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PASSIONS. MORALITÉ


passion ne trouble pas l’exercice de la raison. Cette possibilité, dont on ne veut pas user, suffit à la culpabilité, et, s’il y a lieu par sa matière, à la grave culpabilité du péché de passion. Le pécheur habitudinaire, dont nous parlions plus haut, s’est accoutumé à ne plus réagir, par sa conscience délibérante, contre l’entraînement de ses passions. Son parti est pris depuis longtemps : dès que la tentation surgit en lui, il l’accepte ; il ne lutte point, ne raisonne point, ne contrôle pas et ne juge pas moralement l’action déréglée à laquelle il se livre. Et cela parce qu’il ne le veut pas et n’a cure de le vouloir. Son péché est donc aussi volontaire que possible, volontaire par l’entraînement habituel de sa volonté perverse auquel s’ajoute encore, pour l’intensifier, l’impulsion passionnelle qu’il prend bien garde de ne pas réprimer, puisqu’elle sert son habituelle volonté pécheresse. Ia-IIæ, q. vi, a. 7, ad 3um.

Ainsi donc, bien que tout péché provoqué par la passion ait cette circonstance atténuante d’être moins volontaire qu’un péché de malice ou d’habitude, il reste qu’il y a des péchés de passion qui peuvent être des péchés mortels ; ils ont tout ce qu’il faut pour la responsabilité volontaire. Sans doute, c’est la passion qui les a suggérés ; mais, alertée, la raison délibérante a eu le temps de voir et d’apprécier ce qu’il fallait faire : agréer a passion ou larefouler. Si elle l’agrée, c’est donc en connaissance de cause et avec un parfait consentement.

Par voie de conséquence, ces conditions du péché mortel de passion nous montrent la situation où le péché de passion, même avec matière grave, ne sera plus un péché mortel. Ce sera quand le passionné, pour des causes dont il ne sera pas responsable, ira à son péché, sans délibération suffisante et sans parfait consentement. Examinons brièvement ce nouveau problème.

4° Atténuation de la culpabilité dans le péché de passion. — Par le fait d’une passion antécédente, particulièrement vive, nos jugements d’action peuvent manquer de suffisante clairvoyance. Certes, une telle conscience, floue et indistincte, est assez difficile à analyser, mais elle existe. Nous l’expérimentons en nous-mêmes et nous entrevoyons sa réalité chez les autres. Une excitation soudaine de colère montée à son paroxysme nous obnubile l’esprit sur la portée de nos paroles, de nos reproches, de nos invectives. Appliqués à la riposte, que la passion nous fait croire nécessaire, nous n’entendons qu’imparfaitement les conseils d’apaisement qu’on nous donne. Notre imagination surexcitée empêche l’équilibre de notre pensée et l’enchaînement de nos réflexions. Nous acceptons les raisonnements qu’on nous tient pour nous avertir du manque d’àpropos de notre attitude batailleuse, puis tout aussitôt, par nos déclarations surexcitées, nous prouvons que nous n’avons pas saisi nettement les raisons qu’on allègue. Dans cette perturbation mentale, entretenue par la passion, notre jugement moral n’a pas la sûreté désirable ; il ne ressemble en rien à la conclusion d’une lente réflexion, d’un conseil intérieur qui aurait examiné les opportunités et les circonstances. Il est court, essoufflé, alternativement vrai et faux, parce que notre raison ne fonctionne pas assez bien et cela, encore une fois, parce que l’exaltation passionnée l’en empêche. Cette raison voit et considère, mais elle ne peut pas bien voir, ni considérer suffisamment ; elle n’aboutit qu’à un jugement insuffisant sur l’acte auquel excite la passion et auquel elle consent en ne se rendant qu’imparfaitement compte de sa gravité et de la loi qu’elle enfreint.

La part de responsabilité affectant ce péché de passion correspond à la part de volontaire qui entre dans son acceptation et cette part de volontaire correspond

elle-même à la clarté restante du jugement de conscience. I a -ÎI æ, q. lxxiii, a. 6. La proportion d’involontaire et d’irresponsabilité répond au manque de clairvoyance du jugement troublé par la passion. Celleci, par sa turbulence même, s’impose à la manière d’un principe extérieur et violent. L’autonomie et la liberté de l’action en sont diminuées d’autant, et c’est pourquoi cette action ne se présente pas comme entièrement responsable et volontaire. Elle sera d’autant plus volontaire et responsable que l’intensité de la passion laissera plus de clairvoyance au discernement ; et elle sera d’autant moins volontaire, que ce discernement sera moins clair. înutile de dire que cette atténuation de la responsabilité comporte des degrés à l’infini.

La diminution de la culpabilité du péché de passion peut avoir d’autres causes que l’excitation virulente d’une passion involontairement surgie, causes générales qui, en tout genre de péché, sont susceptibles de donner un discernement et un consentement imparfaits.

L’imperfection peut encore résulter, et cela aussi bien dans un péché de passion que dans tout autre péché, de la connaissance imprécise ou incomplète des obligations morales. Elle provient aussi de l’incertitude ou du doute sur l’application de ces obligations aux actes qu’elles commandent ou interdisent. Des dispositions physiologiques durables, chroniques ou passagères (état maladif, nervosité, perturbation profonde par choc émotif subit et violent, etc.) influent, sans que la volonté y soit pour quelque chose, sur le contrôle plus ou moins relâché de l’esprit sur les actes. l a -II æ, q. x, a. 3 ; q. lxxvii, a. 7. — Les tempéraments, tant de l’ordre intellectuel que de l’ordre volontaire et passionnel, sont, eux aussi, susceptibles d’amener une diminution de la culpabilité du péché de passion, parce qu’ils causeront une insuffisante clarté du jugement moral et un amoindrissement de l’énergie volontaire. — Notons enfin, sans y insister, car le sujet serait immense à traiter, qu’il y a une pathologie de la passion. Dans la conscience morbide la passion naît, évolue et se livre à ses actes par l’excitant immédiat des sensations et des images, par déclenchement instinctif ; car la synthèse mentale et l’inhibition volontaire ne fonctionnent pas normalement, soit que le contrôle n’existe plus, soit qu’il soit troublé et sans pouvoir suffisant d’arrêt. Cette suppression, par lésion organique, de l’exercice de la raison, amène l’irresponsabilité des actions. De veritate, q. xvi, a. 3. Dans certains cas de perturbation pathologique de la conscience, une certaine responsabilité pourrait demeurer quand des actes de volonté antérieurs seraient, en partie ou en totalité, causes de l’incohérence et de l’impulsivité passionnelles.

VI. La moralité de la passion. — Une étude sur la moralité et l’utilisation vertueuse de la passion ne peut être complète qu’avec l’étude détaillée de toutes les vertus morales qui entrent dans les deux cadres des vertus cardinales de tempérance et de force. Ici, nous ne pouvons donner que des aperçus généraux et sommaires. Pour saint Thomas, la passion n’est, par elle-même, ni bonne ni mauvaise moralement : c’est son usage vertueux qui la rend moralement bonne. Mais de quelle façon ? Quel rôle bienfaisant, bonifiant, la passion peut-elle avoir vis-à-vis de l’action raisonnable ?


1° La passion doit être exclue du discernement moral,

— La passion ne peut servir, du moins directement, au discernement qui doit présider à l’action. Dans cette phase discrétive, elle n’a point sa raison d’être. Elle est nuisible. La passion ne pourrait qu’empêcher ou troubler la clarté du raisonnement et du discernement. S’inspirer de sa passion, de sa sensibilité surexci-