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PATRIE (PIÉTÉ ENVERS LA). RESPECT
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minance de leurs droits, bien que d’une manière implicite, ce commandement nous oblige encore à la piété envers la patrie, elle aussi principe de vie et représentant de Dieu pour nous gouverner. II a -II 1B, q. cxxii, a. 5, ad 2um.

2° La piété envers la patrie noua ordonne de la respecter. — Cette vertu nous crée des devoirs envers les personnes dont Dieu se sert pour nous donner l’être et nous gouverner. Elles sont ses mandataires et ses instruments. Il y a donc en elles quelque chose qui vien l de lui et qui est son image. Ce divin nous impose le respect.

A coup sûr, l’honneur dû au Très-Haut lui-même comme à notre premier principe, est d’un ordre tout spécial, unique. Il se distingue de toute vénération accordée à une créature par une excellence qui correspond à l’excellence même de l’infinie bonté. L’idolâtrie par laquelle, expressément ou en fait, nous adorerions une créature, comme si elle était notre Dieu, est en soi, le plus grave des péchés. IIa-IIæ, q. lxxxi, a. 1, ad 4um ; a. 4, ad 3um ; q. xciv, a. 3, corp.

Mais, plus nous estimons devoir d’honneur à l’Être suprême, plus nous sommes tenus de respecter ce qui vient de lui et le représente. C’est ainsi que l’enfant lui rend un culte en la personne de ses parents. Or, la patrie est une seconde mère. Cette famille nationale, non seulement par son action et ses services d’aujourd’hui, mais grâce au travail de plusieurs siècles et d’innombrables morts, contribue, sans cesse et de la manière la plus efficace, à l’épanouissement de notre être physique, intellectuel et moral, civique, social et religieux. Ses lois, en pays civilisé du moins, même si elles ne sont pas de tout point parfaites, font régner un minimum d’ordre, nous obligent tous à une certaine honnêteté, nous offrent ainsi l’occasion d’accomplir le bien et de nous sanctifier par l’acceptation de disciplines salutaires. Enfin, toute patrie possède avantages et qualités, vertus et mérites, pour lesquels l’étranger lui-même, l’historien originaire d’un autre pays, professent de l’estime. Ses fils lui doivent donc un « culte » et du respect. II*- !  ! 88, q. ci, a. 1 corp. ; a. 3 corp., ad 2um.

En conséquence, puisque certains hommes représentent la patrie officiellement ; — puisque, par leur personne, elle parle, agit et gouverne ; — puisque le pouvoir de commander dont ils disposent est celui dont notre pays est doté par la Providence, afin de nous rendre service et d’obtenir notre soumission aux préceptes divins de la loi naturelle ; — alors, comme .ministres et agents du Très-Haut, même s’ils occupent un degré peu élevé dans la hiérarchie des fonctionnaires, même si leur administration n’est pas touj.ours adroite et si leur conduite privée laisse à désirer, il faut convenir qu’il y a en eux une excellence à reconnaître, du divin qu’un culte doit honorer. IP-II 83, q. cii, a. 1 corp., cf. ad 2um ; a. 2 corp.

Sans doute, nous sommes contraints d’apercevoir leurs fautes si elles sont manifestes, et nous ne sommes pas obligés, nous n’avons pas le droit de louer leurs travers ou d’admirer leurs vices ; mais en eux se montre pourtant quelque chose de notre mère, la patrie, et de notre Père du ciel. Cette délégation, cette autorité qui ne se confondent jamais avec la personne humaine, ses travers, ses fautes ou ses vices, méritent notre vénération. H a -II æ, q. ciii, a. 2, ad 2 am.

