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PASCAL. PHILOSOPHIE MORAL] !


(liment affirmer la première, tout incompréhensible qu’elle est…, puisque ces deux contraires étant tous deux inconcevables, il est néanmoins nécessairement certain que l’un des deux est véritable. » De l’esprit géométrique, loc. cit., p. 259-260. Dans le domaine des connaissances morales et religieuses, la raison, viciée par les effets du péché originel sur la volonté, n’aboutit qu’à des antinomies ; cf. Kant, Critique de la raison pure. Méthodologie transcendenlale. « Incompréhensible que Dieu soit et incompréhensible qu’il ne soit pas ; que l’âme soit avec le corps et que nous n’ayons pas d’âme ; que Je monde soit créé, qu’il ne le soit pas ; que le péché originel soit et qu’il ne soit pas. » Fr. 230. « Mais Pascal croit au réel. Là où nous dressions des antinomies, il faut chercher une issue car elle existe. » Chevalier, loc. cit., p. 197, et le « pyrrhonisme n’est point le vrai ». Si notre raison logique, qui réclame l’évidence cartésienne, déclare « incompréhensibles » Dieu et l’âme, les faits, l’expérience, la raison des effets, en un mot, exige Dieu et l’âme. En réalité, affirmations et négations ne sont pas ici du même ordre, et notre logique doit céder devant le réel. Toutefois, cette raison des effets, nous ne pouvons la saisir et incliner devant elle notre logique, qu’à la condition de certaines dispositions morales, dont la première est l’humilité. « Il faut savoir se soumettre où il faut. » Fr. 268 ; cf. fr. 270.

Or, en ces matières, l’esprit pense toujours par antinomies et le fait ne départage pas toujours ; loin de là : les faits s’opposent parfois comme les jugements. La vérité tient alors le milieu entre ces contraires, non qu’elle soit entre eux une sorte de compromis, de moyenne, mais elle résulte de leur combinaison dans une doctrine supérieure qui les complète chacun et exclut leurs négations réciproques. Que la vérité soit de telle nature, cela explique les hérésies. Leur source à toutes « est de ne pas concevoir l’accord de deux vérités opposées et de croire qu’elles sont incompatibles ». Fr. 862. « De l’ignorance de quelques-unes de nos vérités viennent aussi les objections que nous font les hérétiques. » Ibid. C’est ainsi qu’il y eut des hérésies sur Jésus-Christ Dieu et homme, sur le sujet du « Saint-Sacrement », à la fois transubstantiation et présence réelle et « aussi figure de celui de la croix et de la gloire et commémoraison des deux », sur « les indulgences ». Ibid. Ce que ces hérésies affirmaient était vrai ; l’erreur commençait à l’exclusion. Évidemment, c’est dans la lumière supérieure de la foi que se concilient ces vérités opposées. Ainsi encore quand Épictète et Montaigne traitaient la nature de l’homme le premier « comme saine et sans besoin de réparateur, ce qui le mène au comble de la superbe », le second, « comme nécessairement infirme et irréparable, ce qui le précipite dans le désespoir », c’est qu’ils ignoraient, le premier la corruption présente, le second « la première dignité de l’homme ». Mais sur ce point, comme sur tous les autres, « la vérité de l’Évangile accorde les contrariétés par un art tout divin, et, unissant tout ce qui est de vrai et chassant tout ce qui est de faux, elle en fait une sagesse véritablement céleste où s’accordent ces opposés qui étaient incompatibles dans les doctrines humaines ». Entretien mur M. de Saci, t. iv, p. 53. C’est ainsi enfin « qu’un grand nombre de vérités de foi et de morale semblent répugnantes et subsistent toutes dans un ordre admirable ». Fr. 862.

