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PASCAL. APOLOGÉTIQUE, ORIGINALITÉ


dans la vérité que par la charité. » De l’esprit géométrique. Second fragment, t. ix, p. 272, ni que l’inspiration ne puisse se passer de telles démonstrations. « La foi est différente de la preuve : l’une est humaine, l’autre est un don de Dieu, » Fr. 248. C’est pourquoi ja vérité religieuse est faite pour les simples comme pour les habiles ». Cf. fr. 251.

Ces réserves et ces conditions posées, Pascal entend bien prouver de manière irréfutable — car « il y a des démonstrations d’une autre espèce et aussi certaines que celles de la géométrie » — non seulement que la raison n’a rien à opposer à la religion mais voit l’obligation de la suivre ; cf. fr. 289.

2° Originalité de l’apologétique pascalienne. La méthode de l’expérience morale. — Une apologétique s’établissait alors qui deviendra l’apologétique dite traditionnelle : démonstration par des arguments rationnels de la divinité du catholicisme, à tout le moins du christianisme. Trois étapes : a) démonstration de l’existence de Dieu et de la nécessité de la religion naturelle par les arguments scolastiques ou les raisonnements métaphysiques de Descartes, que le Traité sur l’existence de Dieu, de Fénelon, devait bientôt (1713) revêtir d’une forme si poétique ; b) démonstration à priori de la possibilité et de la nécessité d’une révélation surnaturelle, et à posteriori du fait d’une religion divinement révélée, celle de Jésus-Christ. Tractatus de vera religione. Les protestants s’en tiennent là ; tel Grotius, dans son De veritate religionis christianæ, 1636, qu’ont traduit en français, en l’a vii, Mézeraꝟ. 1648, et de Beauvoir, 1659, et auquel Pascal fait de nombreuses allusions ; c) démonstration par des raisonnements basés sur l’Écriture et l’histoire de la divinité de l’Église catholique : Tractatus de vera Ecclesia, celui-ci tout récent puisque provoqué par la Réforme. Pierre Charron a publié, en 1593, son livre des Trois vérités. Il y insiste sur la troisième, la divinité de l’Église catholique, car il répond au Traité de l’Église, 1578, de Duplessis-Mornay. Apologétique intellectualiste, qu’encourage encore le cartésianisme et qui, chez les uns, est d’un optimisme étroit, comme chez ce Jean Belin, évêque de Belley, qui publie à Paris, en 1666 : Les preuves convaincantes du christianisme, où le christianisme est exposé de telle sorte qu’on ne peut jamais douter de sa vérité et l’on connaît évidemment qu’il faut l’embrasser, chez les autres, Bossuet, Malebranche, Huet, le protestant Abbadie, et, comme on vient de le voir, Fénelon sera exposé avec ampleur et parfois puissance. Cf. Monod, loc. cit., c. i, § 4.

Autre est l’apologie pascalienne.

1. Saint Thomas, Sum. theol., II » - II », q. iv, a. 2, dit : « Croire est un acte de l’intelligence en tant que celle-ci est menée à l’assentiment par la volonté. » Les apologistes traditionnels savent cela, mais ils ne s’adressent guère qu’à la raison. Ils veulent, comme dit Belin dans sa préface, « contraindre tous les hommes par la force de la raison à suivre et embrasser le christianisme ». Leur apologétique est intellectualiste et spéculative. Pascal voit les choses autrement. Avant tout il veut peser sur la volonté — entendue au sens cartésien — pour l’entraîner vers la vérité à rencontre des préjugés et des passions ; cf. fr. 99. Son apologétique est donc plutôt morale et pratique. Il est préoccupé de convaincre la raison par des preuves convenables, mais il veut créer d’abord et pour réussir à cela, l’état d’âme nécessaire ou, suivant le mot de Droz, loc. cit., p. 114, accommoder l’homme à la vérité, afin que la vérité ait prise sur lui, autrement dit, que « son esprit soit ouvert aux preuves ». Fr. 245.

