre en expose la nature dans I Cor., ii, 6-16.

Cette sagesse chrétienne est expliquée parmi « les parfaits, Iv toïç teXsîoiç », c’est-à-dire aux chrétiens qui ont atteint le plein développement de la vie spirituelle, qui sont capables de saisir les mystères de la révélation chrétienne. « Les parfaits » s’opposent aux i enfants dans le Christ ». Ceux-ci n’entendent que les choses « charnelles » ; cf. I Cor., iii, 1-2 ; xiv, 20. Le terme « parfaits » ne désigne point une catégorie spéciale de chrétiens, d’initiés, auxquels serait réservée la communication d’une doctrine ésotérique. Ce serait fausser la pensée de l’Apôtre que de l’assimiler aux pratiques du gnosticisme ou des religions de mystères. Les « parfaits » ne sont point des « initiés », car tous les chrétiens doivent devenir parfaits en développant leur vie spirituelle. Mais, en attendant, les vérités que l’Apôtre leur enseigne sont proportionnées à leur degré de développement. I Cor., iii, 1-2 ; xiv, 20 ; cf. Joa., xvi, 13.

Notons que le même terme « parfait » se rencontre dans l’épître aux Hébreux et s’applique à la doctrine. Heb., v, 11-vi, 3. Il existe un enseignement élémentaire et un enseignement « parfait ». Dans l’objet de l’enseignement élémentaire l’auteur range les principes fondamentaux de la doctrine chrétienne, à savoir la pénitence, la foi en Dieu, la doctrine des « ablutions », c’est-à-dire concernant le baptême, l’imposition des mains, la résurrection des morts et le jugement. Tandis que dans l’enseignement parfait il range le traité du sacerdoce du Christ, ainsi que l’interprétation de l’Écriture qui lui sert d’argument. Heb., vi, 13-x, 18.

En outre, le plein développement « du corps du Christ » n’exige-t-il pas le développement complet et parfait de ses membres ? cf. Eph., iv, 12-13. Toutefois, le chrétien parvenu à ce que l’Apôtre appelle l’état « parfait », l’état d’adulte ou de pleine croissance, n’en doit pas moins poursuivre encore sa propre perfection morale, s’il veut arriver au but et « saisir le prix » ; cf. Phil., iii, 15 et 12.

L’Apôtre dit en quoi consiste cette sagesse expliquée aux « parfaits ». La sagesse chrétienne n’est point « la sagesse des princes de ce siècle qui ont été anéantis », I Cor., ii, 6 ; c’est la « sagesse de Dieu », non plus entendue comme dans i, 21 (voir plus haut), car dans ce dernier passage il s’agit d’une « sagesse » accessible aux forces naturelles de l’homme. La sagesse chrétienne est une « sagesse qui est dans le mystère, sagesse cachée ». Il ne s’agit nullement ici du mystère au sens de rite ou de sacrement, dans lequel on faisait des communications ou révélations ; la suite le montre clairement. Cette « sagesse » est comme un secret longtemps réservé, mais communiqué actuellement à tous ceux qui sont aptes à le saisir. Dieu en avait décidé ainsi avant les siècles. Nu) d’entre « les princes de ce siècle ne l’a connue. En effet, s’ils l’avaient connue, ils n’auraient pas crucifié le Seigneur de la gloire (qui est glorieux et source de gloire pour les hommes). » Quels sont ces « princes de ce siècle », — déjà mentionnés au ꝟ. 8, — qui ont crucifié le Seigneur ? On pense naturellement aux scribes, aux pharisiens et aux autorités juives et romaines, les seuls dont on puisse dire à la lettre qu’ils ont crucifié le Seigneur. Une autre interprétation, proposée déjà par Origène, y voit les démons ; cf. II Cor., iv, 4 ; Eph., ii, 2 ; Joa., xiii, 21 ; xiv, 30. Saint Paul les regarde comme les instigateurs et, par suite, les véritables auteurs de la mort de Jésus. Cette manière d’entendre le texte trouve un appui très sérieux dans les passages Luc, xxii, 3, 53 ; Joa., xiii, 2, 27, cf. xiii, 21 et xiv, 30 ; et aussi dans II Cor., iv, 4.

