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PAUL (SAINT). LA CONVERSION


succès et de sa force. Interprétant faussement le passage de l’épître aux Galates, iv, 14, ils cherchent jusque dans l’épilepsie l’explication de son tempérament d’apôtre et de son action surnaturelle. Cf. James Stalker, art. Paul, dans Dictionary of the apostolic Church, t. ii, p. 155. Étrange aberration ! Expliquer le génie surnaturel de l’Apôtre par une infirmité, quelle qu’elle soit, considérée par lui-même comme une entrave et une humiliation, est un défi porté au simple bon sens.

Les exégètes catholiques, avec tous ceux qui croient à l’intervention de la Providence dans le gouvernement des choses, attribuent la vision et la conversion de saint Paul à une influence surnaturelle, à un miracle. Cette interprétation est exigée par les documents qui relatent le fait ; le caractère surnaturel de l’événement se dégage de tous les récits. Elle est exigée également par le revirement brusque et durable survenu dans la conduite de l’Apôtre ; parmi ceux qui ne veulent point admettre le miracle, beaucoup avouent que la conversion et l’œuvre de saint Paul sont inexplicables. En effet, les résultats d’ordre religieux et moral, fruits immédiats de sa prédication, spécialement les miracles, témoignages de l’Esprit-Saint, Gal., iii, 5 ; puis l’établissement du christianisme dans le monde, la transformation religieuse et morale d’une multitude d’âmes, voilà autant de marques du divin, échappant aux misérables explications du psychologue ou de 1’ « historien des religions ».

Toutefois, ce n’est point diminuer l’action de la Providence que de rechercher quelles causes, quelles influences elle a mises en jeu pour arriver à ses fins. Ne pourrait-on pas reconnaître une préparation négative à la conversion de l’Apôtre dans un besoin profond de justice et de sainteté que la Loi était impuissante à satisfaire ? En traitant, plus loin, de l’impuissance de la Loi, et même de son rôle néfaste, d’après saint Paul, nous verrons que l’Apôtre s’était probablement, dès avant sa conversion, posé le problème de l’origine psychologique du péché, et s’était demandé quel était le remède à l’état de faiblesse où se trouvait actuellement la nature humaine, au point de vue moral. Mais l’idée ne lui était jamais venue de rejeter la Loi comme un fardeau embarrassant. Il y était, au contraire, resté fermement attaché jusqu’au jour où la révélation du Christ lui avait montré le salut. Cf. Gal., m ; Rom., iii, iv, vu ; I Cor., xv, 56.

On peut voir aussi une préparation indirecte à la conversion de l’apôtre, dans la connaissance que le persécuteur avait acquise de Jésus et de son Évangile, en s’elîorçant d’étouffer le christianisme naissant, Nous le voyons mêlé au groupe d’hellénistes qui disputent avec saint Etienne ; cf. Act., VI, 8-tO ; vii, 58 ; viii, 3, Dès ce moment, il a une certaine connaissance des doctrines et des pratiques du christianisme, spécialement de la mort et de la glorification du Christ. Il sait ce que les chrétiens enseignent sur Jésus : sa vie surhumaine, ses miracles, ses doctrines. Il entend saint Etienne dire à ses derniers moments : « Je vois le Fils de l’homme debout à la droite de Dieu… », « Seigneur Jésus, recevez-mon esprit ! » Les chrétiens regardaient Jésus comme le Fils de Dieu. Lui-même s’était donné comme tel pendant sa vie. Une fois ressuscité, il était pour les chrétiens « le Seigneur » ; on lui appliquait les psaumes n et ex. Paul devait avoir quelque connaissance de ces notions. Mais il regardait de telles doctrines comme des blasphèmes, comme un scandale pour les Juifs, et il frémissait de colère dans son âme de pharisien.

