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PASCAL. APOLOGÉTIQUE, LE PARI


tiné « à faire effet sur quelque libertin », ni Filleau, ni la Préface de Port-Royal qui donnent le plan de l’Apologie exposé par Pascal en 1658, n’y font en effet la moindre allusion. Pour Clément Besse, L’argument du pari, dans Revue pratique d’apologétique, 1 er décembre 1919, p. 321 sq., et, Biaise Pascal. Le pari, Paris,

1922, le pari, composé en 1654, au moment où Pascal établit le calcul des probabilités avec Carcavi, Méré, Huyghens et Fermât et où il est hanté par l’idée de se convertir, répond au Mémorial. Pascal l’a écrit pour lui-même « dans une heure de ténèbres et trempé de larmes brûlantes ». Ces opinions se heurtent à ce fait que les éditeurs de Port-Royal, auditeurs de Pascal en 1658, ont introduit le pari dans V Apologie.

D’autres, Boutroux, qui date lui aussi le pari de 1654, L. Blanchet, loc. cit., p. 639, qui le date de 1657, année où Pascal s’occupe encore du calcul des probabilités, et qui s’appuie sur F. Strowski, Pascal et son temps, t. iii, p. 271, n. 1, pensent que cette application des mathématiques aux matières de religion aurait d’abord été voulue par Pascal sans aucun but, puis introduite par lui dans V Apologie. Il eût été comme un premier essai de l’Apologie », dit F. Strowski ; « telle est aussi notre opinion », dit L. Blanchet, loc. cit.

Pour Renouvier, Philosophie analytique de l’histoire, t. iv, Les Pensées de Pascal au XIXe siècle, se référant à une note où Sainte-Beuve, loc. cit., t. iii, p. 439, n. 2, dit que, d’après Lescœur, De l’ouvrage de Pascal contre les athées, Dijon, 1850, la règle des partis est chez Pascal « une vue fondamentale et a toute la valeur d’une méthode suivie et rigoureuse », le pari est l’essence même de l’Apologie. Pascal, regardant « l’absolu pyrrhonisme comme invincible à la raison », veut entraîner les âmes à la foi « par la détermination d’un intérêt de croire qui ne coûte rien à la raison » et une sorte de coup de force de la volonté.

D’après L. Brunschvicg, loc. cit., et V. Giraud, Pensées, p. 143, n. 1, Pascal aurait composé le pari directement pour l’Apologie, en 1658, mais non comme une pièce nécessaire à l’ensemble : l’Apologie étant « divisée en plusieurs actes où paraissent des personnages différents », le pari « eût été un effort pour déterminer quelque géomètre libertin ».

Pour d’autres critiques, qui semblent bien avoir raison, le pari entre dans le dessein général, dans la trame de l’Apologie, et comme une pièce essentielle. Ils rappellent que le but de Pascal était non de démontrer simplement, mais de convertir et que, pour convertir, l’appel à la raison ne saurait suffire. La foi est un don de Dieu, mais à ce don l’homme tout entier doit se préparer, s’offrir en quelque sorte ; cf. fr. 245. Le pari a pour but de déterminer le libertin à cette préparation, en lui démontrant, par la règle des paris, qu’il ne peut prendre une attitude mieux ordonnée à son intérêt et à son bonheur. C’est en ce sens que J. Chevalier dit, Revue de métaphysique et de morale,

1923, loc. cit., p. 207 : « Le pari a tout l’air d’être la décision et à ce titre il est bien la démarche suprême de l’esprit. » Et J. Laporte, ibid., p. 287 : « Le pari a tout l’air d’être la conclusion de l’Apologie. »

Le pari n’est donc pas un argument : « Il ne constitue en rien une preuve de vérité ; il n’est pas destiné davantage à suppléer les preuves. » Chevalier, loc. cit., p. 208. « Le pari ne fait point partie de l’Apologie comme instrument logique… ; soutenir que Pascal en a fait son fort unique, à l’exclusion des autres preuves, qui, dit-on, lui paraissent incertaines, c’est une pure extravagance. » Droz, loc. cit., p. 71 et 73. D’autre part, c’est demander au pari ce qu’il ne saurait donner que de l’isoler comme s’il se suffisait à lui-même.

3. Les critiques du pari.

Mais que valent les raisonnements qui constituent le pari ? les principes sur

lesquels ils reposent ? les formules mathématiques qui les enveloppent ou les traduisent ?

