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PAUL (SAINT). LA LOI ET L’ÉVANGILE


sans crainte, dit l’Apocalypse syriaque de Baruch, t car ils ont une provision de bonnes œuvres conservées dans les trésors ». Baruch sur., xiv, 12. La justification réside dans l’observation de la Loi ; ibid., li, 3 ; le salut s’acquiert par les œuvres, ibid., li, 7 ; la prière d’Ézéchias fut exaucée « parce qu’il avait confiance dans ses œuvres ». Ibid., lxiii, 3-5 ; cf. ii, 2.

Dans cette conception du salut le pardon était obtenu par les. « œuvres ». Celles-ci constituaient l’équivalent nécessaire, le prix en quelque sorte de la rémission. Par la justice acquise, justice personnelle, l’homme rétablissait l’ordre après la faute.

Bien plus, les justes défunts, surtout les anciens, par le mérite de leurs « œuvres » devaient sauver Israël malgré les fautes de ses membres. Baruch syr., xiv, 7 ; lxxx, 10 ; lxxx, 2. Ainsi, l’idéal moral et religieux était réalisé par l’observation de la Loi. La volonté était capable de l’accomplir et la Loi même communiquait à l’homme la force nécessaire pour marcher dans le droit chemin. Telle est la position du pharisaïsme strictement orthodoxe, dans le courant du ie siècle de notre ère.

Un enseignement analogue se retrouve dans le IVe livre des Macchabées, livre non canonique, mais très instructif, composé entre l’an 63 av. J.-G. et l’an 38 après. L’auteur déclare que la raison est capable de maîtriser la passion, mais que la Loi est encore plus puissante, IV Macch., ii, 4-6 ; 8-15 ; la Loi est capable d’exercer, dans le domaine de l’esprit, un empire souverain. Un passage de l’Ecclésiastique se rapproche de cette doctrine : « Celui qui observe la loi maîtrise son penchant naturel (probablement : le mauvais penchant). » Eccli., xxi, 11.

Les rabbins enseignaient que la Loi était un remède donné par Dieu contre le « mauvais penchant ». Nous lisons dans la Mischna, traité Kiddushim, 30 b (Talm. Bab.) : « J’ai (c’est Dieu qui parle) créé le mauvais penchant, Vin "12J j’ai créé pour lui la Loi, comme moyen de guérison (de salut). Si vous donnez à la Loi toute votre attention, vous ne tomberez point en son pouvoir. » En attribuant à Dieu la création du mauvais penchant, les Juifs ne voulaient point faire de Dieu la cause du mal. Ils évitaient cette conclusion en faisant de la Loi le remède au mal moral.

A côté de ce courant de doctrines que l’on pourrait appeler optimiste à l’égard de la Loi, on en rencontre un autre, surtout dans la seconde moitié du I er siècle de notre ère, que l’on peut qualifier de pessimiste. Il était le fruit d’expériences ou d’observations individuelles plutôt qu’un thème d’enseignementrabbinique. Certains esprits avaient conscience que la Loi n’avait point atteint son but, à savoir, de racheter Israël. Ce n’était plus elle qui soutenait leur espérance, c’était l’attente de l’âge messianique futur, avec l’intervention du Messie. Tel est le point de vue de certains éléments du IV* livre d’Esdras, rédigé définitivement au commencement du iie siècle. La Loi y est présentée comme un fardeau. Elle a apporté la connaissance du péché, et c’est à cause d’elle que les Juifs périssent. Un passage surtout est remarquable : « Nous qui avons reçu la Loi et qui avons péché, nous devons périr, avec notre cœur qui a été reçu par la Loi, mais la Loi ne périt point, car elle habite dans la gloire. IVe livre d’Esdras, ix, 36. L’auteur explique sa pensée à l’aide d’une comparaison assez curieuse. La Loi a été donnée au peuple ; elle devrait donc être faite pour le peuple. En effet, d’ordinaire c’est le contenu qui disparaît tandis que le contenant ou réceptacle demeure. Or, dans le cas du peuple et de la Loi, c’est le contraire qui a lieu : le peuple, qui est comme le « réceptacle » de la Loi puisqu’il a reçu la Loi, doit périr ; et c’est la Loi, c’est-à-dire le « contenu », qui demeure. Voir Charles, op. cit., t. ii, p. 602.

DICT. DE THÉOL. CATHOL.