Peut-on aller plus loin et présenter le jeune Paul comme sollicité par des appels divins auxquels il ne répondait point ? Le coup décisif de la grâce n’en serait ni moins efficace ni moins fécond. Corneille de

Lapierre nous dépeint le jeune persécuteur résistant aux premières sollicitations de la grâce : In Art., ix, 5 ; cf. xxii, 10 ; xxvi, 14 : Innuit Christus Paulum haclenus contra se quasi stimulum calcitrasse : stimulis enim miraculorum sanctitatis et disputationum sancti Stephani ac adhortationum sancti Harnabx (ut habet ejus vita) crebro Christus pupugerat menlem Sauli, ut in se crederel… Porro durus conscientiæ peccantis stimulus est, ipse ejus remorsus et oblatratio… Nec dubium hune conscientiæ stimulum non raro Sauluni saisisse, éd. Vives, t. xvii, p. 212. Cette interprétation du stimulus est admise par Salmeron, Beelen, Patrizzi, Menochius ; mais elle est rejetée par Knabenbauer, Prat, Jacquier, car un certain nombre de passages paraissent bien contredire cette explication : saint Paul affirme en même temps sa bonne foi et son dévouement entier à la cause du judaïsme ; cf. I Tim., i, 13 ; Act., xxvi 9 ; Gal., i, 14 ; Act., xxvi, 19 ; il se croyait obligé de persécuter l’Église de Dieu. Le passage invoqué, Act., xxvi, 14, ne ferait point allusion à une lutte psychologique dans l’âme de l’Apôtre. L’application de ce proverbe reviendrait à ceci : « Il te serait préjudiciable et inutile de résister à l’appel que je t’adresse en ce moment, ou de lutter contre moi et mon Église. »

Quoi qu’il en soit, toute explication qui veut sauvegarder la vérité des textes, et être recevable, doit présenter la conversion de l’Apôtre comme un passage soudain du pharisaïsme le plus militant à l’évangile du Christ.

2° Les effets de la conversion : la révélation du Fils de Dieu. — Dans quelle mesure la révélation du chemin de Damas a-t-elle contribué à la formation de la doctrine de saint Paul ? L’Apôtre ne le dit pas. Mais en déclarant : « Il a plu à Dieu de révéler son Fils en moi », Gal., i, 15-16, il fait clairement allusion à cet événement. Il a donc, à partir de ce moment, la certitude que Jésus, celui qu’il persécutait et dont il connaissait l’histoire, est vraiment le Fils de Dieu, qu’il est vivant, ressuscité et glorieux. Seigneur, participant â la puissance divine, chef des chrétiens, c’est-à-dire de l’Église de Dieu, et que c’est en lui et non dans le judaïsme qu’il faut chercher le principe de la justification, du salut et de la vie spirituelle, ou vie mystique intérieure.

Ainsi « la révélation du Fils de Dieu » ne se borne point à la connaissance de la filiation divine ; elle porte surtout sur l’idée de Fils de Dieu, principe de salut et de vie spirituelle. L’Apôtre est éclairé non seulement sur la notion fondamentale de « filiation divine », mais encore et surtout sur l’action salviflque du Christ glorieux ; Jésus, par sa mort volontaire, a sauvé l’homme ; par sa résurection il est devenu principe de vie ; c’est donc en lui seul qu’il faut chercher le salut cl la vie. Cette doctrine essentielle de l’enseignement apostolique s’impose à l’esprit de l’Apôtre grâce à l’apparition surnaturelle de Jésus ressuscité ; saint Paul devient un témoin de sa gloire et de son action divine ; il le reconnaît comme Seigneur, comme chef de l’Église qu’il persécute ; comme la tête d’un organisme vivant, dont les chrétiens sont les membres ; enfin, comme principe de salut pour tous les hommes, puisqu’il reçoit la mission de prêcher ce salut aux païens : « Je t’envoie pour leur ouvrir les yeux, afin qu’ils se tournent des ténèbres à la lumière, et de la puissance de Satan à Dieu, pour qu’ils reçoivent par la foi en moi, le pardon des péchés et l’héritage avec les sanctifiés. » Act., xxvi, 18. Dès ce moment, saint Paul est déjà en possession des éléments essentiels de sa doctrine : le salut par la foi dans le Christ, Fils de Dieu, à l’exclusion de tout autre moyen. Cette révélation contenait implicitement l’inutilité de la Loi, à laquelle l’Apôtre se trouvait arraché par la vision