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PASSIONS. RAPPORTS AVEC LA VOLONTÉ


sation de plaisir. La preuve de cette distinction est donnée par l’expérience même. On peut ressentir une vive douleur physique sans en éprouver de la tristesse à proprement parler. Toute sensation délectable n’éveille point la concupiscence. Mais la sensation douloureuse ou la sensation délectable sont, en fait, bien souvent, le point de départ d’une passion. Soit, par exemple, le plaisir éprouvé par une sensation voluptueuse. La convoitise se déclare alors avec l’émoi organique qui l’accompagne. Cette tendance et cet émoi sont proprement la passion. La sensation délectable est autre chose que la passion, autre chose que la convoitise, autre chose que la délectation de la passion satisfaite.

Ainsi donc, la passion se distingue de la sensation qui la provoque et qui est en jonction avec elle, que cette sensation s’entende de la connaissance par les sens externes ou par les sens internes. La passion est essentiellement la tendance appétitive avec son émoi organique. La sensation lui donne seulement son objet, mais n’entre pas en composition avec elle. Ceci est d’extrême importance pour la moralité de la passion.

C’est la passion elle-même dans sa convoitise qui est l’objet direct de la modération vertueuse et non pas immédiatement et en elle-même la sensation provocante. Ainsi, la vertu de tempérance consistera à désirer, sans excès ni défaut, juste comme le veulent la raison et la loi de Dieu, certains actes qui impliquent délectations tactiles ou gustatives. La vertu modérera la passion même qui pose ces actes à sensation délectable, de sorte que ceux-ci soient ce qu’ils doivent être sans exagération déraisonnable, ou même qu’ils ne soient pas, si ainsi le veut la loi morale. Il lui faudra, dans le cas de passion excessive, contrebalancer les images passionnelles qui nourrissent la passion, faire diversion et, par là même, apaiser ou éteindre la passion désordonnée. Mais il peut arriver que la sensationimpression ou image soit réfractaire à cette volonté morale, et qu’elle subsiste tenace et résistante. Elle ne peut manquer d’être éprouvée, sentie et cette sensation ne saurait être, en elle-même, l’objet de la modération vertueuse, à condition qu’elle n’ait point été suscitée ou qu’elle ne persiste point par % une cause volontaire et responsable. L’éprouver, malgré la bonne volonté de ne pas l’éprouver, en subir la délectation n’est donc pas moralement répréhensible, puisque, par hypothèse, elle existe sans que la raison puisse faire qu’elle soit moins sentie, moins éprouvée.

Des considérations précédentes sur la passion et la sensation sortent naturellement ces conclusions importantes pour le gouvernement moral de la passion : 1. La sensation-image étant la cause provocatrice de la passion parce qu’elle lui donne son objet, il est clair que le moyen direct de favoriser un état de passion est de favoriser la sensation qui entretient sa ferveur, de maintenir la surexcitation d’imagination qui prolonge et avive les sensations. En revanche, pour réduire un état de passion, il faut lui couper les vivres en éloignant la cause de la sensation, en forçant l’imagination à dévier sur d’autres objets. — 2. L’excitation passionnelle ayant sa cause non seulement dans la sensation, mais dans celle-ci corroborée par la mémoire et l’imagination ou encore suggérée par l’état organique, l’attention de celui qui veut empêcher la réapparition d’une passion ou du moins en diminuer les chances, doit se porter sur tous ces éléments, sans en négliger aucun. Prévenir les occasions pour les empêcher ou s’en garer, et, si elles sont inévitables, concerter d’avance les moyens d’en triompher est une sagesse obligée chez celui qui veut tenir sa vie morale.

IV. La passion et la volonté.

La sensation toute seule peut provoquer en nous la passion. Mais, une fois existante, la passion s’agrège la volonté.

Celle-ci peut aussi refouler et modérer la passion ; elle peut la faire naître ou la faire cesser. Il faut examiner très brièvement ces différentes alternatives, du point de vue psychologique.

Coïncidence de la passion et de la volonté.

Rien

ne s’oppose, a priori, à la rencontre de la passion et de la volonté sur un même objet. Ainsi, bien souvent, nos attitudes volontaires correspondent aux passions de notre sensibilité et font corps ave celle. Dans la passion, nous le savons, on doit distinguer un élément matériel, la commotion organique, puis un élément formel spécifique et déterminant : la tendance affective. Par exemple, dans une passion de colère, se produit une agitation de la mimique externe en parallèle avec le rythme saccadé du cœur, puis, dans la conscience intime, s’affirme ce qui caractérise et qualifie la passion : l’appétit de vengeance. Or, cet élément formel et essentiel de la passion, nous le pouvons trouver, identique, en son allure foncière, dans la volonté. De malo, q. XII, a. 1. L’appétit instinctif de riposte vengeresse, qui s’affirme dans la passion sensible, devient, avec réflexion et moyens adaptés, la volonté de se venger. Ibid. On peut donc concevoir, dans la volonté, des attitudes qui répondent, trait pour trait, aux attitudes passionnelles de l’appétit sensible. Et ainsi, vis-à-vis des mêmes objets, se joignent et se renforcent le sentiment volontaire et la passion. De veritale, q. xxvi, a. 9, ad f> UM. Nos passions deviennent volontés et nos vouloirs deviennent passionnés. Ce sont nos passions, sans doute, qui donnent de la tablature à notre conscience morale, mais ce sont nos volontés devenues passionnelles, avec le parti pris de leurs motifs et les partialités de leurs raisonnements intéressés. Par ailleurs, la passion modérée et devenue vertueuse donnera un singulier mordant à notre force de réalisation dans les difficultés de l’action morale, comme nous le verrons.

La passion entraînant la volonté.

La passion

surgie spontanément par attrait sensible peut entraîner la volonté dans le même sens qu’elle.

L’appétit sensible, qui est faculté de l’action immédiate, est plus réaliste que la volonté qui r.e vise l’action qu’à travers des motifs universels. Cette motion de la passion sur la volonté s’effectue en deux étapes successives. Première étape : la passion, si elle est vive, produit, dans notre conscience, une transposition des valeurs. C’est un fait d’expérience, ce qui nous passionne a tendance à nous paraître le plus important, le plus urgent, le plus valable. Il en résulte que notre attention se porte uniquement sur l’objet passionnel et sur l’intérêt primordial qu’il nous paraît avoir ; par contre, tout autre considérant diminue de relief, de même que perd de sa force toute tendance volontaire qui ne s’accorde pas présentement avec la tendance passionnelle. — Deuxième étape : Après avoir éliminé ou du moins énervé les tendances volontaires qui lui étaient opposées, la passion meut indirectement la volonté, en lui fournissant un objet, objet qui est celui même de la passion. Celle-ci, en effet, attire sur elle non plus seulement l’attention, mais l’approbation de la raison, car le jugement estimatif qui a déterminé la passion fait corps avec l’imagination exaltée et grossissante, laquelle accompagne ordinairement la passion, si bien que la raison est inclinée à épouser le jugement passionnel et la volonté à adopter la passion, puisque jugement estimatif et passion sont spontanément en haleine des convenances et du bien entier du passionné. En quelques mots : la passion.i. i talent, quand elle nous tient, de se donner comme devant être préférée à toute autre chose, de présenter ses motifs comme étant les plus valables et, par conséquent, de nous amener à vouloir avec elle ce qu’elle convoite. l a -II æ, q. lxxvii, a. 1. Cf. le commentaire de Cajétan sur cet article. - Pour être complet sur la