Il est peut-être utile d’insister sur ce devoir à notre époque. Les démocraties redoutent les hommes supérieurs, se défient des fortes personnalités, sont portées à réduire au minimum les marques extérieures de respect, rêvent volontiers d’une égalité qui rabaisserait tous les hommes à un même niveau. D’autre part, les luttes politiques font diriger contre les détenteurs du pouvoir des coups qui peuvent atteindre

l’autorité elle-même et parfois la patrie. Ces abus ne doivent pas être acceptés comme s’ils étaient inévitables ou à plus forte raison légitimes. Le mensonge, l’injure, la diffamation, la calomnie ne deviennent pas licites sous prétexte qu’ils sont lancés dans une réunion publique ou par la presse, c’est-à-dire portés à la connaissante d’innombrables personnes. Parce qu’il représente la patrie et qu’il est dépositaire de l’autorité divine, l’homme public n’est pas plus aujourd’hui qu’autrefois une victime contre laquelle, en parole, tout est permis. Autant que contre une personne privée, sont défendues toutes les attaques contre l’honneur de la patrie, c’est-à-dire d’une mère, contre celui d’un pays, donc de milliers, parfois de millions d’hommes. A tort, on tient pour un jeu sans péril l’habitude trop répandue de critiquer à l’excès, sans compétence et sans égard pour les personnes, institutions et représentants de la nation. Que leur procès soit maladroitement institué : le condamné, à certains yeux surtout, semble être le pays lui-même. Des voisins, des jaloux, des adversaires écoutent et n’oublient pas, croient avec empressement, citent avec complaisance, exploitent avec profit contre un pays ce qui est inconsidéremment ou même faussement affirmé par un de ses citoyens. C’est ainsi que, complice involontaire et inconscient, un fils de la patrie peut contre elle favoriser le travail d’un ennemi, exciter la méfiance de l’étranger, exposer des frères au mépris public.

Des devoirs qu’impose la piété envers le pays, c’est peut-être celui du respect qui, aujourd’hui, est le plus oublié. Un chrétien pourtant est puissament mis en garde contre cette faute. Dès les origines de l’Église, les autorités spirituelles les plus hautes ont averti les fidèles que tout pouvoir vient de Dieu et que, comme tel, il mérite l’honneur, cui honorent, honorent, puisqu’on lui, c’est la puissance du Seigneur qu’on révère. Rom., xiii, 1-7 ; I Petr., ii, 13-17. Si cette doctrine n’a jamais été oubliée, si saint Thomas la rappelle et nous enseigne que nous devons des égards même à des détenteurs légitimes de l’autorité qui ne sont pas nos propres supérieurs, IIa-IIæ, q. en, a. 2 corp. et ad 2um, à plus forte raison, est-il nécessaire que nous accordions un religieux respect aux légitimes représentants et chefs de notre pays.

3° La piété envers la patrie nous /ait un devoir de lui accorder un amour de prédilection. — Le principe, qui motive l’obligation d’honorer notre pays, nous oblige en effet à lui vouer une affection spéciale plus grande que celle que nous donnons à d’autres peuples.

Vertu par laquelle nous payons notre dette à l’égard de la cause seconde qui nous transmet la vie et la dirige, la piété imite le culte rendu au Principe premier, au Législateur suprême de l’univers. Or, la religion nous commande d’avoir pour Dieu un amour supérieur à celui que nous devons à toute autre créature. C’est donc aussi une prédilection que la piété nous impose envers nos parents et la patrie.

Rien de plus juste. Pour tout don reçu, nous sommes tenus d’être reconnaissants ; l’ingratitude est un péché, le refus de payer une « dette d’amour ». D’autre part, un des éléments dont il faut tenir compte pour déterminer ce à quoi on est obligé à l’égard d’un bienfaiteur c’est l’importance, la grandeur du service rendu. II a -II ie, q. evi, a. 1, ad 3um ; a. 5 ; q. cvii, a. 1, a. 2. Il faut bien alors conclure que nous sommes tenus d’accorder une prédilection au peuple qui, seul entre tous, ou qui, plus que les autres, contribue à nous faire parvenir la vie sous ses diverses formes, à celui qui par ses lois, la protège, la gouverne et l’aide à s’orienter vers sa destinée. La piété envers la patrie peut donc bien être appelée une « protestation d’amour’, II 4 - !  ! 88, q. ci, a. 3, ad lum ; protestation non seule-