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PASCAL. APOLOGETIQUE, QUESTIONS QU’ELLE POSE


rangera du premier coup dans leur ordre naturel les vingt-quatre lettres de l’alphabet : il y aurait en ce cas 13 000 milliards de milliards de chances de perdre contre une de gagner. — - « Il faut, dit Havet, Pensées, t. ii, p. 160, que Condorcet ait lu Pascal bien légèrement. Pascal a prévu l’objection et il pose qu’il faut consulter non seulement les enjeux mais les chances de gain et de perte, puisque l’on est obligé de parier. Si l’on renonce à gagner, l’on est sûr de perdre. »

Dans sa Theologiæ christianse principia mathematica, Londres, 1099, Leipzig, 1755, Craig, voulant prouver more geomelrico que l’espérance du bonheur éternel promis par le Christ, quoique incertaine, est supérieure à l’espérance des bonheurs de cette vie, inceitains, eux aussi, introduisit dans la comparaison un élément nouveau : la valeur du témoignage du Christ. Cette valeur, disait-il, diminuait avec les siècles et serait finie en 3350. Cf. Lachelier, loc. cit. Laplace, Essai philosophique sur les probabilités, section De la probabilité des témoignages, reprend cette idée de la valeur du témoignage du Christ, sur lequel reposent nos espérances éternelles, et cette valeur lui paraissant tendre vers zéro, « étant donné que si les témoins trompent ils ont le plus grand intérêt à promettre un éternel bonheur », il conclut que, dans ces conditions, « l’infini disparaît du produit qui exprime l’avantage résultant de cette promesse, ce qui détruit l’argument de Pascal ». Cf. Lachelier, loc. cit., et Riquier, A propos du pari de Pascal, dans Revue philosophique, t. ii, 1900. p. 650-651.

Quant à Diderot, Pensées philosophiques, n.Lix, 1746, il écrit par manière de boutade cette pensée souvent reprise depuis (notamment par E. Goblot, Le système des sciences, Paris, 1922, p. 207) : « Un iman en peut dire autant que Pascal. » Cf. Chevalier, loc. cit., p. 358.

Les critiques de Pascal au xixe siècle ont, eux aussi, discuté le pari. « L’instinct, dit Havet, Pensées, t. i, p. 159, note sur le fr. 1 de l’art. 10, avertit qu’il doit y avoir un défaut dans cette démonstration étrange, mais on a de la peine à le démêler. »

Havet voit ce défaut où le vit Laplace, mais il dépouille sa critique de tout appareil mathématique. « Aucune application possible, dit-il, de la règle des partis. Si, raisonnablement, tout joueur hasarde avec certitude pour gagner avec incertitude, ici, l’incertitude est quasiment entière. Rien ne garantit, à vrai dire, cette éternité sur laquelle je mise. » Ibid.

Sully-Prudhomme, La vraie religion selon Pascal, p. 296 sq., cf. Le sens et la portée du pari de Pascal, dans Revue des Deux Mondes, 15 novembre 1890, tout en voyant très bien que le but du pari est de déterminer l’incrédule aux démarches nécessaires, ne lui en trouve pas moins « un caractère cyniquement intéressé » et il y dénonce « une pétition de principes ». Que demande en effet Pascal à l’incrédule ? « l’abêtissement qui use les ressorts et anéantit les résistances de la raison et qui permet à la foi de la supplanter par l’insinuation de l’habitude, sans aucune espèce de sacrifice, sans l’amour » ; p. 276. D’autre part « l’existence de la vraie divinité ne saurait être la condition aléatoire d’une gageure ; car, ou bien l’on n’en a aucune idée et l’on ne sait même pas de quoi dépendent la perte et le gain du pari ; ou bien l’on en a quelque idée, et la moindre… c’est qu’elle ne peut pas ne pas exister, et dès lors la condition aléatoire disparait. » P. 272.

C’est à peu près pour les mêmes raisons que MM. Dugas et Riquier, loc. cit., traitent le pari « de monstruosité logique et d’énormité morale ». P. 245. C’est une métaphore, disent-ils, qui sert de base à un raisonnement : « les mots certitude du risque, incertitude du gain ne traduisent que des impressions purement morales, qui varient d’un homme à l’autre, d’un moment à l’autre, et échappent à toute évaluation mathéma tique. » P. 240. Puis, pour répondre au pari, « vous ferez table rase de vos instincts, de vos sentiments, de votre conception du bonheur » ; dans ces conditions, « à ne considérer le pari qu’au point de vue logique, le refus de prendre croix, n’aurait rien de blessant pour la raison ; en face des conditions réelles du pari, il y aurait au contraire folie à prendre croix. » P. 244.

