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PATRIARCATS. LA PENTARCHIE


patriarches, puisque, dans le corps humain, l’on ne peut concevoir un sixième sens, que les cinq sièges sont égaux, que, si l’un est atteint par l’hérésie ou le schisme, les autres le suppléent et que, s’il y a divergence de vues entre eux, c’est la majorité qui l’emporte. Ces conclusions avaient déjà été plus ou moins explicitement énoncées au VIIIe concile œcuménique. Voirart. Constantinople (IVe concile de), t. iii, col. 1294, et nous verrons la théorie exposée jusque dans ses détails par Balsamon.

A la comparaison des cinq sens, on peut en rattacher une autre analogue, celle des quatre fleuves ; on la retrouve déjà dans les canons arabes attribués au concile de Nicée et qui datent du v « -vie siècle (ci-dessus, col. 2267). Et sint in universo mundo patriarches quatuor tantum, quemadmodum sunt scriptores Evangelii quatuor et ftumina quatuor et elementa quatuor et anguli quatuor et venti quatuor et compositio hominis quatuor, quoniam hisce quatuor universus constituitur orbis. Mansi, t. ii, col. 955. Même idée chez l’auteur de la vie d’Eutychius, patriarche de Constantinople ; parlant des quatre patriarches qui ont participé au Ve concile œcuménique, il dit : Quatuor hi spirituales fluvii… ejecerunt opiniones hærelicorum… Pulchri sane et admodum pulchri sunt fluvii qui egrediuntur de paradiso ; multo tamen magis laudandi sunt quatuor hi qui in paradisum ingressi sunt. P. G., t. lxxxvi, col. 2308. Ici encore, l’idée n’a rien de nécessairement hétérodoxe et le même canon arabe 37 qui donne cette comparaison, ajoute aussitôt : El sit princeps et prsepositus ipsis dominus Sedis divi Pétri Romse, sicut prseceperunt apostoli.

Dans les controverses monothélites et iconoclastes, l’on retrouve souvent cette idée qu’un concile ne peut être œcuménique sans la présence, au moins par délégués, des cinq patriarches. Cf. Saint Maxime le Confesseur, Disput. cum Pyrrho, P. G., t. xci, col. 532. Le pseudo-Damascène refuse Pœcumériicité au concile iconomaque de 753 pour cette raison que les cinq patriarches n’y ont pas participé. Oratio de imaginibus ad Constantinum Caballinum, P. G., t. xcv, col. 332. Pour la même raison ce concile fut attaqué par les Pères du IIe concile de Nicée (787) dans la vi « session. Mansi, t. xiii, col. 205. Bien plus, ce concile de Nicée lui-même fut, et toujours pour ce motif, critiqué par les moines du Studium et par le principal d’entre eux, Théodore le Studite. Ce concile, dit Théodore, n’a pas été approuvé par Rome comme œcuménique ; neque aliorum patriarchaluum vicarii erant qui pro eis sedebant ; sans doute il y avait des représentants des patriarches orientaux, sed a noslralibus persuasi et inducti, non autem a patriarchis niissi. Théodore, Epist., i, 38, P. G., t. xcix, col. 1043. On pourrait encore relever de semblables argumentations contre d’autres conciles iconoclastes, celui de 815 par exemple. Théodore, Epist., ii, 72, ibid., col. 1306. La nécessité de la représentation des cinq patriarcats était un lieu commun dont on usait pour combattre les faux conciles, et un argument très en faveur pour rabattre la tyrannie des empereurs iconoclastes. Cf. Hergenrôther, Photias, t. ii, p. 133. Cette idée peut être conçue d’une manière hétérodoxe, si l’on sous-entend que la même activité, le même rôle, revient à chacun des patriarches dans la tenue du concile œcuménique ; mais les auteurs byzantins ont-ils toujours entendu la chose ainsi ? Il ne le semblepas ; n’ont-ils passeulement voulu dire que, pour l’eecuménicilé d’un concile, il fallait la représentation moralement universelle de l’Église, et quand ils demandent la présence des cinq patriarches, ils ne demandent jias autre chose que cette représentation moralement universelle. Mais ils n’entendent nullement réserver dans le concile la même part d’activité au pape et aux autres patriarches. Écoutons

Théodore le Studite ; parlant des difficultés de réunir un concile œcuménique, pour l’apaisement des luttes iconoclastes, il écrit : Si fieri non possil ut ab aliis patriarchis adsint vicarii, quod certe tieri potest, si vêtit imperalor occidentalem intéresse, cui et potestas summa dejertur synodi cecumenicæ. Epist., ii, 129, P. G., t. xcix, col. 1419.

