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PAUL (SAINT). INFLUENCE DE LA PENSÉE JUIVE


parfois aussi l’apôtre attribue les paroles à uu livre déterminé, par exemple, dans Rom., x, 15 sq. ; 1s., lu, 7 ; lut, 1 ; Ps. xix, 5, etc.

Les formules de citation employées par saint Paul permettent-elles de distinguer dans quel sens il apporte les textes et quelle portée il veut donner à la citation ? Il ne semble pas, car les mêmes formules sont parfois employées pour introduire des citations ayant une portée différente. L’on peut comparer, par exemple, P » om., i, 17 ; iii, 10 ; ix, 13, 33 ; xi, 26, avec II Cor., viii, 14-15, et Rom., xv, 20-21. Dans tous ces passages, les citations sont introduites par la formule : « Selon qu’il est écrit. » Or, pour les deux derniers, le sens accommodât ice est reconnu par le P. Prat, La théologie de saint Paul, 1. 1. 1930, p. 23-24. Pour II Cor., vm, 14-15, il est admis par le P. Cornely, Introductip generalis, p. 568. Le même auteur l’admet également pour Heb., xiii, 5, où la citation est introduite par la formule : « Car il (Dieu) a dit lui-même. » Ibiil.

Il est donc impossible de ramener toutes les citations de l’Écriture dans saint Paul à un certain nombre de sens bien définis, d’après les formules de citation. Le sens qu’il donne à l’Ecriture, ou l’usage qu’il en fait, se dégage avant tout de la nature et du développement de son argumentation.

On peut dire, qu’après le sens littéral, l’Apôtre pra tique surtout le sens typique, qui n’est qu’une des formes multiples du sens spirituel, mystique ou caché. Le sens spirituel, xarà Trvsdfxa, comprenait en effet, chez les Juifs hellénistes, tout ce qui n’était pas sens « corporel », xocrà aûfià. Saint Paul en retient principalement le sens typique ou figuratif, auquel il attribue une grande portée. I Cor., x, 11 : xaûxa Se 7râv-a -rumxôSç cruvî6aiv£v êxelvoiç… ; cf. Rom., v, 14 ; vi, 17 ; I Cor., x, 6 ; I Thess., i, 7 ; II Thess., m. 9 : Les choses, les événements, ou les personnes de l’Ancien Testament, tout en conservant leur réalité historique exprimée par la lettre, se rapportent « selon l’esprit », aux choses ou aux personnes du Nouveau Testament, surtout à la personne du Christ : « la fin de la Loi, c’est le Christ, pour la justification de tout croyant ». Rom., x, 4. La Loi a pour mission de conduire au Christ, iii, 23, elle doit aboutir à la révélation de la foi. Ibid. Les choses de l’Ancien Testament doivent donc signifier, figurer celles du Nouveau. Cf. Rom., v, 12-21 ; I Cor., v, 7 ; x, 1-4 ; 6-11 ; XI, 7-13 ; xv, 45 ; Gal., iv, 23-24. Elles ont une valeur prophétique, que l’on découvre à la lumière des événements accomplis et à celle de la révélation chrétienne. Cf. Deut., xviii, 22. Toutefois, dans I Cor., x, 11, saint Paul ne fait qu’apporter un exemple de sens typique ; il ne veut pas dire que tout dans l’Ancien Testament a un sens figuratif ayant sa réalisation dans le Nouveau. Cf. S. Augustin, De civ. Dei, XVI, ii, 3, P. L., t. xli, col. 479 ; ibid., col. 526.

Dans Gal., iv, 23-24, l’exégèse spirituelle de l’Apôtre emprunte les termes du vocabulaire alexandrin « arriva èanv àXXy)yopoùjj !.£va », ces choses sont des allégories » ; mais elle s’écarte de celle de Philon, car elle sauvegarde le sens littéral ou la réalité du type. Elle se rattache en cela plutôt au fig.risme palestinien qui dérivait de la règle d’analogie. Mais, par la conception de la lettre et de l’esprit, du type et de l’antitype, elle se rapproche du judaïsme hellénistique et des livres de l’Ecclésiastique et de la Sagesse. Le livre de la Sagesse, en reprenant l’histoire de l’Ancien Testament, dégage le côté spirituel et moral des faits. Sap., x-xi ; Eccii., xvii ; xliv sq. ; cf. Hebr., xi, 4 sq. Les patriarches y deviennent des types. Adam, celui de l’homme ; Joseph, Loth et Abraham, celui du juste ; Moïse, celui du serviteur de Dieu. De même que les Septante avaient remplacé les anthropomorphismes par des équivalents plus aptes à rendre leur

