Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 11.2.djvu/530

Cette page n’a pas encore été corrigée
2193
2194
PASCAL. APOLOGÉTIQUE, SON INFLUENCE


cal, la 25e des Lettres philosophiques de l’édition française, 1734, cf. Lettres philosophiques, édit. Lanson, t. ii, p. 184-238, et Œuvres, édit. Beuchot-Garnier, t. xxii, p. 27-58, il indique la manière dont Pascal conçoit l’homme en lui-même et en face de la nature et de la vie, autrement dit, le point de départ de l’Apologie, et lui oppose son naturalisme optimiste. Remarques i, m, iv, vi, xxiii, xxiv, xxv. « Le fond de mes petites Remarques sur les Pensées, écrit-il à M. S. Gravesande, loc. cit., p. 64, c’est qu’il faut croire sans doute au péché originel, puisque la foi l’ordonne, et qu’il faut y croire d’autant plus que la raison humaine est absolument impuissante à nous montrer que la nature humaine est déchue. » Il attaque aussi le pari, col. 2 18 1, les preuves que Pascal tire du peuple juif, Remarques, vu, viii, ix, xii, xiv ; il invoque les contradictions des évangiles, Remarque xvii ; enfin il attaque la force probante des miracles, Remarques lxiii, lxiv, et, en ami des idées claires, les passages où Pascal montre que la foi ne peut aller sans obscurité, Remarque xviii.

En 1738, après que le P. Desmolets eut « fait imprimer des Pensées de Pascal qui n’avaient point encore paru », Voltaire écrivit huit nouvelles Remarques publiées pour la première fois en 1742 ; cf. Lettres philosophiques, édit. Lanson, loc. cit., p. 239-243, et Œuvres de Voltaire, édit. Beuchot-Garnier, t. xxii, p. 58-63. Ces Pensées nouvelles, dit Voltaire, « me paraissent confirmer que ce grand génie avait jeté au hasard toutes ses idées pour en réformer une partie et employer l’autre. » Et il relève, entre autres — car ils irritent son déisme — les passages des fragments 233 et 556 où Pascal dit : « S’il y a un Dieu… il est incompréhensible… Je n’entreprendrai pas de prouver par des raisons naturelles l’existence de Dieu. » — « Il est étrange, dit Voltaire, que M. Pascal ait cru qu’on pouvait deviner le péché originel par la raison et qu’il dise qu’on ne peut connaître par la raison si Dieu est… Est-ce possible que ce soit Pascal qui ne se sente pas assez fort pour prouver l’existence de Dieu ? » Remarques iv et vii, éd. Lanson, p. 241 et 242.

L’Encyclopédie ne comprit pas d’abord d’article sur Pascal, mais, en 1776, Condorcet, dans sa nouvelle édition des Pensées et dans son Éloge de Pascal faisait écho à Voltaire, moins cependant qu’il n’eût voulu, par crainte de la censure. Même tactique : diminuer Pascal en le présentant comme une tête affaiblie : géomètre, Pascal l’est ; philosophe, il ne l’est pas : ne dit-il pas que l’on ne peut démontrer par la raison seule l’existence de Dieu ? et, troublé par l’accident du pont de Neuilly, ne s’est-il pas jeté aveuglément dans la piété ? dans ses vêtements n’a-t-on pas trouvé Vamulette ? Puis Condorcet commentait les Pensées à sa manière, celle que l’on a vue pour le pari, col. 2184, ou à la manière de Voltaire dont il utilisait les Remarques. Surtout il supprimait, ajoutait, de façon à faire de cette Apologie une œuvre antichrétienne. Sous ce titre, Preuves du christianisme, il groupe tous les fragments où Pascal parle des obscurités de la foi, de l’ambiguïté des prophéties, des controverses sur les miracles, sur la puissance de la coutume et de l’automatisme. Voltaire, dans sa Correspondance, applaudissait : à d’Alembert : « L’Anti-Pascal est d’un homme supérieur à Pascal. » Œuvres, t. l, Lettre 9929, p. 169 ; à Condorcet : « Enfin vous avez montré le dedans de la tête de Sérapis et on a vu des rats et des toiles d’araignée. » Ibid., n. 9932, p. 171. En 1778, il faisait écho à Condorcet : il publiait à Genève l’Éloge de Pascal et les Pensées de celui-ci, ajoutant : XC IV dernières remarques, du même esprit que les premières. Éd. Beuchot-Garnier, t. xxxi, p. 1-40. Plusieurs portaient sur les fragments relatifs aux preuves physiques de l’existence de Dieu, à la préoccupation qu’impose l’immortalité de l’âme. « Il vient enfin un temps de dire la

