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PASSIONS. NATURE


des facultés de l’âme, on doit dire que le composé humain tout entier subit la passion. P-Il" 3, q. xxii, a. 1. Appliqué à la psychologie humaine, le mot « passion » désigne donc une sorte de contrainte imposée à l’âme, qui est ainsi contrariée dans le rythme normal de ses activités, tirée hors d’elle-même par une cause extérieure, et cela en parallèle d’une certaine commotion physiologique.

Maintenant, la question se pose : A laquelle de nos facultés appartient la passion ? — Ce n’est pas un phénomène de connaissance sensible ou intellectuelle, Ia-IIæ, q. xxii, a. 2, ni un phénomène volontaire, lbid. Sans doute, la passion est en continuelle dépendance, nous le verrons, aussi bien de la sensation que de l’imagination et de la raison ; elle excite la volonté ou elle est dominée par celle-ci ; mais, en elle-même, la passion est un acte de l’appétit sensible. Ia-IIæ, q. xxii, a. 1, ad lum.

Rappelons que, dans la psychologie thomiste, on doit distinguer trois sortes d’appétits : l’appétit naturel, inclination que tout être possède à ce qui convient à sa nature, car tout être agit pour son bien et tend à s’assurer la possession de ce bien ; l’appétit sensitif, propre aux êtres vivants doués de connaissance sensible, tendance aux biens sensibles désirables, révélés par la sensation ; l’appétit volontaire, tendance à des buts et à des actions qu’apprécie la raison. Dans l’homme, se trouvent ces trois sortes de tendances appétitives. De veritate, q. xxv, a. 1. Rappelons enfin que l’appétit sensible se divise en appétit concupiscible et en appétit irascible. I a, q. lxxxi, a. 2. Pour l’instant, expliquons seulement cette notion générale de la passion considérée comme acte de l’appétit sensitif.

Un acte de l’appétit sensitif a toujours deux aspects : un aspect intérieur ou psychique et un aspect extérieur ou physiologique.

Aspect psychique de la passion.

Si l’on veut

condenser l’idée que se fait saint Thomas de l’aspect psychique de la passion, il faut dire qu’il conçoit celle-ci comme un certain mouvement de l’âme. Ia-IIæ, q. xxiii, a. 2 et 4. L’expression est analogique. Le mouvement d’un être se présente comme une tendance d’un terme à un autre. De même, nous concevons l’acte appétitif comme une tendance évolutive, comme un mouvement. Il y a ressemblance ; car, de part et d’autre, il y a intermédiaire tendantiel entre un état et un autre état Mais, il y a différence ; car ce mouvement de l’âme n’est pas un véritable mouvement, ni à plus forte raison un mouvement local : un acte immanent, comme l’acte appétitif, ne pouvant être un véritable mouvement Cette analogie du mouvement appliquée à la passion est conforme à l’expérience intime de nos états émotionnels. Le caractère qu’ils revêtent tous, malgré leur différence, est celui d’un mouvement de tendance, avec ses diverses étapes de début, de progression ou de régression et finalement de repos. Nous sommes joyeux ou tristes, et nous avons l’impression que notre âme s’ouvre et s’épanouit en convoitise vers un bonheur qui l’appelle, ou qu’elle se rétracte devant un obstacle qui l’arrête. Nous aimons d’un amour de désir et nous avons l’impression d’un « certain mouvement de notre âme » vers un objet aimable, loin de nos prises et qui n’est pas encore atteint ; nous sommes tristes et nous éprouvons comme l’arrêt d’une tendance vers un objet de bonté qui brusquement nous échappe ; nous avons peur et nous avons conscience comme d’une violence qui vient contredire notre actuel et délectable repos. Et ainsi des autres sentiments et émotions ; à l’introspection, ils se caractérisent chacun par une phase de début, de progression ou d’arrêt d’une tendance évolutive vers un bien qui nous attire ou d’une tendance qui rétrograde devant

un mal qui nous menace. Les onze passions, qui, nous le verrons, forment tout le cycle passionnel humain, se distingueront entre elles comme des étapes nettement découpées sur ce circuit mouvant des tendances affectives.

Aspect physiologique de la passion.

La passion

n’a point seulement, selon saint Thomas, un aspect psychique, caractérisé par ce « certain mouvement » de l’âme que nous venons d’analyser. Celui-ci a un corrélatif physiologique nécessaire et inséparable, un « mouvement organique » transmutatio oryanica. Dès qu’une passion surgit, elle prend une expression et une mimique qui tout aussitôt la dénonce. Un homme joyeux est exultant, il s’agite avec promptitude et vivacité ; il gesticule avec force et abondance ; son visage devient rond, animé et coloré ; ses yeux étincellent. L’homme triste a le regard fixe et sombre, sa voix est faible et sans éclat, ses traits s’allongent et pendent ; il reste inerte, affaissé, ou Lien il va lentement, les bras ballants, comme écrasé par un poids trop lourd, etc. N’insistons pas sur cette physionomie tout extérieure de la passion, tant elle est connue. Elle est d’ailleurs fort variable selon les individus et leurs différents tempéraments ; par exemple, chez l’impulsif, la joie est exubérante et abondante ; chez l’apathique, elle est moins exultante et plus apaisée. Bien plus, chez un même individu, au cours d’un seul et identique état de passion, les événements physiologiques peuvent varier, en s’amplifianl jusqu’à devenir désordonnés, ou en s’atténuant jusqu’à devenir expérimentalement imperceptibles sans d’ailleurs que la passion change d’objet.

Ces mouvements organiques externes, « périphériques », ne représentent pas toute la physiologie de la passion. Ils ne sont qu’un résultat. Et une question se pose, ici, parmi les psychologues anciens et modernes : quelle est l’origine interne de ces mouvements passionnels, le facteur primaire physiologique de toute émotion ? Je résume en quelques mots cette vaste discussion. Pour saint Thomas, les phénomènes physiologiques qui accompagnent toute émotion (mouvements corporels, agitation musculaire, circulation sanguine modifiée, etc.) ont pour point de départ le mouvement du cœur. Le coeur est « l’instrument des passions de l’âme ». I a -Il æ, q. xlviii, a. 2. En toute passion, il y a modification du rythme du cœur, accélération ou ralentissement. Les manifestations organiques de la passion seraient ainsi engendrées par le mouvement anormal trop rapide ou trop lent du cœur. Cette physiologie de la passion a été singulièrement enrichie par les progrès de la science moderne, encore que celle-ci soit loin d’avoir tout éclairci et même d’avoir abouti à un accord unanime parmi les savants. Aujourd’hui, l’observation et l’expérimentation scientifiques ont permis de distinguer avec plus de netteté les trois groupes de phénomènes qui composent la physiologie de l’acte passionnel.

Il y a : 1. les réactions organiques internes, troubles de la circulation, de la respiration, etc., qui ont leur principe dans les centres bulbaires. Le mouvement du cœur n’en est pas le point de départ, il est lui-même en dépendance de centres nerveux. Depuis quelques années, la physiologie de la passion s’est enrichie d’un nouveau chapitre : celui des sécrétions internes (endocrines ) et de leur influence sur l’affectivité. Il est des glandes qui sécrètent des substances biochimiques qu’elles déversent ensuite dans le sang. L’influence de ces sécrétions internes est loin d’être définie. Mais, il semble qu’elles contribuent à relever le tonus artériel et musculaire et qu’ainsi elles interviennent dans les réactions organiques de la passion. Derrière les explications physiologiques de celle-ci, il faudrait donc entrevoir des explications biochimiques. Quoi qu’il en