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PASSIONS. MORALITE


de la volonté. En pareille hypothèse, plus il y aura de difficulté à vaincre la concupiscence et plus cette victoire aura de mérite au sens naturel du mol. Car la volonté de résistance et par conséquent l’amour du bien moral qui l’appuie auront plus de vigueur et d’intensité.

Au lieu de ce cas d’une passion déréglée qu’il faut réprimer, on peut envisager le cas d’une passion dont la tendance peut s’allier avec une volonté morale et que celle-ci s’agrège pour renforcer son élan. Or, des dispositions corporelles fixes ou passagères peuvent rendre plus difficile cette utilisation vertueuse de la passion. Parce que, aujourd’hui, je suis mal disposé physiquement, accablé ou énervé, je suis porté à mettre moins de cœur et d’enthousiasme à ma tâche, à donner moins de marques sensibles d’amitié à mes proches, à ne pas assez me contenir dans les réprimandes, d’ailleurs justes, que j’adresse à quelqu’un. Et si, pourtant, par vaillance de volonté vertueuse, j’arrive, quand même, à me contenir, à accomplir mon devoir avec cœur, à montrer de l’aménité et de la douceur, je déploie, dans ces victoires sur ma sensibilité revêche, un courage de conscience et de vertu plus méritoire que si mes nerfs étaient plus calmes et ma sensibilité moins excitée. Si donc la difficulté de refouler, de gouverner ou d’utiliser la passion provient de dispositions organiques ou de toute autre cause involontaire, le fait de dominer la passion sera d’autant plus méritoire que la difficulté aura été grande.

Il en serait autrement si les dispositions organiques ou ces occasions de tentations capiteuses étaient directement ou indirectement voulues. Nous l’avons dit, la passion peut être provoquée par les sensations, les images, les souvenirs, les excitants absorbés dans la nourriture ou le breuvage, et par toute modification du dispositif physiologique de l’émotivité. Supposons donc que l’on soit responsable d’une hyperexcitabilité passionnelle et que, dans ces conditions, la volonté réveillée de ses complaisances par les reproches de la conscience se retourne pour combattre la tentation et apaiser la passion, il ne pourra être question, si la victoire a lieu, d’un mérite moral plus grand, sous prétexte que la lutte aura été plus pénible.

Il en sera de même d’une passion que l’on aura rendue plus véhémente, non pas précisément en favorisant le dispositif corporel de l’émotivité, mais par d’autres causes provenant de la volonté. Posons donc le cas : c’est notre faute si la tentation qui présentement nous assaille est plus forte que ne le réclameraient son objet, notre tempérament ou les circonstances extérieures. D’où peut venir cette accentuation de véhémence ? De péchés antérieurs, d’habitudes enracinées ou même, si l’on veut, d’une mauvaise volonté passagère qui accepte la tentation et la retient avec complaisance. Ici, nous sommes cause de la violence de cette tentation. Et si, quand même, par volte-face morale, il nous arrive de lutter contre la tentation et de la vaincre, le mérite de cette victoire ne saurait plus être proportionné à sa violence. Quand on parle de la lutte contre les passions, de ses difficultés et du courage qu’elle réclame, il faut bien voir, pour une équitable appréciation, dans quelle mesure on est responsable de ces difficultés. Aucun individu ne ressemble à un autre sous ce rapport ; nos tempéraments sont inégaux, nos situations de conscience diffèrent, et par conséquent aussi nos responsabilités et nos mérites.

