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PASSIONS. RAPPORTS AVEC LA VOLONTÉ


psychologie de l’entraînement passionnel, il faudrait décrire le conflit du syllogisme moral et du syllogisme passionnel. Par leurs majeures et par leurs mineures ces deux raisonnements s’opposent et cherchent à s’évincer l’un l’autre jusqu’au triomphe soit de la conclusion du raisonnement moral, soit de celle du raisonnement de la passion. f a -I a !, q. lxxvii, a. 2, ad 4um ; De malo, q. iii, a. 9, ad 7um.

3° Le vouloir intense suscitant spontanément la passion. — La passion n’est pas toujours, vis-à-vis de la volonté, enjôleuse ou contredisante, elle peut venir en séquence du vouloir, soit spontanément, soit parce que la volonté la provoque consciemment et délibérément Voyons tout d’abord le premier cas.

Le retentissement, dans notre affectivité sensible, des vouloirs et sentiments supérieurs, est chose nécessaire : c’est une conséquence naturelle de l’unité du composé humain et de l’enracinement de toutes les puissances dans l’essence de l’âme. Et ainsi, nos vouloirs fervents, per quamdam redundantiarn, mettent en émoi notre sensibilité et la font vibrer à l’unisson de leur exaltation et de leur ferveur. De veritate, q. xxvi, a. 10. Tout sentiment de notre affectivité supérieure ne produit pas en nous cette répercussion d’émotion sensible. Ia-IIæ, q. x, a. 3, ad 3um. La volonté devient excitatrice de passion lorsqu’elle est « véhémente » et « parfaite » et tout particulièrement à l’instant des réalisations difficiles. Ia-IIæ, q.xii, a. 5, ad lum. C’est l’imagination qui est l’intermédiaire de cette répercussion d’influence : nos sentiments, nos vouloirs sont alimentés par des pensées ; celles-ci provoquent un ensemble d’images correspondantes et cela parce qu’il est normal que nos idées s’enveloppent des images dont elles sont abstraites. Cette sensibilité, qui vibre autour de nos sentiments, n’est pas soumise, en elle-même et dans son jaillissement intime, au commandement de la raison. Nous pouvons en comprimer les manifestations extérieures, mais pas la secousse du dedans, l’hnpressionnabilité même. Cette répercussion émotive n’a donc rien, en soi, de moralement répréhensible : elle est le prolongement du vouloir intense, son contrecoup dans la sensibilité. Elle a la qualité morale de ce vouloir, elle est le signe dénonciateur de son intensité, même admis que les tempéraments individuels mettent une plus ou moins grande accentuation dans cette réaction sensible. De veritate, q. xxvi, a. 7 ; P-II 88, q. xxiv, a. 3, ad lum ; q. xxx, a. 1, ad lum ; q. lix, a. 5 ; IF-IP 3, q. clviii, a. 8.

La volonté provoquant la passion.

Une passion

peut être délibérément suscitée par commandement de raison. Elle suit le vouloir, parce que le vouloir la provoque et l’excite. C’est le type même de la passion dite « conséquente », alors que la passion « conséquente » que nous venons d’analyser plus haut, jaillissait spontanément et nécessairement du vouloir fort et véhément. P-II 83, q. xxiv, a. 3, ad lum. La passion est un acte de l’appétit sensible qui comprend une tendance appétitive et un émoi physiologique. Dès lors, la volonté aura pouvoir sur la passion dans la mesure où elle aura pouvoir sur ces deux éléments. Du côté psychique, la volonté a influx direct de deux façons : par l’entremise de la sensation, ou par celle de l’imagination Le premier cas n’offre pas de difficulté ; nous savons bien que la passion s’allume par regard, toucher, audition, saveur, senteur ; cette excitation de la passion, par la sensation directe, est la plus facile et la plus certaine de son résultat.

