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    1. PATRIE (PIETE ENVERS LA)##


PATRIE (PIETE ENVERS LA). OBÉISSANCE

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puissance du Très-Haut plus que les pouvoirs éphémères du monde et qu’en présence des droits de la bonté infinie, l’amour, les promesses et les séductions de nos semblables ne sont que bagatelles. Sum. theol., IP-II*, q. ci, a. 4 corp. et ad lum ; q. civ, a. 5 corp. ; a. 6, ad 3um.

Cet enseignement que tous les théologiens ont professé, que l’Église n’a cessé de donner en tous pays, dérive en droite ligne des saintes Écritures, notamment de l’Évangile. Il est expressément contenu dans le grand précepte du Christ : Tu aimeras le Seigneur de tout ton cœur, de toute ton âme, de tout ton esprit et de toute ta force. Marc, xii, 30 ; Matth., xxii, 37, Luc, x, 27. De ce principe il est facile de conclure que celui qui aime son père et sa mère, donc aussi sa patrie, plus que « Jésus » n’est pas digne de lui. Matth., x, 37. L’Évangile n’hésite même pas à le déclarer : lorsqu’une créature, quelle qu’elle soit, nous empêche de remplir nos devoirs envers Dieu, lorsqu’il faut choisir entre elle et lui, c’est vers lui que nous sommes tenus de nous tourner, au risque d’avoir pour elle de l’aversion. Nous devons détester en elle le péché. Si quelqu’un vient à moi et ne hait pas son père et sa mère, son épouse et ses enfants, et même sa propre vie, il ne peut être mon disciple. Luc, xiv, 26 ; cf. Joa., xii, 25. Aussi les premiers disciples, Pierre et les apôtres, ont-ils trouvé, pour exprimer cette pensée, une formule sereine mais inflexible qui a traversé les siècles, redite partout et toujours, quand il le faut : On doit obéir à Dieu plutôt qu’aux hommes. Act., v, 29.

Aux ordres de la patrie qui ne sont pas en opposition avec la loi de Dieu, le citoyen doit-il obéissance ? Dans d’autres articles sont exprimées toutes les conditions requises pour qu’une prescription humaine soit juste, pour que l’action de l’État soit légitime, pour qu’une loi civile ait force obligatoire. Ailleurs aussi sont résolus les cas de conscience que soulève l’obligation de payer l’impôt pécuniaire ou celui du sang. Voir État, Lois, Service militaire, Tribut. Ici est discutée seulement la question de principe, quand les ordres de la patrie sont conformes à la saine raison et en harmonie avec le droit naturel, avec les préceptes positifs de Dieu, quand celle-ci ne dépasse pas ses attributions, quand la prescription, législative, ou autre, est portée par les mandataires de la nation et qu’ils ne commettent pas un abus de pouvoir, ne vont pas au delà de leurs droits, quand, en tin, le commandement est édicté pour le bien commun et répartit, avec une égalité convenable, les charges que sa poursuite impose aux divers citoyens ; alors, aucune hésitation n’est possible, l’obéissance est de rigueur, elle est un devoir moral, religieux, chrétien. %

La patrie est, en effet, un des principaux instruments dont Dieu se sert pour gouverner le monde et nos vies ; en d’autres termes, pour nous conduire vers notre destinée. Aussi lui confie-t-il une part de sa puissance. C’est de lui que vient l’autorité dont elle dispose. Considéré en lui-même, l’homme en tant qu’individu est l’égal en droits de l’homme. Il peut être plus âgé, plus intelligent, plus fort, plus instruit, meilleur. Admettons que ces différences le préparent et sont des aptitudes au commandement. Elles ne le confèrent pourtant pas, ni en droit ni en fait : l’expérience l’atteste. Les hommes peuvent bien choisir certains d’entre eux, dans une ville ou un pays, pour leur confier une charge, décréter ensuite que tous les habitants de la cité, tous les membres de la nation seront tenus d’obéir à ces mandataires de la collectivité, et menacer de châtiments les transgressions. Pour imposer de telles volontés, il suffit qu’un particulier ou un groupe ou la multitude dispose de la force. Mais ils ne créent pas le droit. En réalité, aucun

