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PATRIE (PIÉTÉ ENVERS LA). OBÉISSANCE


qu’à la mort, jusqu’à la mort de la croix. Phil., ii, 8.

La leçon qui se dégage de ce précepte et de cet exemple a été mise en relief dans les termes les plus clairs parles apôtres : « Que toute âme, écrit saint Paul, obéisse aux autorités qui détiennent la puissance ; car il n’y a pas de pouvoir qui ne vienne de Dieu, celles qui existent ont été instituées par lui, si bien que leur résister, c’est résister à l’ordre établi par lui. Le magistrat, le prince sont ministres de Dieu », ils le deviennent « pour que soit accompli le bien », « pour tirer vengeance de qui fait le mal et pour le punir. Il est donc nécessaire d’être soumis, non seulement par crainte du châtiment, mais aussi par motif de conscience. C’est aussi pour cette raison que vous » chrétiens, « vous payez les impôts… Rendez donc à tous ce qui leur est dû : à qui le tribut, le tribut ; à qui la crainte, la crainte ; à qui l’honneur, l’honneur. » Rom., xiii, 2-7. Aussi les chefs des Églises, comme Tite, sont invités par saint Paul à rappeler « aux fidèles le devoir d’être soumis aux magistrats et aux autorités, de leur obéir, d’être prêts à toute bonne œuvre ». Tit., m, 1.

La première épître de Pierre tient le même langage : « Soyez donc soumis à toute institution humaine à cause du Seigneur, soit au souverain, comme au chef de toute la hiérarchie, soit aux gouverneurs, comme à ses délégués, pour faire justice des malfaiteurs et encourager les gens de bien. Car telle est la volonté de Dieu : que, par votre bonne conduite, vous fermiez la bouche aux insensés qui vous méconnaissent. Comportez-vous donc comme des hommes libres, non pour faire de votre liberté un manteau, qui couvre votre malice, mais comme des serviteurs de Dieu. Ayez des égards pour tous, aimez la fraternité, craignez Dieu, honorez le souverain. » I Petr., ii, 13-17.

Ainsi, tous les témoignages s’accordent pour imposer aux fidèles l’obéissance à l’autorité civile légitime, même quand elle n’est pas celle de la patrie proprement dite, du pays des ancêtres, de la nation chère à notre cœur. Donc, à plus forte raison, le devoir religieux de la soumission s’impose-t-il aux chrétiens à l’égard du pays qui, avec la famille, mérite pleinement d’être tenu pour le « principe » secondaire, mais réel, de notre vie physique et morale, investi, comme tel, par la Providence, conjointement avec les parents, du droit de nous gouverner, et cela, non à notre déplaisir, mais à notre entière satisfaction.

Cette sujétion filiale due à la patrie, et plus encore le respect, l’amour ordonnés par la vertu de piété, seule a le droit de les exiger de notre conscience la nation qui, pour nous, est véritablement une mère. Si, par l’injustice, par la violence, un peuple étranger s’empare du sol et y installe de force une administration, cet intrus qui n’a donné aux citoyens ni leur vie matérielle ni leur être moral, mais qui, au contraire, a peut-être jonché de cadavres leur territoire ; cet envahisseur qui, venu contre tout droit, loin d’être le légitime représentant de Dieu pour les gouverner, les a séparés du véritable mandataire de la Providence, en un mot, l’usurpateur ne saurait prétendre à ce que la patrie peut exiger de ses enfants. A cet occupant lui-même, en tant que tel, le citoyen ne doit rien. Si un jour la nation accepte formellement le nouveau pouvoir, il cesse alors d’être illégitime. Si le conquérant jouit paisiblement du pays gagné, depuis un certain temps et avec l’assentiment tacite du peuple, et si, en fait, il possède ainsi le gouvernement, alors le souci du bien commun, le devoir de ne pas provoquer de plus grands maux en troublant la tranquillité publique entraînent l’obligation non d’acquiescer de cœur au changement politique, mais du moins d’obéir aux lois justes de l’ancien envahisseur. Par contre, aussi longtemps que l’étranger n’est reconnu ni de droit