Ainsi, d’après le IV « livre d’Esdras, la Loi est impuissante à sauver l’homme de la condamnai ion. C’est pourquoi un petit nombre seulement d’Israélites seront sauvés. IV Esdr., viii, 41 ; ix, 15, 127-140. Cf. iii, 20-21 ; iv, 26-27 ; viii, 35 ; vii, 11, 47, 67.

En conséquence, il n’y a d’autre moyen de salut que la miséricorde de Dieu : « O Seigneur, ta justice et ta bonté seront manifestées si tu es miséricordieux envers ceux qui n’ont point une provision de bonnes œuvres. » IV Esdr., viii, 32-36 ; cf. vii, 77. Dans ce livre, le salut par la justice personnelle et les œuvres de la Loi est beaucoup moins assuré que dans l’Apocalypse de Baruch. Mais l’auteur ne met nullement en doute la valeur des œuvres ; il maintient au contraire la doctrine courante du judaïsme. Seulement il sent que la Loi est impuissante à procurer le salut, et qu’elle devient, de ce fait, une cause de perdition. La ressemblance est assez frappante avec saint Paul, Bom., vm, 3 sq. Comme Esdras, l’Apôtre constate que la Loi est sans force ; mais, comme il possède la « loi de l’Esprit de la vie », en Jésus-Christ, il est affranchi de la Loi, qui devient inutile. Le fait d’avoir trouvé le salut dans le Christ, le Fils de Dieu, principe à la fois de vie spirituelle et de vie morale, lui apporte l’assurance de la vie future et l’apaisement que l’auteur du IVe livre d’Esdras cherche en vain. La Loi lui apparaît désormais comme inutile et incompatible avec la nouvelle « économie », c’est pourquoi il la rejette.

Or, le IV » livre d’Esdras est postérieur à saint Paul. Dépend-il de l’Apôtre, ou représente-t-il un courant d’expériences déjà faites et répandues dans le judaïsme au premier siècle ? La première hypothèse nous paraît peu vraisemblable. Ce livre ne traduit ni emprunt, ni réaction contre l’Apôtre. Sans doute, en maintenant la Loi, il adopte une solution radicalement opposée à celle de saint Paul ; mais, s’il avait voulu réagir contre la solution chrétienne, il n’aurait pas manqué d’exalter cette Loi au lieu de déplorer son impuissance. Il est donc plus vraisemblable qu’il y avait dans le judaïsme, au Ie’siècle, un courant moins formaliste que celui du pharisaïsme orthodoxe, sentant l’insuffisance et, pour ainsi dire., la faillite de la Loi au point de vue moral et religieux. Il y aurait là une préparation négative au christianisme, une voie ouverte à l’évangile de l’Apôtre. Cette préparation existait sans aucun doute chez beaucoup de Juifs de la Dispersion, imbus de civilisation grecque et moins attachés à la Loi que les Juifs parlant l’araméen. En Palestine même, l’enseignement de Jésus, contrastant avec celui du pharisaïsme, devait répondre aux aspirations de beaucoup d’âmes outrées par le formalisme des scribes. Le Maître donnait à la Loi un esprit nouveau ; lire Matth., v, 17 sq. ; xii, 1 sq. ; Marc, ii, 27-28 ; ni, 1 sq. ; Matth., xi, 28-30 ; xxiii, 4 = Luc, xi, 46. Au concile de Jérusalem, saint Pierre parlera dans le même sens que saint Paul, Act., xv, 10-11 ; cf. Bom., vii, 7 sq. Saint Etienne reprochait aux Juifs de n’avoir pas gardé la Loi, Act., vii, 53 ; il était l’écho de l’enseignement de Jésus.

4. Le principe paulinien et la Loi.

Saint Paul, par" !

son éducation, sa culture hellénistique, les milieux où il avait vécu, était déjà préparé à comprendre Puniversalisme de la religion. Avant sa conversion, tout en restant fermement attaché à la Loi par devoir et par tradition, il avait sous les yeux des faits qui en démontraient journellement la faillite. Déjà avant lui, on avait compris dans certains milieux juifs, que la Loi avait produit une surabondance de transgressions et de culpabilité, et qu’elle avait été cause de mort. Mais personne, chez les Juifs, n’avait jamais proposé de la rejeter comme moyen de salut et de l’abandonner ; c’eût été à leurs yeux un blasphème.

Au moment de sa conversion, saint Paul, en recevant

T. — XI

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