A l’inverse, se présente le cas d’une diminution dans l’intensité de la passion et par conséquent d’une moindre dilliculté à la dominer ou à l’utiliser moralement. Conclurons-nous qu’en pareil cas, et en toute hypothèse, le mérite sera diminué ? Non pas. Les deux points de vue, envisagés plus haut au sujet de la passion plus intense, reviennent ici au sujet de la passion

moins intense. La question derechef est celle-ci : cette moindre intensité est-elle volontaire ou non, est-elle responsable ou ne l’cst-elle pas ? — Si cette moindre intensité n’est pas volontaire, si elle résulte du tempérament, de l’âge, des conditions de santé, de dispositions organiques fixes ou passagères qui atténuent la passion, sans que la conscience morale y soit pour rien, certes il y aura toujours mérite moral à gouverner sa sensibilité, mais ce mérite sera moins grand, parce que la volonté n’aura pas à déployer autant d’énergie que dans le cas d’excitabilité virulente causée par des dispositions organiques ou par des circonstances totalement involontaires. — La diminution de l’intensité passionnelle peut avoir une cause volontaire et morale, par exemple Passagissement vertueux, les bonnes habitudes contractées. Dans ce cas, la concupiscence n’a plus, normalement, que des tentations atténuées, la vertu de tempérance s’est affermie et enracinée. Les assauts sont plus rares, moins violents ; cette paix relative est le résultat des efforts antérieurs successifs. Si ce vertueux a moins à combattre, pane que maintenant la tentation est plus faible, va-t-on lui accorder moins de mérite qu’au début de sa conversion morale, quand, à peine évadé de l’esclavage de ses passions, il se débattait dans de violentes tentations ? Ici, l’apaisement passionnel est le fruit d’un extraordinaire et persévérant courage volontaire qui implique, par conséquent, le maximum du mérite.

Cet équilibre vertueux peut être le résultat non seulement de l’accoutumance morale, mais du secours divin. Supposons une conscience surnaturelle où habitent la grâce sanctifiante, la charité pour Dieu et par conséquent les vertus morales « infuses » : cet appoint d’énergie surnaturel.e est une nouvelle garantie contre la concupiscence. Au surplus, la vertu « infuse » peut voir augmenter en elle cette force de répression, comme augmente elle-même la charité pour Dieu qui l’anime et qui, par sa ferveur progressive, contre-balance peu à peu l’attrait de la concupiscence. Cet amortissement passionnel, résultat de la vertu et de la perfection morale ne peut pas équivaloir, c’est de toute évidence, à la diminution du mérite. IIa-IIæ, q. clv, a. 4, ad l am.

5° Le mérite surnaturel de la passion devenue morale.

— La plus-value du mérite afférent à la passion morale peut être entendue, comme nous venons de le faire, du point de vue naturel, et elle se résume ainsi : le mérite est plus grand là où la difficulté de gouverner la passion est plus grande, parce que la volonté doit s’y affirmer plus énergique, avec un amour plus fort et un goût plus prononcé du bien. Mais, à côté du mérite naturel d’un acte moral, il y a, le dépassant, le mérite surnaturel.

Je supposerai connue la doctrine théologique du mérite surnaturel. Je rappelle toutefois que ce mérite vaut seulement pour la conscience, animée par la foi, possédant l’état de grâce et la charité pour Dieu. De la part de celui qui doit être bénéficiaire de la récompense divine, l’acte méritoire doit être pleinement volontaire, offert à Dieu dans la spontanéité et la liberté de l’amour. De veritale, q. xxvi, a. 6. Ce n’est donc pas la quantité, ni même la qualité de l’énergie volontaire au point de vue naturel qui fi.it le mérite surnaturel, mais c’est la générosité de l’amour qui inspire les actes offerts à Dieu comme preuve de fidélité. On peut résister vaillamment, pour des motifs humains très élevés, à de violentes tentations, sans aucun mérite surnaturel, si l’on n’aime pas Dieu à travers ces renoncements, ou si la charité est tellement tiède que l’on n’ait cure d’offrir à Dieu, en l’aimant, cette lutte intime contre la tentation. Ce n’est donc pas la vaillance de la volonté humaine, ni la somme de sacrifices qu’elle implique qui est la raison du plus ou moins de mérite devant Dieu, mais seulement la proportion