Les démons ont ignoré la « sagesse de Dieu ». Ils n’ignoraient pas, sans doute, que Jésus fût le Messie

et le Fils de Dieu ; mais ils ne se doutaient pas que sa mort allait sauver l’humanité et mettre fin à leur propre règne. Maintenant, ils sont « anéantis, y.y.-y.zyouuivcov ». I Cor., ii, 6. Par la croix, Jésus les a « dépouillés et donnés en spectacle dans son triomphe ». Col., ii, 15. S’ils avaient connu la sagesse divine, c’est-à-dire les secrets du plan divin de salut, jamais ils n’auraient crucifié Jésus.

D’autres commentateurs combinent les deux opinions : Les princes de ce monde comprennent les démons avec ceux qui ont exécuté leur dessein. Cf. Cornely, h. L, p. 60 ; Act., ni, 17. Cette opinion a l’avantage de montrer que tous les ennemis du Christ ont ignoré le plan divin. Ils ont agi par ignorance, non pas une ignorance, — au moins en ce qui concerne les démons, — qui leur sert d’excuse, mais qui a tourné à leur perte. Us ont tous, pour ainsi dire, collaboré indirectement à la rédemption, en accomplissant un acte dont les résultats devaient être d’arracher l’homme à l’empire du mal et du démon.

Les secrets divins concernant le salut de l’homme étaient donc ignorés des puissances de ce siècle. Ici l’Apôtre apporte, comme « Écriture », un texte difficile à identifier, tiré probablement d’Isaïe, lxiv, 4, et lxv, 17, afin de montrer que les mystères du salut les plus profonds, c’est-à-dire ceux qui concernent le bonheur de la vie future, sont inaccessibles à l’homme laissé aux seules forces de ses facultés naturelles. Mais « à nous », c’est-à-dire aux apôtres, dépositaires de la révélation, Dieu l’a révélé par l’Esprit.

Ici, le rôle de l’Esprit dans la connaissance des choses surnaturelles est spécialement mis en relief. L’Esprit « scrute tout, même les profondeurs de Dieu, - : à 3 « 6r, toù ©sou », cf. Rom., xi, 33. Il connaît la pensée et les secrets desseins de Dieu. Ce n’est plus la connaissance humaine, par le moyen des créatures, comme dans Rom., i, 20, et I Cor., i, 21 ; c’est la pénétration de tous les mystères de la divinité. Cet Esprit, qui « est de Dieu, tô éx toù 0eoù », qui vient ou procède de Dieu, qui a une science divine, et qui par conséquent est Dieu lui-même, a été spécialement communiqué aux apôtres pour leur faire comprendre tous les bienfaits dont ils ont été gratifiés par Dieu, pour leur révéler, en un mot, le mystère du salut par le Christ ; cf. Joa., xiv, 16 sq., 26 ; xv, 26 sq ; xvi, 13.

Or, cette révélation s’exprime non dans « les discours de la sagesse humaine » ; mais « dans ceux que l’Esprit de Dieu enseigne, exprimant les choses spirituelles en un langage spirituel ». En d’autres termes, les doctrines révélées par l’Esprit de Dieu ne peuvent s’exprimer qu’en des paroles suggérées par ce même Esprit. Celui qui les exprime a un don spécial ou charisme que l’Apôtre appellera plus loin « le discours de sagesse donné par l’Esprit ». I Cor., xii, 8.

On voit toute l’importance donnée par l’Apôtre à l’Esprit-Saint, l’Esprit de Dieu agissant sur l’esprit de l’homme. Il fait une distinction très nette entre la connaissance naturelle des choses et la connaissance surnaturelle des mystères divins : « L’homme psychique ne reçoit point les choses de l’Esprit de Dieu, t- 14, mais « l’homme spirituel juge de tout, tandis que lui-même n’est jugé par personne », ꝟ. 15. Pour l’homme laissé à ses seules facultés naturelles, ce qui vient de l’Esprit de Dieu est « une folie », seul « l’homme spirituel » peut le comprendre.

L’opposition entre l’homme psychique et l’homme spirituel est d’ordre religieux ou mystique, nullement d’ordre philosophique. L’homme psychique, c’est l’homme naturel abandonné à ses seules facultés : quia ergo animalis homo caret Spirilu sancto non potest spiritualia examinare et per consequens nec ea intelligere. S. Thomas, h. L, éd. Vives, t. xx, p. 625-626.