ni en fait par la population qui le subit, les sujets ne sont pas tenus de lui obéir, enseignent les théologiens, si ce n’est… pour éviter le scandale ou le danger d’un plus grand mal. Sum. theol., IP-II 86, q. civ, a. 6, ad 3um. Le bon citoyen, en réalité, n’accorde rien à l’usurpateur lui-même. Il peut seulement être contraint, tenu de consentir à l’ordre public ce qui est nécessaire pour prévenir de nouveaux et plus redoutables malheurs, pour sauvegarder le bien commun. C’est alors à Dieu et à la vraie patrie qu’il donne son obéissance, parce que, seuls, Dieu et la vraie patrie confèrent à des ordres, en eux-mêmes dépourvus de force impérative, l’autorité morale, seule capable de rendre obligatoire en conscience leur exécution.

Un des meilleurs disciples de saint Thomas, le cardinal Mercier, archevêque de Malines, a récemment rappelé cette doctrine dans une lettre pastorale sur le patriotisme adressée à ses diocésains, alors que leur pays était occupé par des forces étrangères. Ce philosophe et théologien catholique écrivait : « Je considère comme un devoir de ma charge pastorale de vous définir vos devoirs de conscience en face du pouvoir qui a envahi notre sol et qui, momentanément, en occupe la majeure, partie. Ce pouvoir n’est pas une autorité légitime ; et, dès lors, dans l’intime de votre âme, vous ne lui devez ni estime, ni attachement, ni obéissance. L’unique pouvoir légitime en Belgique est celui qui appartient à notre roi, à son gouvernement, aux représentants de la nation. Lui seul est pour nous l’autorité, lui seul a droit à l’affection de nos cœurs, à notre soumission. D’eux-mêmes, les actes d’administration publique de l’occupant seraient sans vigueur : mais l’autorité légitime ratifie tacitement ceux que justifie l’intérêt général et de cette ratification seule leur vient toute leur valeur juridique. Envers les personnes qui dominent par la force militaire…, ayons les égards que commande l’intérêt général. Respectons les règlements qu’elles nous imposent, aussi longtemps qu’ils ne portent atteinte ni à la liberté de nos consciences chrétiennes, ni à notre dignité patriotique. » Le cardinal recommande ensuite aux prêtres d’êtres « les meilleurs gardiens du patriotisme et les soutiens de l’ordre public, … les champions des vertus que… commandent à la fois l’honneur civique et l’Évangile ». Patriotisme et endurance, Noël 1914.

Il semble difficile de ne pas admirer cette notion chrétienne de l’obéissance à la patrie. Notre légitime dignité se trouve pleinement garantie. L’homme demeure l’égal de l’homme et ne renonce jamais à ses droits devant un seul de ses semblables. Il ne pactise pas avec la force, il n’adule pas le pouvoir. Il ne se vend pas pour des biens périssables. Sa volonté ne s’incline que devant celle de Dieu ; mais partout et toujours quand le chrétien l’aperçoit, il s’ennoblit en l’accomplissant. Aucun membre de la patrie n’est donc plus que lui tenu d’être meilleur. C’est le Père du ciel et Souverain Maître que le fidèle sert dans le plus humble supérieur, c’est un ordre du Très-Haut qu’il respecte dans l’ordre le plus minuscule de la plus petite autorité. La soumission du fidèle est donc celle qu’une créature humaine, en tant que telle, ne pourrait jamais ni exiger ni espérer ; une soumission non seulement prompte et complète, mais intérieure, celle de la conscience ; une soumission qui n’est pas motivée uniquement par la crainte, mais par l’amour du devoir et de la vertu, de la patrie et de Dieu ; une soumission qui s’efforce d’être semblable à celle du Christ Jésus ; une soumission que rémunèrent des récompenses supérieures à toutes les autres, le perfectionnement moral, un progrès dans la grâce et la charité, l’acquisition de mérites pour la vie éternelle, la joie de plaire au Très-Haut en même temps que celle de servir des compatriotes, des amis, des frères. Il n’y a donc pas