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PAUL (SAINT). INFLUENCE DE LA PENSÉE JUIVE

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En somme, toutes ces règles étaient fondées sur l’analogie des textes ou des faits. Elles s’appliquaient non seulement à l’halacha mais aussi à Vhaggada. Souvent, comme point de départ d’un exposé haggadique, on changeait la lecture traditionnelle d’un mot, en transposant ses consonnes, ou même en leur en substituant d’autres. Le plus souvent, on se contentait de changer les voyelles dans la lecture.

Outre le sens littéral, les rabbins admettaient un sens mystérieux ou caché, qu’il s’agissait de découvrir par la recherche, midrasch. Les choses ou les événements exposés dans le sens littéral avaient à leurs yeux un sens symbolique ; en d’autres termes, ils étaient figuratifs : ils signifiaient autre chose » ou annonçaient l’histoire future.

Les Palestiniens donnaient généralement la première place au sens simple ou littéral, mais ne négligeaient point pour cela les autres sens qui étaient multiples. D’ailleurs, ils distinguaient bien en principe le genre halacha (voie, conduite, explication de la Loi ou exégèse juridique) du genre haggada (narration, discours, exposé). Ce dernier genre comprenait tout ce qui n’était pas de l’exégèse juridique ou explication de la Loi ; il comportait donc de l’histoire, du dogme, de la morale, de la légende édifiante. Parfois même on refondait l’histoire biblique pour l’adapter à une situation nouvelle, pour résoudre les difficultés qu’elle pouvait présenter ou même pour donner un enseignement moral. Tel est, par exemple, le cas pour le livre des Jubilés.

Tandis que l’exégèse juridique, Vhalacha, plus sobre et plus rigoureuse, se pratiquait à 1’ « école », l’exégèse haggadique se donnait généralement à la synagogue : c’était la prédication. Elle était beaucoup plus libre que la première, et aboutissait même souvent aux plus étranges fantaisies. Outre le sens simple, on en recherchait un grand nombre d’autres : un mot ou même une lettre signifiaient une phrase entière, c’était le rémès ; ou encore on voulait édifier et l’on regardait comme « sens » tout ce qui pouvait y contribuer, c’était le derousch. Il y avait surtout le sod ou sens caché, mystérieux, qui renseignait sur toutes questions religieuses ou pénétrait les secrets divins. Avec de telles conceptions, on se livrait à d’étranges déductions. Par exemple, on était choqué de lire dans Num., xii, 1, que Moïse avait épousé une Éthiopienne. Dans l’explication du texte, on remplaçait Couchith, « Éthiopienne », par jephath maréh, « belle à voir », car ces deux mots avaient la même valeur numérique, c’est-à-dire 738. Voir le Targum d’Onkelos, h. L ; cf. Hausrath, Die Zeit Christi, t. i, p. 98 sq. ; Gfrôrer, Das Jahrhundert des Heils, t. i, p. 244 sq. Ainsi, on pouvait remplacer un mot par un autre, pourvu que ses lettres représentassent la même valeur numérique, ce qui n’était que l’extension de la septième règle de Hillel. Voir plus haut. L’épître de Barnabe connaît ce procédé de l’exégèse haggadique. Pour montrer qu’Abraham songeait déjà à la croix, il interprète le nombre 318, Gen., xiv, 14, de la manière suivante : 18=IH, c’est-à-dire Jésus, et 300 =T, qui représente la croix. Épitre de Barnabe, ix, 7-8. La même interprétation se retrouve dans Clément d’Alexandrie, Strom., VI, xi, 84. Cf. Tertullien, Adv. Marc, iii, 22 ; Pseudo-Cyprien, De pascha comp., n. 10, 18, 20, 22, éd. Hartel, p. 257, 265, 267 sq. Voir Witulisch, Der Barnabasbrief, dans Handbuch zum N. T. de Lietzmann, Die Aposhdischen Vater, p. 356-357. Le symbolisme des nombres se retrouve dans l’Apocalypse, cf. Allô, L’Apocalypse de saint Jean, p. 142 sq., 192 sq. Le nombre de la bête, 666 =Néron.

