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PASSIONS. MORALITÉ

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aussi, tout devient « raisonnablement compris ». I a -II

  • , q. lxiv, a. 1 ; De virtutibus, q. i, a. 13.

Assouplie à un mode humain, réglée par la raison, voilà la passion morale, bonne à l’emploi vertueux. Elle réalise ainsi un « juste milieu », mais non pas un juste milieu de « médiocrité » au sens d’un moindre bien. Au point de vue moral, ce « milieu » de raison représente au contraire ce qu’il y a de plus parfait. Il n’y a rien de plus raisonnable que d’user modérément de la colère dans Pinfliction d’une punition, ou bien de contenir sa force et de la déployer à bon escient dans une entreprise difficile. Se laisser emporter par une colère folle ou se montrer violent et bravache représente évidemment une intensité de passion psychologiquement plus forte, puisqu’on s’agite tumultueusement au point d’en perdre le bon sens ; mais, une telle allure donnée à la passion, sans contrôle ni modération, est plutôt de la médiocrité morale, du moins bon. Le juste milieu entre le défaut et l’excès devient ici un maximum de raison. Celle-ci dicte le mode que doit avoir la passion dans les circonstances où elle sert : c’est donc pour la passion la plus haute perfection qu’elle puisse atteindre. Pourquoi dirons-nous de quelqu’un qu’il a la vertu de force ? Est-ce parce qu’il est mou à l’action, sans ardeur ni vaillance ? Est-ce parce qu’il se lance avec témérité en gaspillant tout de suite ses réserves ? Le fort n’aura ni l’une ni l’autre de ces attitudes ; il s’appliquera à vaincre les difficultés les unes après les autres, donnant juste l’élan qui convient pour assurer la victoire. De virtutibus, q. i, a. 13, ad 5um, 6um, 8um, llum, 15um.

Il faut bien comprendre que l’utilisation rationnelle de la passion en exige la « rationalisation », tout au long de la durée de son emploi. La passion, par elle-même, n’a pas de jugement pour se conduire et s’adapter, elle n’est que tendance et impulsion. Si elle se jette tout de suite en avant, elle s’épuise bientôt et ne vaut plus rien quand de nouvelles difficultés surgissent qu’elle n’avait pas prévues. Il ne suffit pas de partir avec une superbe audace ; il faut persévérer, soutenir l’effort, résister patiemment. Que d’emballés sont vite déconcertés par une lutte qu’ils n’avaient pas envisagée si longue et si compliquée. La passion vertueusement utilisée s’adapte au persévérant contrôle du discernement moral. Celui-ci prévoit les obstacles, compare les moyens de défense ou d’attaque, il sait ce qu’il peut et ce qu’il doit à telle ou telle phase de l’entreprise. Pour avoir regardé en face et mesuré tous les périls, il les affronte avec plus d’à propos et parfois s’en tire plus aisément qu’il ne l’escomptait. l a -II æ, q. xlv, a. 4.

Parce que la raison, en jugeant de ce qui convient ou ne convient pas, doit maîtriser la passion en l’adaptant continuellement, ce serait chimère d’envisager le juste milieu rationnel comme une sorte de donnée fixe, rigoureuse et mathématique. H doit être la souplesse même et c’est l’art de la vertu en même temps que sa droiture que d’acclimater la passion à toutes les exigences du bien de l’action parfaite. Cette exacte proportion du raisonnable dans l’usage vertueux de la passion est fort variable. Les circonstances des personnes, des situations et des événements en donnent la règle et la mesure. Quelquefois, la nature de la passion commande la façon do l’utiliser. Ainsi, il faudra apaiser, calmer les passions de désir et de convoitise, même orientées au bien, parce qu’elles sont aisément fougueuses et toujours prêtes à dépasser la mesure. La vertu de tempérance qui rég enienle ces passions cherche son juste milieu, surtout en refoulant et en comprimant ce qu’il y aurait de faci.ement excessif et de trop ardent. Au contraire, la vertu de force, parce qu’elle implique tension et ténacité, a besoin d’exciter et de provoquer. Aussi, la passion s’accuse-t-elle chez

elle, avec plus d’intensité et de tumulte. De virtutibus, q. i, a. 13, ad 13um.