Dans le même sens et rappelant les Réflexions attribuées à Fontenelle par Condorcet, Cl. Resse conclut que le pari « n’a rien pour lui, ni la logique, ni la morale ». Il y a bien des façons d’échapper au dilemne où Pascal prétend enfermer l’athée, et ceux qui se trouvent bien en ce monde ne se laisseront nullement émouvoir par les plaisirs de l’au-delà. Loc. cit., p. 356-357.

Pour Renouvier, le raisonnement pascalien est condamné par la question même à laquelle il s’applique, Pascal « n’a pas prouvé que l’Église catholique fût plus que toute autre autorisée à dire : Vous êtes embarqué. » Son argument pourrait alors servir à toutes les religions. Philosophie analytique, loc. cit., p. 72. Cf. Allier, La philosophie d’Ernest Renan, Paris, 8e édit., 1906, p. 109 : « Le raisonnement… est irréprochable dès qu’on admet la nécessité du pari. Mais cette nécessité est-elle réelle ? Il ne le semble pas. Nous sommes, remarquons-le, dans l’hypothèse du scepticisme absolu. Pourquoi n’épiloguerais-je pas de même, avec l’islamisme ou le boudhisme ? Philosophiquement, le choix de l’objet du pari me paraît arbitraire. >

Lachelier, loc. cit., p. 631-635, qui traduit la formule « Dieu est » par « ces trois idées indissolublement liées dans l’esprit de Pascal, existence de Dieu, vie éternelle, renoncement à l’amour propre », ne voit au pari que cette difficulté qu’il s’efforce d’ailleurs de résoudre : Pour qu’un pari soit raisonnable, il faut que les chances de gain soient appréciables, donc réelles, et par conséquent que le gain, ici la vie éternelle, apparaisse possible non seulement de possibilité logique, mais de possibilité réelle. Or « de ce que nous ne sommes pas plus autorisés à nier l’existence d’une chose qu’à l’affirmer, il ne faut pas conclure, comme semble avoir fait Pascal, qu’il y a une chance sur deux pour que cette chose — ici, la vie éternelle — existe ». L’incertitude du gain énerve donc le pari. « Tous les infinis n’y feront rien. »

La plupart de ces critiques portent à faux. Leurs auteurs ont considéré le pari isolément, sans tenir compte de ce que Pascal suppose acquis et de l’état d’âme où il a déjà amené l’incrédule ; ils ont oublié aussi que son but était de déterminer la volonté à agir pour savoir et non pas d’éclairer l’intelligence.

Le P. Valensin, Revue prat. d’apol., 15 octobre 1919, JVote sur le pari de Pascal, p. 65 sq., cf. Dict. apol., art. Pascal (Pari de), conclut de son étude sur l’argumentation de Pascal. « Cette argumentation est rigoureuse. » Toutefois il est un cas où elle ne porte plus. C’est quand elle s’adresse à l’incrédule qui n’estime pas petit et méprisable, le bien sensible qu’il faut sacrifier. Mais alors ce n’est pas le raisonnement de Pascal qui est en faute, mais la bonne volonté de l’incrédule. Et le P. Valensin termine par ce mot qui rentre bien dans le sens général de l’Apologie : « L’argumentation de Pascal est malgré tout triomphante, car pour elle c’est également réussir de convaincre celui qui l’écoute, ou de le condamner. » Cf. fr. 578.

Quant au calcul mathématique latent sous les données du raisonnement, alors que M. Riquier, loc. cit.. l’a proclamé « une jonglerie vide et stérile », M. Servien, Revue des cours et conférences, 15 janvier 1931. p. 283-288, Les paris de Pascal, en discute les diverses étapes et en montre la rigueur et la portée. Cf. aussi fr. 233, loc. cit., n. 3.

5° Questions posées par l’apologétique de Pascal. 1. Du ftdéisme des Pensées. — A la base du fidéisme est