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PATRIARCATS. SITUATION ACTUELLE


époque la consécration du saint chrême est-elle devenue un privilège patriarcal ? Les documents les plus anciens contenant cette réserve sont, d’après Petit, une bulle d’Innocent III aux Bulgares, du 25 février 1204 ; une autre d’Innocent IV, du 6 mars 1254, envoyée à l’île de Chypre. Quelle est l’origine de ce privilège ? Les canonistes orthodoxes l’expliquent ainsi : la bénédiction du saint chrême constitue un des attributs de la juridiction souveraine dont le plein exercice appartient aux seuls chefs des Églises autocéphales. Constantinople consacra bientôt le saint chrême, non seulement pour le patriarcat, mais même pour Alexandrie, Antioche et Jérusalem. L’on comprend assez facilement que l’Église de Gonstantinople ait refusé le pouvoir de consacrer le saint chrême à des Églises détachées d’elle, auxquelles elle ne reconnaissait pas la complète indépendance, comme, par exemple, au patriarcat bulgare d’Ochrida au xme siècle. Cf. Petit, op. cit., -p. 3-4 ; Pitra Analecta sacra et classica, t. vii, p. 483-486. Mais aucun principe juridique ne pouvait légitimer la prétention de Constantinople de consacrer le saint chrême pour les autres patriarcats orthodoxes. D’ailleurs, jamais ces derniers n’ont reconnu explicitement ce privilège de Constantinople qu’ils se contentaient de subir. Cf. Petit, loc. cit. Que la réserve de la bénédiction aux patriarches n’ait pas existé dans le principe, les orthodoxes eux-mêmes l’admettent. Milasch, op. cit., p. 374. Zonaras au xiie siècle ne semble pas la connaître, P. G., t. cxxxviii, col. 41 ; cf. Jugie, Theol. dogm., t. ta, 1930, p. 133.

Pour cette époque, il nous reste à signaler un point très important des relations juridiques entre les patriarches orientaux orthodoxes. Nous ne parlons point précisément des patriarches monophysites et jacobites, mais des patriarches melkites : c’est l’emprise qu’exerce Constantinople sur les trois autres grands sièges d’Orient. On trouvera à ce sujet de nombreuses indications dans le dernier ouvrage du R. P. Jugie, Theologica dogmatica christianorum orientalium, t. iv, Paris, 1931, p. 425 à 436, et ici, art. Constantinople (Église de), col. 1333 sq. La querelle sur le titre de patriarche œcuménique est une manifestation de ces prétentions. Quand vinrent les invasions arabes, les patriarches melkites d’Alexandrie, d’Antioche, étaient élus et résidaient dans la ville impériale. Balsamon a beau nous dire que la gloire des sièges tombés aux mains des musulmans n’est en rien diminuée, toujours est-il que leurs titulaires perdaient beaucoup de leur indépendance par le fait de leur séjour à Constantinople. Une étude spéciale ne serait pas de trop pour déterminer dans le détail les empiétements de Constantinople, empiétements qui continueront de plus en plus, après 1453, à se faire sentir et dont on retrouve comme des échos dans certaines querelles de nos jours. Sur d’autres points secondaires, sur les insignes et ornements patriarcaux, sur leur signification symbolique, on pourra consulter Balsamon, Méditation sioe responsum de palriarcharum privilegiis, P. G., t. cxxxviii, col. 1014-1034 ; Thomassin, op. cit., part. I, t. II, c. lviii. Citons, pour finir, un condensé du droit patriarcal fait par un canoniste byzantin du xive siècle, Blastarès : Patriarcha est viva Christi imago spiransque operibus et sermonibus in semetipso, in vivum depingens verilatem… Munus patriarchm est animarum sibi creditarum salus atque in Christo vivere ac mundo crucifigi. Cum autem politia ecclesiastica instar hominis ex partibus ac parliculis constet, membra omnium maxima maximequc necessaria sunt imperator et patriarcha… Sedes Constanlinopolitana quæ imperio cohonestatur decretis synodalibus omnium prima declarata luit. Unde imperatorum sanctiones quæ isthœc sequuntur, tites in aliis sedibus si quæ oriantur ad hujusce thioni cognitionem ac judicium referri jubent.