C’est que « Jésus-Christ ne se prouve pas comme un théorème », Droz, loc. cit., p. 104, et que la vérité religieuse est d’un autre ordre que la géométrie. La raison donne la certitude de la géométrie, c’est le cœur qui

donne les certitudes religieuses. Ni la philosophie, ni la science ne les peuvent donner : « Descartes inutile et incertain. » Fr. 78, cf. Malebranche, Recherches. IV, § ii, p. 404-405 (où Malebranche, comme le remarque Gouhier, loc. cit., p. 399, semble bien faire la critique de ce mot), ni les infirmer : n Ce qui est incompréhensible ne laisse pas d’être. »

2. De par la nature donc de l’esprit à convaincre et de par la nature de la chose à prouver, il n’y a pas à démontrer la vérité religieuse par des arguments philosophiques. Une telle démonstration, par exemple, de l’existence de Dieu, logiquement la première entre les vérités religieuses aboutit tout au plus à une connaissance notionnelle, inutile, stérile, et même éphémère. Pour convaincre la raison, chose utile même au croyant, Pascal n’emploie pas les raisonnements mais des faits, dont on sait qu’ils commandent l’assentiment. Le Dieu qu’il veut démontrer est le Dieu de l’histoire, le vrai Dieu par conséquent.

Son point de départ est un fait d’expérience interne. « La contradiction tragique de notre condition ». Rauh, loc. cit., p. 311, qui pose devant chacun le problème de la nature et de la destinée humaine. Comment l’homme avide de vérité, de vertu, de bonheur, en est-il incapable et n’y a-t-il pas un remède à cet état ? Or, seule la religion chrétienne fournit de notre contradiction « monstrueuse » une explication satisfaisante : le péché originel et, seule aussi, elle offre le remède, la grâce du médiateur, Jésus-Christ.

Évidemment ces choses avaient été dites depuis des siècles. Ce qui était nouveau c’était d’en faire le point de départ d’une apologie ; cf. Vinet, loc. cit., p. 193. Du coup, le christianisme prenait figure d’explication de la vie et de religion ajustée à la nature humaine. Les vérités révélées ne sont donc pas des connaissances de luxe ; tout le surnaturel, comme l’ont vu saint Augustin et saint Thomas, est l’heureux correctif ou le complément de notre nature, a L’exact ajustement du christianisme à la nature humaine, voilà proprement ce que Pascal veut montrer, ce qui peut attirer le « libertin » vers la religion. » Bréhier, Histoire de la philosophie, t. ii, La philosophie moderne. l.Le dix-septième siècle, Paris, 1929, p. 141. Du coup aussi, le christianisme prend une sorte de transcendance par rapport aux philosophies et aux autres religions — à la raison humaine en somme — qui n’ont fourni aucune explication valable du fait universel dont il est question, et la raison n’a rien de mieux à faire que de s’accorder avec lui.

L’apologétique traditionnelle, a-t-on dit, va de Dieu à l’homme ; l’apologétique pascalienne va de l’homme, de l’homme complet et non pas réduit à la seule raison, à Dieu ou plutôt à Jésus-Christ, en q 1’et par qui l’homme trouve Dieu.

3. Si Malebranche, en effet, comme le remarque Sainte-Beuve, loc. cit., t. v, p. 431-432, diminue le Fils au profit du Père, Jésus-Christ « est le centre des Pensées ». Rauh, loc. cit., p. 317. Influence du jansénisme, sans doute, qui, selon le mot de Joubert, i ôte trop au bienfait de la création pour donner davantage au bienfait de la rédemption », et qui « sans le Fils, dit Sainte-Beuve, loc. cit., t. ii, p. 114, n. 1, aurait peine à remonter jusqu’au Père ». Mais elïet aussi de l’ardent amour de Pascal pour Jésus-Christ : « C’a été sa seule passion, passion véritable qui s’échappe par ses lèvres et qui saigne dans ses membres. » Sainte-Beuve, loc. cit., p. 509 ; cf. fr. 553, Le mystère de Jésus, et le Mémorial. « Jésus-Christ est l’objet de tout et le centre où tout tend », dit en elïet Pascal. « La religion chrétienne consiste proprement au mystère du Rédempteur qui a retiré les hommes de la corruption du péché pour les réconcilier à Dieu en sa personne divine. Elle enseigne