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PAUL (SAINT). INFLUENCE DE LA PENSÉE GRECQUE


(/es apôtres, introduction, p. cclxxi sq. ; J.-W. Lightley, art. Stoics, dans Diciionary of the apostolic Church, t. ii, p. 526 sq.

On trouve aussi parfois chez saint Paul, nous l’avons dit plus haut, la méthode d’exégèse judéo-alexandrine, qui offre des analogies avec celle de Philon et, de plus. l’Apôtre, dans L’épître aux^Colossiens, i, 15-17, expose sa christologie en des termes puisés au vocabulaire philosophique et qui se trouvent, chez Philon, appliqués au Logos. Mais on ne saurait pour cela faire de saint Paul un disciple de Philon. Il a su exposer sa doctrine dans le langage qui convenait à ses lecteurs, mais il n’emprunte nullement ses idées à Philon. comme nous le verrons en étudiant sa christologie. On ne peut même prouver qu’il ait lu les écrits du philosophe juif, car les notions provenant de la philosophie platonicienne étaient largement répandues au i er siècle. De même, saint Jean empruntera au judaïsme hellénistique le mot Logos pour en faire une application inconnue jusque-là ; il s’en servira pour l induire la révélation faite par Dieu de son Fils, dans la personne historique de Jésus. De ces observations nous ne pouvons tirer qu’une seule conclusion : saint Paul avait une culture hellénistique assez profonde, jointe à un sens très développé de l’adaptation ; il savait parler à chacun le langage qui lui convenait. Plus loin, en exposant les doctrines, nous ferons des rapprochements plus détaillés entre sa théologie et la philosophie de son temps.

2. Les religions de mystères.

Selon plusieurs critiques modernes, saint Paul devrait le fond de ses idées religieuses, au moins pour une bonne part, à l’influence de la piété païenne et des rites des religions de < mystères ». Tel serait le cas pour la notion de salut universel, d’union mystique au Christ ; pour la valeur religieuse du baptême et de l’eucharistie ; pour l’idée de Jésus, Fils de Dieu, mort pour le salut des hommes et assurant aux fidèles une immortalité bienheureuse. Saint Paul, associant la théologie juive à celle des « mystères » aurait créé un système religieux répondant aux aspirations des diverses races fondues dans l’unité politique de l’empire romain. Cette adaptai ion, ou plutôt cette transformation, aurait assuré la victoire du christianisme sur le paganisme. Que faut-il penser d’une telle conception des origines chrétiennes ?


Il serait contraire à la vérité que de s’imaginer saint Paul ignorant les idées religieuses et les pratiques du inonde païen et n’en tenant aucun compte. Mais il ne le serait pas moins que de le dépeindre puisant dans les aspirations de la piété païenne, ou dans les rites des religions de « mystères », les éléments essentiels de sa théologie.

Ces éléments essentiels sont : l’universalité du salut ;

— l’union au Christ principe de vie spirituelle et divine, et gage d’immortalité ; — la mort du Christ cause du salut ; — la foi. le baptême et l’eucharistie, conditions et moyens pour réaliser la vie du Christ dans le fidèle. Or, ces éléments se trouvent déjà dans l’enseignement de Jésus ou dans celui des apôtres avant saint Paul ; et l’on peut même dire qu’ils ont leur germe dans l’Ancien Testament et le judaïsme. Les notions de salut universel, de vie et d’immortalité auprès de Dieu font déjà partie des doctrines de l’Ancien Testament et du judaïsme. Cf. Revue des sciences religieuses, t. x, 1930, p. 208 sq. Si l’on veut voir dans l’influence de l’hellénisme une préparation à la révélation chrétienne, il ne faut pas attendre l’époque de saint Paul pour en faire la constatation. Le livre de la Sagesse et l’enseignement de Jésus contenaient déjà des doctrines très précises sur le salut universel et la vie future immortelle.

