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PATRIE (PIETE ENVERS LA). AMOUR


nient de la voix et du cœur, mais de toute l’existence, puisque celle-ci nous vient entièrement de Dieu, non seulement par le foyer, mais.aussi par le pays. C’est justice.

En même temps, c’est charité. Sans doute, cette vertu nous prescrit d’aimer tous les hommes, mais il y a une hiérarchie des affections et nous sommes tenus de chérir davantage les personnes qui nous approchent de plus près et à la vie desquelles nos vies sont plus intimement associées. Tel est l’enseignement de tous les théologiens, fondé sur les inclinations de la nature, les affirmations de la raison, la croyance commune des hommes, le langage des Livres saints et de la tradition chrétienne. Tout s’accorde pour nous imposer une charité plus grande, une prédilection à l’égard de la patrie. lf a -lf æ q. xxvi, a. <i, sed contra, corp. ; a. 7, sed contra, corp. ; q.xxxi, a. 3 ; q. xxxir, a. 9 ; q. xliv, a. 8 corp., ad 2um et 3um.

Cet amour est d’ailleurs en même temps une des manières les meilleures de témoigner au pays le respect auquel il a droit. Avoir cette prédilection, c’est l’honorer par le don le plus précieux, celui du cœur. On lui montre ainsi quelle estime on professe pour le bien qui est en lui, ses grâces physiques et ses richesses morales, ses services et son dévouement, ses souvenirs et ses traditions, la sagesse et la puissance dont il fait preuve en veillant sur nos personnes et en gouvernant nos vies. D’autre part, tout ce que cet amour de la patrie nous invite à consentir ou à entreprendre pour elle, tout ce que nous faisons pour son service, l’aide à vivre avec décence et dignité, a faire bonne figure et à tenir son rang, à travailler avec succès pour le bien commun. La véritable affection est donc une forme exquise du respect.

Cette prédilection envers la patrie nous offre aussi l’occasion d’accomplir des actes de charité à l’égard de Dieu lui-même. Nous l’aimons dans un de ses représentants, une de ses images. En obéissant à un précepte du Très-Haut, en accomplissant une de ses volontés, nous lui prouvons notre affection. Bien plus, nous essayons même de lui ressembler en aimant, comme il le fait, le bien commun, une collectivité qui lui est chère et en nous dépensant pour elle. Enfin, ce qu’ainsi nous accordons à la patrie, en raison de cette prédilection, donne au pays le moyen d’accomplir les devoirs que lui impose la Providence et de jouer ici-bas le rôle qu’elle lui confie. Notre amour de notre pays favorise l’exécution du plan divin. Il nous permet donc d’accomplir les deux grands préceptes de la charité envers Dieu et le prochain auxquels se ramène toute la Loi.

Aussi la sainte Écriture exalte-t-elle ce sentiment. Il est présenté, dans toute l’histoire d’Israël, comme un facteur constant de la vie du peuple choisi. Toujours il est tenu pour un sentiment louable, inspirateur de grandes et bonnes œuvres. C’est surtout le second livre des Macchabées qui exalte cette prédilection des Juifs pour le pays des ancêtres, ses traditions, ses lois, ses coutumes, sa langue, sa religion et son temple. II Macc, vi, 1, 6 ; viii, 2, 3, 21, 27, 36 ; xii, 37 ; xv, 29. Judas exhorte ses frères à mourir pour la patrie, viii, 21 ; xiii, 15. Il fait prier pour ceux qui sont exposés à la perdre, xiii, 11, et lutte en héros, avec les siens, pour le salut de son peuple, xiv, 18.