Avec de tels procédés on découvrait dans l’Écriture tout ce que l’on voulait lui faire dire, depuis le simple symbolisme ou figurisme, légitime à cause de l’ana logie des choses ou des situations, jusqu’aux sens les plus imprévus.

En outre, les interprètes qui axaient subi l’influence de la philosophie alexandrine, à l’exemple d’Aristobule et de Philon, s’attachaient surtout au sens allégorique ou symbolique. Ils en arrivaient même jusqu’à négliger totalement le sens littéral ou corporel et à ne voir parfois dans les événements ou les choses de l’Ancien Testament, que de purs symboles. Cette méthode avait à leurs yeux l’avantage de résoudre bien des difficultés et de concilier ainsi la Bible avec la philosophie grecque.

Enfin, les rabbins avaient coutume, en citant l’Écriture, de bloquer ensemble des passages tirés de livres différents, offrant une analogie de pensée, de situation, ou même parfois une simple ressemblance verbale. Ces citations composites ou mosaïques de textes s’appelaient haraz, enfilade.

Ainsi, dans l’usage ou l’application de l’Écriture, toutes les nuances étaient représentées, depuis le sens littéral jusqu’aux variétés les plus diverses du sens caché : sens figuré, simple adaptation verbale, ou même ornement littéraire pour frapper l’attention des auditeurs. Cf. Edershehn, The lije and times oj Jésus the Messiah, t. ii, 1901, p. 710 ; Durand, art. Exégèse, dans Dictionnaire apologétique de la foi catholique, t. i, col. 1815.

Saint Paul, sans aucun doute, a su éviter les excès des rabbins et des allégorisants de l’école juive d’Alexandrie. Mais sa manière d’invoquer et d’expliquer l’Écriture ne diffère pas essentiellement de celle des docteurs juifs. Il ne faut jamais perdre de vue ce fait lorsqu’on veut préciser la valeur démonstrative ou la portée des textes qu’il tire de l’Ancien Testament. D’ailleurs, à cause des nuances si variées qu’il apporte dans l’usage de l’Écriture, il est à peu près impossible de réduire à un nombre de types précis le sens qu’il donne aux textes, ou l’emploi qu’il en fait.

Ce qui complique encore parfois la difficulté c’est l’emploi du haraz dont nous avons parlé. Saint Paul réunit dans une même citation des passages tirés de divers livres de l’Ancien Testament, par exemple, Rom., iii, 10 sq. ; ix, 25 sq. ; xi, 26, 34, etc. ; xii. 19 ; II Cor., vi, 16. Dans les citations des rabbins le premier passage était d’ordinaire tiré du Pentateuque, puis on lui en ajoutait d’autres tirés des prophètes et des hagiographes. Chez saint Paul, le point de départ n’est pas un passage du Pentateuque. Au 1 er siècle, les Juifs avaient tendance à mettre au même rang les trois divisions de la Bible. Cf. Edersheim. Life and times of Jésus the Messiah, 1. 1, p. 449. Le même procédé, nous l’avons déjà noté, était employé dans la diatribe stoïcienne et chez les scoliates grecs, qui bloquaient les textes en centons ou mosaïques poulies présenter comme un passage unique et homogène. Cf. Bultmann, Der Slil der paulinischen Predigt, p. 42 sq., 94 sq. ; Lagrange. Épitre aux Romains, introduction, p. lix.

Enfin, tout en suivant généralement le texte des Septante, l’Apôtre s’en écarte parfois dans les détails et rend l’original d’une façon plus adaptée à sa pensée, par exemple : Rom., ix, 25-33 ; x, 6-8 ; II Cor., vi, 17-18. Sans doute, saint Paul a pu avoir un texte différant légèrement du nôtre, et il a pu suivre une tradition établie chez les Juifs concernant la citation de ces passages. Dans ce cas, les textes invoqués auraient la valeur d’un argument ad hominem. Mais n’est-ce pas plutôt la méthode des rabbins qui adaptaient les textes pour les faire servir à l’expression de leur pensée ? Saint Paul pouvait le faire dans un but de simple exhortation. Ajoutons que, parfois, la citation n’est qu’implicite et ne déliasse pas le simple procédé littéraire. Rom., x, 8-10, cf. Dent., xiii. Il-14 ; mais