vérité », affirmait la A’Ce Remarque. Conformément à cette maxime, Condorcet, qui avait accepté de rédiger l’article Pascal dans la réédition de l’Encyclopédie confiée à Naigeon et connue sous le nom d’Encyclopédie méthodique, se proposait d’y publier son Éloge de Pascal, mais sans aucun des ménagements et adoucissements auxquels l’avaient obligé, dit Naigeon, « les préjugés politiques et religieux » du gouvernement de Louis XV et qu’il ne se pardonnait pas. Mais il mourut avant d’avoir réalisé son projet. Dans l’Encyclopédie méthodique, au t. iii, paru en l’an II, Naigeon se contenta de rééditer, sous le mot Pascal, l’Éloge et l’édition des Pensées par Condorcet ; cf. Giraud, Pascal, Condorcel et l’Encyclopédie, dans Revue d’histoire littéraire, 1906. p. 110-111. « On croit voiries ruines de Palmyre, restes superbes du génie et du temps, au pied desquelles l’Arabe du désert bâtit sa misérable hutte », dira Chateaubriand, des Pensées éditées et commentées par Voltaire et Condorcet. Génie du christianisme, IIP partie, t. II, c. vi, Œuvres, édit. de 1827, t. xiii, p. 9.

Durant cette période cependant, Pascal ne fut pas sans admirateurs ni défenseurs. Vauvenargues qui se sépare de lui sur le fond même — il est de l’avis de Voltaire contre Pascal touchant la nature de l’homme

— le célèbre en termes magnifiques ; cf. Sainte-Beuve, loc. cit., p. 410, et Causeries du lundi, t. iii, p. 104. Le pari, on l’a vii, inspire le Traité de religion, 3 in-12, Paris, 1677, de l’oratorien Mauduit, qui fut réédité trois fois, 1678, 1698 et 1699. L’apologiste le plus renommé du temps, de qui s’inspirent toute une série d’apologistes secondaires catholiques ou protestants, et dont le Traité de la vérité de la religion chrétienne et le Traité de la divinité de Notre-Seigneur Jésus-Christ, 1684 et 1689, furent préférés par quelques-uns aux Pensées, le protestant Abbadie, est « l’héritier le plus authentique de l’auteur des Pensées parmi les apologistes du xviie siècle finissant ». Monod, loc. cit., p. 137. L’oratorien Houteville, dont le Traité de la vérité de la religion prouvée par les faits, 1722, renferme un éloge des Pensées, préface, p. clxxii-clxxvi, s’en inspire en ce sens qu’il ramène le problème chrétien à un problème de faits ; cf. Monod, ibid., p. 219-230. Le protestant Boullier publiera en 1741 une Défense des Pensées contre les critiques de M. de Voltaire. Cf. id., ibid., p. 298 sq., et Sainte-Beuve, Port-Royal, t. iii, p. 403. Ce sont là d’honnêtes écrivains mais bien incapables de contrebalancer l’influence de Voltaire et des encyclopédistes.

A mesure que se dessinent la restauration religieuse et le mouvement de pensée qui deviendra le romantisme, grandissent le renom et l’influence de Pascal. Bousseau, qui s’oppose à lui sur tant de points mais qui l’a lu et lui doit beaucoup, lui ramène les âmes par la certitude qu’il accorde en religion au sentiment. En Allemagne, tandis que Gœthe, fidèle à la tradition voltairienhe voit en Pascal, dit Sainte-Beuve, Causeries du lundi, t. ii, p. 353, une monstruosité, Kant, qui, s’il n’a pas lu Pascal, dit du moins : « Dieu ne s’apprend que par le cœur », Schleiermacher, dans ses Ueber die Religion Reden, 1799, et Jacobi qui a subi l’influence de Pascal, cf. Lévy-Bruhl, La philosophie de Jacobi, Paris, 1894, ravivèrent, qu’ils en eussent conscience ou non, l’apologétique de Pascal, encore que celui-ci eût condamné la substitution radicale de la certitude mystique que donne l’expérience interne à la certitude qu’apportent les faits et même le raisonnement.

Chateaubriand donne le Génie du christianisme comme une reprise des Pensées : « Pascal, dit-il, loc. cit., p. 17. avait entrepris de donner au monde l’ouvrage dont nous publions aujourd’hui une si petite et si faible partie. » En réalité, il n’a guère exploité de Pascal que l’idée de la convenance spirituelle et morale du christianisme, convenance qui ne peut être que pro-