Conclusion pour l’apologiste qui met la raison au service de la foi : « Pour empêcher les hérésies, ou pour les réfuter, le plus sûr moyen » est « d’instruire de toutes les vérités » ; autrement dit, lorsque l’on traite d’une vérité, il faut s’occuper aussi des autres qui semblent lui faire échec, ibid., et fr. 567 ; — pour les jansénistes : qu’ils comprennent d’où vient parfois

leur infériorité dans les luttes présentes : « S’il y a jamais un temps auquel on doive faire profession des deux contraires, c’est quand on reproche qu’on en omet un. Donc les jésuites et les jansénistes ont tort en les celant, mais les jansénistes plus, car les jésuites ont mieux fait profession des deux. » Fr. 865. Pascal, du reste, dans ses Écrits sur la grâce, s’est appliqué à bien montrer en face de la vérité catholique, les deux erreurs contraires.

5° La philosophie morale des Pensées. — Elle est celle des Provinciales.

1. Il y a des lois naturelles, fr. 294, une morale fixée par la volonté de Dieu. Fr. 668.

2. L’homme a édifié des systèmes cohérents d’une morale rationnelle — voir Épictète et Montaigne, « les pus illustres défenseurs des deux plus célèbres sectes du monde et les seules conformes à la raison », Entretien, t. iv, p. 50 — d’inspiration très élevée parfois, tel Épictète, et de conséquences pratiques très heureuses, tel Épictète encore et même Montaigne. Ibid. Mais aucun de ces systèmes ne saurait reconstituer cette règle morale voulue par Dieu. Une loi naturelle aurait pour caractéristique d’être claire pour tous et universellement reçue : « l’éclat de la véritable équité aurait assujetti tous les peuples » et cette loi « on la verrait plantée par tous les États du monde et dans tous les temps ». Or. « rien de juste et d’injuste qui ne change de qualité en changeant de climat » et la maxime morale « la plus générale », où se traduit bien cette impuissance humaine, est celle-ci : « Que chacun suive les mœurs de son pays. » Fr. 294, cf. fr. 440. Il en était autrement avant la chute. Depuis, nous avons toujours, il est vrai, le sentiment du bien et du mal : notre cœur nous fait saisir les principes généraux sur lesquels repose toute la loi morale et sans la connaissance desquels toute vie sociale serait impossible : mais notre raison, « cette belle raison corrompue, a tout corrompu ». Ibid. La règle du bien et du mal dépend évidemment du souverain bien qui n’est autre que Dieu, fr. 434, cf. fr. 438 ; or, « pour les philosophes, 288 souverains biens », fr. 74 bis ; elle est suspendue d’autre part à l’immortalité de l’âme, donc à la destinée de l’homme ; loc. cit., or, « les philosophes ont conduit leur morale indépendamment de cela ». Fr. 219. Dès lors, tout dogmatisme moral purement rationnel « manque d’un point fixe », fr. 383 ; et « la vraie morale » a toute raison de se moquer « de la morale » qui repose sur le raisonnement. Fr. 4. C’est parce que « les théologiens et les religieux » de ce temps, se fiant à leur seule raison, n’ont plus écouté la tradition, que « la corruption de la morale est aux maisons de sainteté et dans les livres où elle ne devrait pas être ». l’e lettre à Mlle de Roannez, t. v, p. 406.

3. Jésus-Christ seul peut aujourd’hui, après la chute, nous faire connaître la véritable loi morale. « Par Jésus-Christ et en Jésus-Christ, on enseigne la morale. » Fr. 547.

4. Si l’on considère la règle morale posée par Jésus-Christ par rapport aux règles posées par les deux morales rationnelles dont Épictète et Montaigne sont les représentants autorisés, la morale chrétienne apparaît comme i’union de ces deux systèmes qui semblent se contredire « en une sagesse véritablement céleste ». Épictète et Montaigne « ne pouvaient subsister à cause de leurs défauts », Épictète « ignorant la corruption de la nature l’a traitée comme saine et sans besoin de réparateur, ce qui le mène au combe de la superbe » : Montaigne, « éprouvant la misère présente et ignorant la première dignité, traite la nature comme nécessairement infirme et irréparable, ce qui le précipite dans une extrême lâcheté ». Entrelien, t. iv, p. 54.

Ces contraires, l’Évangile les accorde pi.rce qu’il les place en des sujets différents ; « tout ce qu’il y a d’in-