De plus, la croyance à la valeur salvifique de la

mort de Jésus faisait partie de la première catéchèse car saint Paul était en communion d’idées avec Barnabe et les autres apôtres, cemme le montrent les c. xi et xv des Actes ; cf. Act., ii, iv. Il n’a p^int imposé cette doctrine à l’Église d’Antioche, dont il n’était ni le chef, ni même le personnage principal.

Le baptême et l’eucharistie remontent à Jésus. Saint Paul a pu en préciser le symbolisme et la valeur mystique, en un sens que n’avait point exposé la catéchèse primitive. Il y a été amené à la fois par les circonstances et par la révélation qu’il avait eue du Fils de Dieu, principe de sa propre vie spirituelle. En effet, l’idée d’une communication de vie divine faite aux chrétiens par Jésus-Christ, dès ce monde, se rencontre pour la première fois dans les épîtres de saint Paul. Mais elle était déjà dans l’enseignement de Jésus, puisque nous la retrouvons présentée comme telle par le quatrième évangile. Cf. Joa., xiv, 23 ; xv ; cf. i, 12 ; iii, 15-16 ; xx, 31. Il y a plus : l’idée d’union à Dieu, ou de vie intime auprès de lui, et dont il est la source, était déjà en germe dans l’Ancien Testament et elle n’était point étrangère au judaïsme. Cf. Ps., xxxv, 9 ; Is., lx, 1-5 ; Ps., xvi, 10 ; Prov., xv, 24 ; cf. Joa., i, 4. Voir Lagrange, Évangile selon saint Jean, Introduction, p. clxiv ; Le judaïsme avant Jésus-Christ, p. 436 sq.

Ainsi, pour donner raison à la thèse en question, il faudrait ou bien supprimer l’Évangile avec la catéchèse première telle qu’elle se présente dans les Actes, ou bien supposer que ces deux sources du christianisme primitif ont été écrites sous l’influence de la doctrine paulinienne. Ni l’histoire, ni la critique ne légitiment une conclusion aussi radicale.

Cependant, en présentant le christianisme au monde gréco-romain, saint Paul a été obligé de se servir de la langue grecque. Or, une langue est aussi une manière de penser et de sentir. Pour exposer les doctrines et les pratiques religieuses, il a dû se servir de termes compris par les païens et exprimant des idées analogues. Ces termes, il ne pouvait les vider totalement de leur contenu, et il ne pouvait présenter les idées et les rites qu’en les substituant ou en les comparant à des croyances ou des pratiques offrant avec le christianisme quelque analogie. L’Apôtre avait trop le sens d ? la réalité pour négliger un tel moyen d’apostolat. S’il y a influence des religions païennes, c’est donc plutôt par contraste. S’il y a adaptation de la part de l’Apôtre, ce n’est qu’en substituant à des rites grossiers d’autres rites plus parfaits dans leur symbolisme et leur efficacité. Mais, de ce qu’il y a analogie entre les rites païens et les rites chrétiens, il n’y a pas nécessairement pour cela dépendance. L’efficacité et la valeur religieuse de ces rites n’est pas la même dans saint Paul et les religions de « mystères ». Par exemple, supposons que saint Paul oppose au « salut » des mystères païens, Jésus le véritable « sauveur » du monde. Le salut dans les mystères païens n’est que la délivrance des dieux infernaux et des maux qu’ils infligent ; il n’est point, comme dans saint Paul, une délivrance du péché et une garantie de vie ; il n’a pas un caractère moral. En outre, ce salut cherché dans les mystères païens n’est point un salut universel ; il ne peut atteindre tous les hommes, car le dieu d’où il émane n’est pas le Dieu de tous les hommes. Pour saint Paul, au contraire. Dieu est le Dieu unique, voulant le salut spirituel de tous les hommes et ayant réglé un plan en vue de cette fin. Entre le christianisme de saint Paul et les mystères païens, il y aura toujours la différence fondamentale qui sépare le monothéisme moral du polythéisme. En outre, lorsque l’Apôtre oppose les rites chrétiens aux rites païens, il entend opposer la puissance divine du Seigneur Jésus-Christ à la puissance des démons ; cf. I Cor., x, 14-20. Que