idée de Dieu, de même les livres grecs de l’Ancien Testament notent le côté spirituel des choses : l’esprit avait pour eux plus de valeur que le corps, l’enseignement moral plus de valeur que l’histoire. Pour saint Paul, la Loi et l’Ancien Testament représentent la « lettre » ; le Nouveau, avec le Christ, représente 1’ « esprit ». Or la « lettre » donne la mort ; tandis que 1’ « esprit » donne la vie. Cf. II Cor., iii, 6-7. On comprend jusqu’à un certain point que des sectes d’hérétiques aient pu abuser de la doctrine de saint Paul sur 1’ « esprit », pour rejeter totalement l’Ancien Testament comme opposé au Nouveau. En réalité, saint Paul ne marque pas une opposition entre les deux, mais la différence entre l’imperfection de l’image matérielle et la perfection de la réalité spirituelle.

A côté de ce sens typique, prophétique, si fécond pour expliquer la réalisation de certaines prophéties de l’Ancien Testament, on trouve chez saint Paul l’emploi de l’Écriture dans une foule d’autres sens mystiques ou spirituels, sur la dénomination desquels les auteurs anciens ne s’accordent point. Il est inutile, à notre avis, d’essayer de les classer sous une étiquette définie. Ce sont comme autant de cas d’espèce sur lesquels l’exégète doit prendre position en expliquant les épitres. D’ailleurs, le fond de la théologie paulinienne n’est nullement lié à cette manière d’utiliser l’Ancien Testament. Citons deux exemples caractéristiques de sens spirituel : I Cor., ix, 9, cf. I Tim., v, 18 ; et Rom., x, 18.

Dans le premier passage, la prescription du Dcutéronome, xxv, 4 : « Tu ne muselleras pas la bouche du bœuf qui foule le grain », est apportée pour prouver que le prédicateur a le droit de vivre de son ministère. L’Apôtre ne fait pas seulement un rapprochement littéraire, en vertu de l’analogie ; il est formel : « Est-ce selon l’homme que je dis ces choses, et la Loi ne les dit-elle pas aussi ? Car il est écrit dans la Loi de Moïse : « Tu ne muselleras pas la bouche du bœuf qui foule le grain. » Dieu se met-il en peine des bœufs ? N’est-ce pas absolument à cause de nous qu’il parle ainsi ? Oui, c’est à cause de nous que cela a été écrit », ꝟ. 8-10 ; cf. I Tim., v, 18. L’Apôtre a bien l’intention de s’appuyer sur une autorité qui n’est point humaine, celle de l’Écriture. A ses yeux, la lettre n’épuise pas toute la signification ou tout l’enseignement donné par la Loi. Sans doute, il ne veut point dire que Dieu ne s’occupe en aucune façon des animaux, ce serait contraire à renseignement de l’Ancien Testament et à sa propre pensée, cf. Act., xvii, 24-25 ; mais que Dieu a caché sous la lettre un enseignement plus élevé, plus important pour les chrétiens, que le précepte matériel. On ne saurait parler dans ce passage d’adaptation ou accommodation littéraire ; il y a là un véritable sens mystique ou spirituel.

En est-il de même du passage Rom., x, 18 ? La réponse est plus difficile. L’apôtre emprunte les paroles du ps. xix, 5 sans annoncer une citation ni invoquer l’Écriture ; il fail d’ailleurs de même au ꝟ. 6 du même chapitre en citant librement le passage du Deutéronome, xxx, 11-14. Il se contente de dire : « Voici comment parle la justice qui vient de la foi. » Il semble bien que, dans ces deux passages, l’Apôtre aille jusqu’à la simple accommodation littéraire. Sans doute on peut objecter, pour le passage Rom., x, 18’.’Apôtre voit dans le monde physique, dans les cieux et les astres, l’image du monde spirituel ou du monde chrétien ; et les astres qui donnent leur lumière représentent les apôtres, la lumière du monde, cf. Matth., v, 14. Mais saint Paul a-t-il voulu pousser à ce point le fig.risme ? On ne saurait l’affirmer précisément, parce qu’il n’invoque point ici l’Écriture pour appuyer son affirmation ; il se borne à en prendre les termes pour exprimer sa propre pensée.