En somme on voit que l’expression de la théorie de la pentarchie est un peu équivoque ; elle peut recevoir un sens acceptable, comme aussi admettre très facilement une signification hétérodoxe ; aussi n’est-il pas sans intérêt de la voir expliquée et défendue par un catholique et de l’étudier par contraste dans son complet développement schismatique ; c’est ce que nous, ferons en montrant ce qu’en pensent Théodore le Studite et Balsamon. Nous n’exposerons pas la pentarchie telle qu’elle est défendue au IVe concile de Constantinople ; la chose est déjà faite à l’art. Constantinople (IVe concile de), col. 1294.

Pour Théodore le Studite, l’Église est un corps à cinq têtes : quiniverlex ecclesiasticum corpus. Epist., ii, 02, P. G., t. xcix, col. 1280-1281. Que l’on ne croie pas que ces cinq têtes jouissent seulement d’une prérogative honorifique ; non, car elles constituent le pouvoir suprême ecclésiastique : Aon enim de rébus sseculi

carnisque sermo est sed de divinis ac cœleslibus dog malibus quæ aliis commissa non sunt quam iis quibus Deus ipse Verbum dixit : « Quæcumque ligaveritis super terram erunt ligata et in cœlo et quæcumque solverilis super terram erunt sotula et in cœlo. » Quinam autem hi sunt quibus hoc jussum fuit ? Apostoli et eorum successores. Quinam porro sunt successores ? Qui Romam nunc primam sedem tenet, qui Constantinopolitanam secundam, qui Alexandrinam et Antiochiam et qui Hierosohjmilanam. Hxc quinivertex potestas Ecclesise, pênes hos diversorum dogmatum judicium. Epist., n, 129, col. 1417 C. Ce passage est caractéristique de la conception de la pentarchie chez Théodore le Studite ; les cinq patriarches constituent le pouvoir suprême ecclésiastique, à eux s’appliquent vraiment les paroles dites par Noire-Seigneur au collège apostolique. Mais, parmi ces cinq têtes, n’en est-il aucune qui domine ? Si fait : mais, à s’en tenir à certains textes, il semblerait que ce ne soit pas Rome, mais plutôt Constantinople ou plus souvent Jérusalem. A Nicéphore, patriarche de Constantinople, Théodore ne dit-il pas : Tu vero, o divine et suprême sacrorum capitum vertex ? Epist., ii, 79, col. 1318. Et, si l’on peut y voir une simple emphase orientale, la chose est plus grave quand il s’agit de Jérusalem ; ici Théodore le Studite donne les raisons de la prééminence de cette ville. LJbi enim episcopus animarum et pontijex omnium natus est et divina omnia operatus et passus et scpultus, ubi resurrexit et vixit et assumptus est, illic suprema procu dubio dignilas. Epist., ii, 15, col. 1102. Et cette idée de Jérusalem premier siège, on la retrouvera chez Photius dans son libelle Adversus eos qui dicunt Romam primam sedem esse, Rallis et Potlis, Syntagma canonum, t. iii, Athènes, 1854-1859, p. 88, chez Nicolas Mésaritès qui la fera valoir dans ses controverses avec les Latins, chez Nil Cabasilas, De primalu papæ romani, I. II, c. xxiii, P. G., t. cxlix, col. 725 ; cf. Malvy et Viller, La confession orthodoxe de Pierre Moghila, Paris, 1927, p. 130-132, et les notes où l’on trouvera les références.

Voilà donc chez Théodore le Studite une conception de la pentarchie qui pourrait paraître difficilement conciliable avec le dogme de la primauté romaine. P. Salaville, De quiniverlice ecclesiastico corpore apud S. Theodorum Sludilam, dans Acla academiæ Velehradensis, t. vii, 1913, p. 117 sq. Et, cependant, il est hors de doute que Théodore le Studite admettait cette primauté. Voir Richter, Des heiligen Theodor, Abtes von Studium, Lehre vom Primat des Rômischen Bischofs,