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    1. PAUL (SAINT)##


PAUL (SAINT). LA SAGESSE CHRÉTIENNE

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p. 631-642, Munich, 1926 ; H. Gressmann, Dcr Messias, Gcettingue, 1929 ; A. Schweitzer, Die Myslik des Apostels Paulus, Tubingue, 1930. Voir aussi la bibliographie de la section suivante.

VI. Le christianisme a Corinthe.

1° La sagesse chrétienne, ou l’Évangile et la pensée grecque. 2° La véritable notion du ministère pastoral. 3° Les « charismes », ou l’action de l’Esprit-Saint dans l’Église. 4° Le mariage. 5° L’eucharistie.

1° La sagesse chrétienne, ou l’Évangile et la pensée grecque. — Saint Paul avait fondé l’Église de Corinthe au cours de sa deuxième mission (51-54). Il venait d’Athènes, où il avait rencontré de l’indifférence, presque du mépris. Dans l’ancienne capitale, il s’était heurté au scepticisme des fins lettrés de la Grèce. Act., xvii, 18, 32. En arrivant à Corinthe, il ne pouvait se défendre d’une certaine appréhension, au contact de la culture grecque. I Cor., ii, 3 ; cf. Rom., i, 16. Les Hellènes concevaient l’enseignement religieux à la façon d’une philosophie, aoçîa, où dominait l’élément spéculatif : « Les Grecs poursuivent la sagesse. » I Cor., i, 22. Saint Paul aurait pu commencer par enseigner le monothéisme en face de l’idolâtrie ; puis, sur ce terrain une fois préparé, établir la doctrine de la rédemption, du Christ ressuscité et du salut. Mais non 1 II ne pose point d’abord les principes rationnels qui auraient ouvert la voie à l’Évangile. Dans sa « faiblesse », avec « crainte et tremblement », I Cor., il, 3 ; cf. II Cor., x, 10, il enseigne une seule chose : « Jésus-Christ, et Jésus-Christ crucifié ». I Cor., ii, 2. Il appuie son enseignement non sur la dialectique et la philosophie, mais sur « la manifestation de l’Esprit et de la puissance divine ». I Cor., ii, 4. L’Esprit-Saint, soit par son action intérieure, soit plutôt par les charismes et les miracles, montrait la vérité de son enseignement, èv aTroSst^et TrveôpLaToç xal Suvâptscoç. Cf. Gal., iii, 5 ; Rom., i, 16. L’essentiel de sa prédication tenait dans quelques faits qu’il rappelle, I Cor., xv, 3-8 : Le Christ est mort pour nos péchés selon les Écritures ; il a été enseveli ; puis il est ressuscité ; il est apparu à Pierre et à de nombreux témoins, dont le dernier est l’Apôtre lui-même. C’est par là que l’Apôtre commence.

Cette première prise de contact entre le christianisme et la culture grecque offre le plus grand intérêt. Fallait-il incorporer la sagesse grecque dans l’Évangile en essayant de la concilier avec lui ; faire pour le christianisme ce que Philon avait tenté pour l’Ancien Testament ? Fallait-il, au contraire, l’écarter purement et simplement pour lui substituer « l’Évangile » ? C’est à ce dernier parti que s’arrête l’Apôtre. Pour lui, l’Évangile n’est point une philosophie, un thème à des discussions appuyées sur la raison humaine. C’est un message divin s’adressant à la conscience ; c’est un fait, une réalité surnaturelle, un moyen de salut, que l’on doit s’approprier non par voie de raisonnement, mais par la foi à la passion et à la résurrection de Jésus-Christ, sauveur des hommes.

Il y a dans cette attitude quelque chose qui étonne de prime abord, surtout de la part d’un homme qui connaissait l’hellénisme et avait une culture grecque assez profonde. Mais saint Paul connaissait aussi les résultats auxquels avait abouti, dans le domaine religieux, l’enseignement de la philosophie. La « sagesse » n’avait point conduit l’homme à une connaissance efficace du vrai Dieu : « le monde par la sagesse, Sià ttjç oocpîaç, n’a point connu Dieu dans la sagesse de Dieu, êv -rfj croepîa toù 0eoù », c’est-à-dire Dieu manifestant sa propre sagesse, soit par les créatures, cf. Rom., i, 20-21, soit par la révélation de l’Ancien Testament. Si le monde a connu Dieu par la philosophie, la sagesse de Dieu qui aboutit à la vie religieuse et au salut lui est demeurée cachée. I Cor.,