homme, nulle collectivité ne sont par eux-mêmes capables d’imposer à un mortel l’ordre moral de leur obéir, un précepte impératif qui lie la conscience devant Dieu et ne peut être transgressé sans qu’un péché soit commis. Au contraire, puisque le Créateur a fondé, veut et conserve la société civile — puisqu’il adécidé qu’elle ne saurait vivre sans être gouvernée — puisque, seul, il est par nature supérieur à tout homme, principe premier, garant de tout droit, source, auteur et juge de toute obligation, les chefs de la cité ou d’un peuple, quelle que soit la manière dont ils sont désignés, tiennent de lui leur autorité morale. Ils n’en auraient aucune s’il ne la leur avait donnée, comme l’observait le Christ lui-même. Joa., xix, II. Aussi l’apôtre Paul a pu énoncer le principe en ces termes tout à fait généraux : Non est enim potestas nisi a Deo, Rom., xiii, 1, « Tout pouvoir vient de Dieu ». Alors, rien de plus clair puisque, précisément, tout pouvoir vient de Dieu, si les ordres qu’imposent les dépositaires authentiques de l’autorité du Très-Haut ne violent en rien la justice, ne contredisent pas les commandements supérieurs, soit naturels, soit positifs du Législateur suprême, ces prescriptions de l’autorité civile, des plus grands chefs, comme des plus humbles, s’imposent religieusement, nous obligent en conscience, de par le Maître souverain du monde et devant lui : c’est à lui qu’on se soumet ou qu’on désobéit, en se soumettant ou en désobéissant à la patrie et à ses représentants, IIa-IIæ, q. ci, a. 3 ; q. en, a. 2 corp. et ad 3um ; q. civ, a. 1 corp. et ad 2um ; a. 2 corp. : a. 6 corp. ; q. cv, a. 1.

La piété envers notre pays doit être d’ailleurs amour et respect, comme on l’a établi plus haut.- Or, on ne révère pas quelqu’un si on méprise ses justes ordres, si on se rit de ses sages volontés. IIa-IIæ, q. civ, a. 3, ad lum. Ne prouve-t-on pas, au contraire, son affection aux hommes et à Dieu, n’emploie-t-on pas le meilleur moyen de leur plaire quand on agit conformément à leurs prescriptions ? NotreSeigneur a exprimé la pensée du genre humain en l’affirmant : Vous êtes mes amis, si vous faites ce que je commande. Joa., xiv, 15, 23 ; xv, 14. La patrie peut tenir le même langage. Ses lois, d’ailleurs, si elles sont raisonnables, poursuivent le bien commun de la nation, c’est-à-dire sa paix au dedans et au dehors, sa richesse et sa prospérité, son renom et sa vertu, autant d’avantages dont nous ne pouvons pas nous désintéresser si nous professons pour notre pays la prédilection que Dieu nous ordonne de lui manifester.

Ainsi, accomplir les justes prescriptions de la patrie, même les plus simples, les plus banales, celles qui nous sont imposées par son plus modeste représentant, c’est contribuer dans une certaine mesure à la réalisation du plan providentiel, déférer à une exigence de la loi naturelle, c’est en définitive, obéir à Dieu.

II ne faut donc pas s’étonner si ce devoir est recommandé par toute la tradition chrétienne, si on découvre dans l’Écriture elle-même des paroles qui peuvent être invoquées pour confirmer la force impérative de ce précepte au regard de la conscience. Certes, ni pour Jésus-Christ, ni pour ses apôtres, l’empire romain n’est le pays des ancêtres, le peuple choisi de leur âme, la patrie au sens où une nation l’est pour l’homme moderne, dans les pays civilisés. Le Seigneur et, à sa suite, les premiers disciples, estiment pourtant qu’en raison du fait accompli, de l’installation pacifique et durable de ce pouvoir et des services qu’il rend, le souci du bien commun et de la tranquillité publique oblige à voir dans cette puissance et ses mandataires les représentants de Dieu. On connaît la conséquence. Jésus-Christ ordonne de rendre à César ce qui est à César. Matth., xxii, 21 ; Marc, xii, 17 ; Luc, xx, 25. Puisque Pilate a reçu d’en haut pouvoir sur lui, le Sauveur lui est obéissant jus-