L’excitation de la passion par l’intermédiaire de l’imagination est un phénomène plus compliqué. C’est par la raison que la volonté active l’imagination. Veut-on exciter sa sensualité ? Il suffît de vouloir penser au plaisir sensuel pour qu’aussitôt l’imagination abonde en images représentatives d’actes, de personnes et de

circonstances susceptibles d’amorcer la concupiscence. La fixation de l’esprit sur un objet de passion fertilise immédiatement et dans le même sens l’imagination. I a -ll æ, q. xvii, a. 7. — La passion s’accompagne toujours d’émoi organique ; celui-ci s’adjoint normalement à la tendance psychique, en même temps que celle-ci est suggérée. Toutefois, les différences de tempérament, avec leurs complexus organiques divers, rendent plus ou moins résistante la suggestion de la passion par la volonté. P-II 33, q. xvi, a. 7. — Étant donnée la cohésion de l’élément psychique et de l’élément physiologique dans la passion, il arrive que la provocation ou l’excitation volontaire de la physiologie de la passion fasse surgir celle-ci au complet. La tournure de nos états affectifs tient souvent à l’état de bien-être ou de malaise de nos fonctions végétatives, cet état tenant en éveil une imagination affective appropriée. Cette influence des modifications organiques sur l’éclosion et l’excitation de la passion vaut pour le ralentissement et l’apaisement de celle-ci. Certains états passionnels peuvent être atténués et changés par de nouvelles conditions corporelles, par les exercices physiques et même parfois par la thérapeuthique médicale. F-II 88, q. xxxiii ; q. xl, a. 6 ; q. xlvi, a. 5.

La volonté maîtrisant la passion.

Il arrive que

la passion cesse d’elle-même par disparition de l’excitant. La volonté peut dominer la passion, modérer son excès, la refouler, l’arrêter. C’est un fait, nous réprimons nos passions. C’est aussi un droit, nous avons pouvoir sur les sensations, les images et les pensées qui provoquent la passion. Faire diversion au motif de la passion, voilà la ressource du vouloir et son moyen direct d’arrêter la passion. Cette diversion n’est pas toujours facile, l’imagination fascinée ne se prête pas toujours à ce virement subit d’attention et, malgré l’effort volontaire, glisse derechef vers son point d’attirance. La difficulté de faire diversion est à son comble dans le cas d’une passion alimentée par une sensation qui persiste, sans qu’on puisse rien contre elle, par exemple des sensations voluptueuses, indépendantes du vouloir et qui provoquent une concupiscence du même ordre. Tant que dure la sensation, cause excitante de la passion, celle-ci peut difficilement céder. Quand la passion est causée par l’imagination seulement, sans excitation de sensations adjacentes, la volonté a plus de prise sur la passion ; que la volonté accumule les images contraires et y fixe l’esprit et nous aurons des chances de disperser la passion. I a, q. lxxxi, a. 3, ad 3um.

Toutefois, en admettant même que la passion ne cède pas dans sa tendance affective, pas plus que dans son émoi physiologique, il reste à la volonté une dernière ressource pour vaincre la passion : interdire les actes que cette passion appelle. Des convoitises sensuelles peuvent travailler la conscience par leurs obsédantes tentations, mais sans aboutir à entraîner des actes positifs. En effet, nos actes extérieurs mettent en œuvres nos membres corporels et nos diverses facultés sensibles. Or, pour exécuter l’acte, nos membres et nos facultés requièrent un commandement volontaire. A cause de cela, nous pouvons toujours ne pas vouloir passer à l’acte. En ce dernier retranchement — très important au point de vue moral — la volonté a de quoi résister et vaincre. I a, q. lxxxi, a. 3, ad 3um ; IMl 35, q. xvii, a. 8 ; q. lxxvii, a. 7.

Concluons donc que la passion obéit à notre raison et subit la domination de notre volonté ; car notre raison, ayant pouvoir sur nos sensations et nos imaginations, peut présenter ou retirer l’objet passionnel. Notre volonté a pouvoir d’accorder ou de refuser les actes réclamés par la passion. Toutefois, la passion, par rapport à nos facultés supérieures, n’est pas