i, 21. Ce n’est donc point à la sagesse humaine qu’il faut demander des arguments pour appuyer la foi en l’Évangile. Cet Évangile, présentant un Sauveur et un Messie crucifié, paraissait aux païens « une folie », et était pour les Juifs » un scandale ». I Cor., i, 18, 23. N’importe ; le « discours de la croix » est « une puissance de Dieu ». Les vues de Dieu ne sont ni celles des Juifs, qui « demandent des signes », ni celles des Grecs qui » poursuivent la sagesse ». I Cor., i, 22. Il a décidé de « perdre la sagesse », c’est-à-dire d’en montrer l’impuissance et la vanité. C’est l’action de Dieu seule qui, par la prédication de la croix, a mis les fidèles « dans le Christ Jésus ». I Cor., i, 30. C’est Jésus-Christ qui est « notre sagesse, notre justice, notre sanctification, notre rédemption ». Voilà ce que la sagesse humaine n’a pu faire. Tout cela n’est pas accessible à « l’esprit du monde », I Cor., ii, 11-12, échappe à la puissance naturelle de l’intelligence humaine. L’ « homme psychique », c’est-à-dire qui n’a pas reçu l’Esprit de Dieu, ne peut le comprendre. Seul l’homme qui a reçu l’Esprit de Dieu peut le connaître. I Cor., ii, 11, 12, 14. En un mot, les choses surnaturelles ne sont accessibles à l’homme que grâce à l’action de l’Esprit divin.

Transformer la prédication chrétienne en une spéculation philosophique, en une gnose, ce serait donc lui enlever son véritable caractère, la priver de sa puissance d’action, la faire s’évanouir en une sorte d’intellectualisme et lui enlever ainsi sa force qui convertit et qui sauve. En un mot, ce serait « rendre vaine la croix du Christ, ïva [iq kevcoÔt] ô crraupôç toù Xpiaxoû ». I Cor., i, 17.

Ce dédain de l’Apôtre pour la sagesse grecque, en heurtant les habitudes intellectuelles des Corinthiens, ne risquait-il pas d’écarter du christianisme des esprits droits et disposés à entendre la vérité ? N’était-il pas de nature à faire naître, à côté de la forme paulinienne de l’Évangile, une autre forme d’évangélisation, plus teintée d’hellénisme et plus adaptée à la manière grecque d’entendre les choses religieuses ? L’Apôtre avait dû prévoir cet inconvénient, mais il avait jugé que l’Évangile n’avait rien à gagner à être présenté autrement que dans sa forme simple et primitive.

En fait, peu de temps après le départ de saint Paul, un Juif d’Alexandrie, nommé Apollos, arrivait à Corinthe. Très cultivé, habile à manier la parole, àvrçp Xoytoç, Act., xviii, 24, il possédait tous les artifices de la rhétorique. Versé dans les Écritures, Suvaxôç ôv sv tocïç ypacpaïç, ibid., il avait été instruit du christianisme a Éphèse, par Aquila et Priscille. Act., xviii, 24-28. Arrivé à Corinthe, il se mit à prêcher l’Évangile. Sa manière, bien différente de celle de saint Paul, sa parole entraînante, sa culture hellénistique, sa façon d’expliquer les Écritures, lui gagnèrent vite tous ceux qu’attiraient la beauté de la forme et les spéculations de la philosophie alexandrine. Il se forma autour de lui un groupe d’admirateurs, attirés au christianisme plus par l’éloquence que par la profondeur du sentiment religieux.

La théologie d’Apollos, identique pour le fond à celle de saint Paul, devait être bien différente dans la forme et l’exposition. Elle était orthodoxe, mais elle favorisait la tendance qu’avaient les Corinthiens à s’attacher au christianisme plus par curiosité d’esprit que par conviction sincère. C’était là une des causes des divisions que l’Apôtre blâme dans sa première lettre. C’est pourquoi nous le voyons tant insister sur la manière dont il avait présenté lui-même le christianisme. Ce n’était point par la sagesse humaine, mais par < la manifestation de l’Esprit et de la puissance divine », que l’Apôtre avait mis les fidèles « dans le Christ Jésus ». Toutefois, ceux qui « poursuivent la sagesse » en trouveront une dans la foi chrétienne,