Cet amour ne se manifeste pas avec moins d’éclat dans les livres du Nouveau Testament. Jésus-Christ honore les traditions des Juifs et nomme avec respect les grands hommes de la nation. Il ne fait pas mystère de sa particulière sollicitude pour les brebis perdues de la maison d’Israël. Matth., xv, 24. A elles il donne d’une manière spéciale un nom qui convient pourtant à tous les hommes, celui <> d’enfants ». Matth., xv, 26. liien que la capitale de sa patrie, Jérusalem, soit

DICT. DE THÉOL. CATHOL.

ingrate et coupable, il pleure à la pensée des maux, des ruines et de la destruction dont elle est menacée. Il compare son affection pour elle à la tendresse de la poule qui cache ses poussins sous ses ailes. Matth., xxiii, 37, 39. De nouveau, pendant sa passion, il se montre préoccupé du malheureux sort auquel sont condamnées les filles d’Israël et leurs enfants. Luc, xxiii, 27-31. Comme son divin Maître, Pierre, surtout au début de son ministère, s’adresse, avec une prédilection manifeste et d’ailleurs avouée par lui, aux « enfants d’Israël ». Act., ii, 22, 39 ; iii, 17-21, etc. Paul aime, lui aussi, très ardemment, les hommes de sa patrie et ne cache pas ses sentiments. « J’éprouve une grande tristesse, écrit-il, et j’ai au cœur une peine incessante, car je souhaiterais d’être moi-même anathème, loin du Christ, pour mes frères, mes parents, selon la chair, qui sont Israélites, à qui appartiennent l’adoption et la gloire et les alliances et la Loi et le culte et les promesses et les patriarches ; et de qui est issu le Christ, selon la chair, lequel est au-dessus de toutes choses, Dieu béni éternellement. » Rom., ix, 2-5. Aussi, quelsque soient les torts de ses compatriotes, l’apôtre déclare n’avoir « aucun dessein d’accuser sa nation ». Act., xxviii, 19.

L’Écriture l’atteste donc : 1a prédilection de l’homme à l’égard de sa patrie doit prendre place parmi les affections saintes. Elle est une des formes de la charité, n’empêche aucun autre amour légitime et s’accorde fort bien avec chacun d’eux.

Sans doute, nous sommes tenus d’avoir pour Dieu plus d’affection que pour le prochain. IP-II*, q. xxvi. a. 2. Mais le devoir qui nous oblige à mettre notre créateur, notre béatitude suprême et le Souverain Bien au-dessus de tout, ne nous interdit pas plus d’aimer la patrie que nos parents. Il nous suffit de ne pas les placer au-dessus du Très-Haut et de ne pas leur témoigner notre alîection par des actes que Dieu condamne, de ne pas les servir ou les défendre par tous les moyens, ll^-ll^, q. xi., a. 3 corp. ; q. i.v, a. 3, 4. Respectons ces règles et accordons à la patrie notre prédilection en raison même de l’ordre du Très-Haut, parce qu’elle le représente, et sans que notre dévouement se manifeste par des opérations illicites. Alors cette piété civique sera une des manifestations de notre charité envers Dieu lui-même.

A plus forte raison notre affection pour notre pays ne s’oppose-t-elle pas à l’accomplissement de nos devoirs envers nos semblables. Il ne nous est permis de détester aucun homme, et l’Évangile nous invite à aimer nos ennemis. Matth., v, 44 ; Sum. theol., II 3 - !  ! *, q. xxv, a. 8, 9. Mais de ce qu’un fils a une prédilection pour sa mère et un citoyen pour ses compatriotes, est-il nécessaire de conclure qu’ils ont de l’aversion contre des tiers ? Aimer une personne davantage, c’est à coup sûr aimer moins les autres, ce n’est ni manquer d’affection pour eux, ni éprouver contre eux de la haine. Le bon sens l’atteste et l’expérience le constate chaque jour. Pas plus que la piété filiale, la prédilection envers la patrie ne nous oblige à avoir des ennemis, ne nous empêche de remplir le devoir chrétien d’aimer tous les hommes.

Cette piété civique ne nous dresse pas davantage contre les autres peuples ; par elle-même, si elle est ce qu’elle doit être, ce qu’elle a été plus haut définie, elle ne trouble en rien cette paix que l’Église et le Christ veulent voir régner entre les hommes. On peut avoir une prédilection pour son foyer, sans déclarer la guerre à un autre, sans attenter aux droits ou nuire à la félicité d’une seule famille. De même, l’amour plus grand accordé par un citoyen à son pays peut ne s’accompagner d’animosité contre aucune nation. Le véritable patriotisme, tel que le conçoit la morale chrétienne, est motivé, voulu, réglé par le Père com T. — XI — 73.