Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 11.2.djvu/622

Cette page n’a pas encore été corrigée
2377
2378
PAUL (SAINT). L’EVANGILE PAULINIEN


dans l’état d’incirconcision. La circoncision ne fut pour lui que « la marque de la justice » obtenue par la foi. Ainsi devint-il le père des croyants non circoncis (païens convertis), et des circoncis quifs) qui imitent la foi d’Abraham. En d’autres termes, les vrais fils d’Abraham, les héritiers de la promesse, sont tous les croyants, gentils ou juifs. En effet, la promesse faite à Abraham était fondée non sur la Loi, mais sur la foi. Maintenant, si du fait d’observer la Loi on était héritier de cette promesse, la foi deviendrait inutile et la promesse serait réduite à néant. Le titre donné par la foi serait illusoire et vain, puisqu’on en aurait un autre, c’est-à-dire la Loi, permettant d’exiger en justice. Or, ce qui est écrit à propos d’Abraham l’est aussi « pour nous qui croyons en Celui qui a ressuscité des morts Jésus, Notre-Seigneur, lequel a été livré à cause de nos péchés, et est ressuscité à cause de notre justification ». Rom., iv, 23. Ainsi, la foi d’Abraham est le type de la foi chrétienne.

Les judaïsants avaient probablement exposé aux Galates, d’une façon tendancieuse, la conduite de l’Apôtre. D’après eux, saint Paul, n’ayant pas connu le Christ pendant sa vie terrestre et ne l’ayant pas vii, cf. I Cor., ix, 1 ; xv, 8, n’avait reçu de lui ni son évangile, ni sa mission. Il n’y avait de vrais apôtres que ceux de la première heure, disciples immédiats du Christ. Saint Paul leur était inférieur et devait leur rester subordonné. Son évangile devait être conforme au leur et, s’il s’en écartait, il fallait le corriger. Ils prétendaient sans doute que sa conduite avait été blâmée et sa doctrine corrigée par eux lors de sa venue à Jérusalem. Saint Paul aurait été obligé de se soumettre lorsqu’il était auprès des apôtres, mais, lorsqu’il était loin d’eux, il persévérait dans son opposition à l’Église primitive. Il y avait là, de sa part, un opportunisme qui faisait peu d’honneur à son caractère et montrait la fausseté de sa thèse.

L’Apôtre avait donc dû préciser sa conduite après sa conversion, principalement ses relations avec l’Ëglisemère de Jérusalem. Il insiste sur la vérité de son récit, Gal., i, 20 : « Ce que je vous écris, ce ne sont pas des mensonges. » Il rétablit les faits en montrant dans quelles circonstances il a vu les apôtres à Jérusalem ; il expose les motifs et les résultats de ses visites.

Il montre enfin comment il a affirmé à Anlioche, en face de saint Pierre, son autorité et l’indépendance de son apostolat. Cette scène est racontée dans la section Gal., ii, 11-21 ; on est convenu de l’appeller « le conflit d’Antioche ». La section se divise en deux parties ; dans la première, ꝟ. 11-14, saint Paul raconte la scène ; dans la seconde, t- 15-21, il expose sa doctrine sur la justification, doctrine qui motive sa conduite.

D’abord, la scène, ꝟ. 11-14. Lorsque Céphas, c’est-à-dire Pierre, vint à Antioche, saint Paul lui résista « en face », parce qu’il était « en faute », c’est-à-dire adoptait, de bonne foi, une ligne de conduite qui pouvait, aux yeux de l’Apôtre, tourner au détriment de l’Évangile. En effet, certains personnages étant arrivés « d’auprès de Jacques », saint Pierre cessa de manger avec les païens convertis, et se tint à l’écart par crainte des « Juifs ». Il entraîna même avec lui, dans cette attitude équivoque, d’autres Juifs, ainsi que Barnabe. Il « dissimula » ses véritables sentiments par crainte des judéo-chrétiens nouvellement arrivés.