Omnium plane ecclesiarum metropolitanarum et episcopatuum et monasteriorum atque Ecclesiarum providentia et cura imo etiam recognilio ac censura atque absolutio ad proprium patriarcham pertinet. Præsuli vero Constantinopolitano licet etiam in aliorum thronorum districtu largiri (le texte grec porte : accorder la stauropégie ) neque id solum sed et lites quæ in aliis provinciis (i. e. les autres patriarcats) moventur observare et moderari et penilus delerminare, ipse pariter et pœnitentiæ atque conversionis a delictis ac hæresibus et quidem solus constituitur exactor et explorator. Syntagma alphabeticum, lettre II, P. G., t. cxlv, col. 109-110. On trouve dans ce texte un écho des prétentions de Constantinople à dominer les autres patriarcats.

III. Les grands sièges patriarcaux de 1453 a nos jours. — 1° Patriarcats unis. — 1. Répartition. — Après la chute de Constantinople (1453) et la rupture définitive de l’union de Florence, il n’y eut plus comme titulaires catholiques des grands sièges patriarcaux d’Orient que les patriarches latins, purement honoraires. Le patriarche maronite d’Antioche lui-même ne fut d’abord uni à Rome que d’une façon intermittente et c’est seulement au xvii » siècle qu’il le sera définitivement. Puis des retours à l’Église catholique se produisirent, dans l’Église melkite orthodoxe, dans l’Église jacobite d’Antioche, tandis que les maronites resserraient leurs liens avec Rome. Des éléments coptes monophysites se convertirent également. Bref, de chacune des communautés orthodoxes qui se partageaient le titre d’Antioche et d’Alexandrie, se détacha une branche qui s’unit à l’Église catholique. Sur ces dillérents retours, cf. art. Alexandrie et Antioche (Églises de). Et à chacune de ces branches, l’on donna un patriarche ; de sorte que l’on aboutit à la constitution suivante des Églises catholiques d’Orient : Antioche, un patriarche melkite catholique, un patriarche maronite, un partiarche syrien catholique. — Alexandrie, un patriarche copte catholique. — Par ailleurs, le patriarche melkite catholique d’Antioche recevait le titre d’administrateur du patriarcat melkite catholique de Jérusalem et d’Alexandrie. Mansi, Concil., t. xlvi, col. 581, 582. Notons en outre la restauration d’un patriarcat effectif de Jérusalem de rite latin, et la permanence des patriarches latins titulaires pour les autres sièges.

Si l’on compare cette organisation à celle des patriarcats primit|js du temps de Justinien, le contraste apparaîtra frappant. Autrefois un seul titulaire par siège patriarcal ; maintenant deux ou trois, ou même davantage. On pourrait se demander pourquoi on a laissé les choses aussi compliquées. La réponse est simple : par suite des évolutions historiques, il est pratiquement impossible d’arriver à une fusion quelconque des divers cléments qui composent l’Église orientale catholique, de sorte qu’il a fallu abandonner totalement le principe de l’unité de hiérarchie. On pourrait concevoir un seul patriarche d’Antioche, ayant juridiction à la fois sur les melkites, maronites, syriens catholiques, l’unité de juridiction serait sauvegardée, mais c’est pratiquement irréalisable. Cf. à ce sujet, Cyrille Karalevskij, Histoire des patriarcats melkites, t. iii, Rome, 1911, p. 424-432.

Et, dès lors, la juridiction des patriarches orientaux actuels a une tout autre nature que celle des patriarches du vie siècle. Ces derniers avaient, dans les limites de leurs patriarcats, juridiction sur tous les catholiques orientaux y résidant ; celle-ci était essentiellement territoriale. Présentement, la juridiction des patriarches est cans doute territoriale, car elle s’étend jusqu’à des limites géographiques déterminées qu’elle ne saurait dépasser ; mais, dans ces limites, le patriarche n’a pas de pouvoir sur tous les catholiques orientaux ; il l’a seulement sur ceux de sa nation, c’est-à-dire de son