Dès 1671, l’abbé de Villars, le premier critique de Pascal (cf. Bremond, Pascal, l’abbé de Villars et la première réfutation des Pensées, dans le Correspondant,

10 sept. 1921, p. 904 sq.), faisait au pari, loc. cit., ces reproches que transcrit Bayle, loc. cit., p. 607, n. 1. D’abord c’est « traiter la plus haute des matières par une idée basse et puérile…, une comparaison du jeu de croix et de pile », ce qui paraît plus singulier encore « chez un si grand ennemi des casuistes relâchés ». Puis le raisonnement n’est propre qu’à faire des athées. « Toute sa force dépend en effet de cette proposition, que tout joueur hasarde avec certitude pour gagner avec incertitude, sans pécher contre la raison », comme s’il était raisonnable « de hasarder son argent pour en gagner un incertain et s’exposer à n’avoir ni l’un ni l’autre ». — Reproches bien faibles, puisque « l’on n’agit jamais que pour l’incertain », fr. 234, et qu’obligés d’agir nous prenons parti, que nous le voulions ou non ; reproches qui n’empêchèrent pas, fait remarquer Bayle, l’auteur du Traité contre les athées, les déistes et les nouveaux pyrrhoniens (l’oratorien Mauduit) de faire, six ans plus tard, du pari la base de son Apologie, cf. Monod, op. cit., p. 67-68 ; reproches qui, repris par un petit livre anglais : Lettre sur l’enthousiasme, amenèrent Leibnitz à approuver le pari, cf. Correspondance de Leibnitz avec Pierre Coste, dans Philosophische Schriften, édit. Gerhardt, t. iii, p. 415.

Les philosophes du xviiie siècle, évidemment, ne furent pas favorables au pari. Les secondaires, Boulainvilliers, Réfutation des erreurs de Benoît de Spinoza, Lassay (cf. Pellisson, Un philosophe amateur sous la Régence, dans Revue politique et parlementaire, t. xlii, 1904, p. 108), Sénancourt, d’après qui « Pascal aurait dit cette puérilité : Croyez, parce que vous ne risquez rien de croire et que vous risquez beaucoup en ne croyant pas » (cf. Dugas et Riquier, loc. cit., p. 245), attaquent le pari, mais ceux de premier plan, Voltaire, Condorcet, Fontenelle, Laplace, Diderot, ne le ménagent pas davantage.

Dans les Remarques sur les Pensées de M. Pascal qui font suite aux Lettres philosophiques, Voltaire reprend le reproche d’inconvenance qu’avait fait Villars au pari ; mais il ajoute ces critiques : a) « L’intérêt que j’ai à croire une chose n’est pas une preuve de l’existence de cette chose », oubliant que le pari ne demande pas d’accepter, mais de vivre comme si l’on acceptait ;

b) cette autre, qui atteint le point de départ même du pari : « Vous êtes embarqué… Ne point parier que Dieu est, c’est parier qu’il n’est pas. » Mais, dit Voltaire, « celui qui doute et qui ne cherche qu’à s’éclairer ne parie assurément ni pour, ni contre », comme si celui qui doute se dispensait de vivre, donc de choisir ;

c) enfin cette critique ad hominem qui n’est pas dépourvue de force : Si « le petit nombre des élus est si effrayant et si je ne puis rien du tout par moi-même, n’ai-je pas tout intérêt à parier contre Dieu ? » Cf. Lettres philosophiques, édit. Lanson, t, n. Paris, 1909, p. 190 ; t. v, p. 230, n. 13.

Condorcet, dans son édition des Pensées, 1775, publie, en les attribuant à Fontenelle, des Réflexions sur l’argument de AI. Pascal et de M. Locke. - — Locke avait soutenu, loc. cit., qu’une vie honnête, et il entendait par là une vie conforme à la morale de l’Évangile (cf. Que la religion chrétienne est raisonnable, Amsterdam, 1696), jointe à l’espérance d’une éternelle félicité, est préférable à une mauvaise vie, lisez une vie non conforme à la morale évangélique, accompagnée de la crainte d’une misère affreuse. —

Il est aussi absurde de parier comme le veut Pascal, disent ces Réflexions, que de parier une piastre contre l’empire de la Chine qu’un enfant totalement illettré