Ceux-ci ne sont point présentés comme envoyés par Jacques. Ils viennent seulement « d’auprès de Jacques » ; ils appartiennent à son entourage ; mais ils sont intransigeants et exagèrent les tendances de l’Église de Jérusalem. On peut même supposer qu’ils sont « envoyés par Jacques », non dans le but de faire opposition à saint Paul, mais pour d’autres motifs. En tout cas, ils n’ont point reçu de Jacques la mission

de maintenir les pratiques légales ; mais ils y restent attachés et ne croient pas pouvoir les abandonner légitimement. Ils demeurent formalistes, sans être nécessairement « partisans de la circoncision » ; ils sont seulement « de la circoncision », c’est-à-dire Juifs convertis. Gal., ii, 12. Saint Pierre se laisse impressionner par leur attitude, et, sans doute pour éviter un conflit avec eux, n’ose point leur déplaire. Alors saint Paul, voyant « qu’il ne marchait pas droit selon la vérité de l’Évangile », c’est-à-dire prenait une attitude qui pouvait tourner au détriment de cet Évangile, l’interpelle en présence de tous et lui reproche sa conduite. Pierre, étant Juif, se comportait d’abord à la manière des « gentils », c’est-à-dire négligeait les prescriptions légales et ne les imposait point aux gentils. Maintenant, par son attitude et l’autorilé de son exemple, il va obliger les « gentils » à vivre en Juifs.

Il est clair que saint Paul attache à l’exemple de saint Pierre la plus haute portée. Il le regarde comme un personnage éminent parmi les apôtres. Cette scène, loin de fournir un argument contre la « primauté de Pierre », en est plutôt une attestation indirecte.

L’attitude de Pierre, précisément parce qu’il était « le chef », a parfois offusqué ou embarrassé les exégètes. On a imaginé que le Céphas en question ne serait pas saint Pierre. Mais c’est là une conjecture sans fondement, une opinion particulière qui n’a jamais été prise en considération par la tradition. On a voulu aussi voir dans cette scène, une espèce de conférence contradictoire, concertée d’avance, un conflit fictif pour frapper les esprits et faire éclater la vérité. Il est vrai, l’expression xorrà 7rpcawTrov, « en face », prise isolément, pourrait signifier secundum speciem, « en apparence ». Origène et saint Jean Chrysostome, In Galalas, h. L, P. G., t. lxi, col. 641, s’y sont laissé prendre. Saint Jérôme a abandonné cette opinion après l’avoir d’abord admise. Dial. adv. Pelagian., i, 23, P. L., t. xxiii, col. 516. On voulait avant tout excuser Pierre de toute faute ; c’était de pure apologétique.

Or, même dans l’hypothèse d’un conflit réel, — ce qui est admis actuellement par tous les exégètes, — rien ne permet de soupçonner que Pierre ait agi contre sa conscience.

Saint Paul estimait que l’attitude de saint Pierre, en pareille circonstance, fournirait aux judaïsants de nouvelles armes contre lui. D’accord sur les principes, comme le montre le ꝟ. 14, cf. Act., xv, 7 sq. ; Gal., ii, 3, 6, 9, les deux apôtres avaient une façon différente d’en comprendre l’application. Tertullien a bien caractérisé l’acte de saint Pierre en disant : Conversationis fuit vitium, non prædicationis. De præscriptione, xxiii, P. L. (1844), t. ii, col. 36.

En reprenant saint Pierre, et plus tard en relatant le fait dans l’épître aux Galates, saint Paul affirme à la fois son autorité d’apôtre, l’indépendance de son évangile, l’unité de sa conduite et la fermeté de son caractère. Cette fermeté ressort d’autant plus que Barnabe lui-même s’était laissé influencer par l’attitude de saint Pierre.

Cette scène se place avec probabilité à la fin du premier voyage apostolique, vers l’an 49, peu avant le concile. Antioche était déjà, à ce moment, une communauté importante, et le concile n’avait pas encore réglé la question des observances légales. — On peut la placer également, avec non moins de probabilité, après le concile. En effet, saint Paul la rapporte après la réunion de Jérusalem, comme un fait nouveau et relativement récent. Cette dernière opinion, on le comprend, ne peut s’admettre que si l’on place la composition de l’épître aux Galates après le concile, comme nous l’avons fait.