On le voit donc, le juste milieu de la passion morale est œuvre de souple raison. Rien n’a besoin d’être aussi infiniment nuancé que ce vertueux usage de notre sensibilité. Du moins, ce sera une grande perfection morale que de ne pas être livré à ces à-coups d’une émotivité intempestive, à ces exaltations ou à ces dépressions que l’on rencontre parfois chez les meilleurs, alors même qu’ils sont animés de bonnes intentions et accomplissent des œuvres excellentes. C’est une perfection morale d’être ferme sans violence, . d’allier la mansuétude à la sévérité, la douceur à la patience, l’amabilité à la gravité. Être tout d’une pièce, sans animation, ni émotion, ou bien être exalté et trépidant, même quand on ne veut que le bien, empêche souvent de le faire aussi parfaitement qu’on le désire. Pour avoir toute sa valeur morale au service des réalisations vertueuses, la passion doit être disciplinée à fond dans son mouvement intime comme dans toutes ses manifestations extérieures.

La passion et le mérite moral.

Une fois modérée

et rendue docile, la passion sert la vie morale en aidant à l’accomplissement du devoir.

Mais cette assimilation à la raison n’est pas une œuvre aisée. Et, précisément, à cause de cette résistance qu’oppose la passion à se laisser mater et adapter, ne pourrait-on pas dire que, une fois moralisée et devenue pratiquement une œuvre raisonnable, la passion acquiert une valeur morale particulière ? Là où la victoire est plus difficile à remporter, le mérite n’est-il pas plus grand ? N’est-ce pas la preuve que la volonté a été plus énergique et plus endurante ? L’impulsion prime-sautière de la passion, l’élancement des tentations, le tiraillement intérieur qu’excitent en nous nos impressions de sensibilité et surtout cette poussée lancinante ou violemment ardente de la passion, qui vise droit son acte sans se soucier des objurgations de notre conscience, supposent une singulière vigueur de volonté, quand celle-ci parvient à plier au joug moral cette passion aux allures indépendantes et excessives.

Si nous entendons le mérite au point de vue naturel, il est manifeste que, plus il y aura de difficulté à soumettre la passion, plus il y aura de mérite, c’est-à-dire plus de volontaire, à condition toutefois que nous ne soyons pas responsable de cette difficulté même. La résistance qu’oppose la passion à être gouvernée par la raison peut provenir de dispositions corporelles ou de circonstances involontaires. Prenons l’exemple de la concupiscence vis-à-vis de laquelle l’effort moral consiste surtout à réprimer des tentations particulièrement alléchantes et entreprenantes. Il y a des tempéraments qui, sous ce rapport, subissent de violents assauts. Dans ce tempérament physique, il faut faire entrer les dispositions organiques héréditaires ou acquises, les dispositions corporelles, chroniques ou passagères, quelle qu’en soit la cause prochaine ou éloignée (cause supposée involontaire), l’âge, le sexe, les influences climatériques, etc., toutes choses qui ont leur répercussion sur l’excitation ou le ralentissement des fonctions liées à la sensibilité émotive. A ces causes corporelles, provocatrices de passions internes, on doit encore ajouter des causes circonstantielles, indépendantes du vouloir : état de vie, profession, milieu, relations obligées, occasions inattendues, rencontres fortuites. Il y a des situations de fait, de métier, de ministère, qui donnent à certaines personnes des occasions de tentations que d’autres personnes ne connaissent pas. Dans ces divers cas (dispositions de tempérament, conditions physiques individuelles, situations occasionnelles, circonstances de milieu, de fonctions, etc.), nous supposons que la particulière intensité de la passion ne vient aucunement