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PASCAL. LES PENSÉES, IIe PARTIE


hommes, c’est à ceux-ci qu’il faut recourir pour en avoir la tradition ». Fr. 620. « La loi par laquelle ce peuple est gouverné est tout ensemble la plus ancienne loi du monde, la plus parfaite et la seule qui ait toujours été gardée sans interruption dans un État. » Fr. 620, cf. fr. 619. « Sa religion apparaît toute divine dans son autorité, dans sa durée, dans sa perpétuité, dans sa morale, dans sa conduite, dans sa doctrine, dans ses effets. » Fr. 737.

Ce peuple, au milieu de « cette inconstante et bizarre variété de mœurs et de créances dans les divers temps », fr. 619, « a subsisté tel, avec ses caractères essentiels », jusqu’à nos jours, contrairement à « l’ordre naturel » et « malgré les tentatives de tant de puissants rois ». C’est qu’il avait à remplir une mission divine.

Cette mission il l’a toujours revendiquée : « Ceci est effectif. Pendant que tous les philosophes se séparent en différentes sectes, il se trouve en un coin du monde des gens qui sont les plus anciens du monde, déclarent que tout le monde est dans l’erreur, qu’ils sont les seuls du monde auxquels Dieu a révélé ses mystères, que tous les hommes sont corrompus et dans la disgrâce de Dieu, mais qu’il viendra un libérateur, qu’ils sont au monde pour l’annoncer, qu’ils sont formés exprès pour être les hérauts de ce grand événement. » Fr. 6f8 et 619. Et ce programme ils l’ont rempli et le remplissent encore.

Partout ils ont porté avec eux « avec amour et fidélité », fr. 631, le livre qui explique les énigmes du monde et de l’homme. C’est « le plus ancien livre du monde et le plus authentique ». Fr. 618, cf. fr. 619. Moïse en est l’auteur : « Sem, qui a vu Lamech qui a vu Adam, a vu aussi Jacob qui a vu ceux qui ont vu Mcïse : donc le déluge et la création sont vrais. Cela conclut entre de certaines gens qui l’entendent bien. » Fr. 625. Et « durant 1 600 ans ils ont eu des gens qu’ils ont crus prophètes, qui ont prédit le temps et la manière », où l’on verrait vivre et mourir le Libérateur. C’est Moïse encore qui commence la série : « La tradition d’Adam était encore nouvelle en Noé et à Moïse », fr. 616 ; « 400 ans après, ils ont été épars partout, parce que Jésus-Christ devait être annoncé partout. » Fr. 618. Enfin « Jésus-Christ est venu en la manière et au temps prédits ». Ibid. Les Juifs l’ont crucifié, mais ils n’ont pas cessé de subsister en leurs traits essentiels et de lui rendre témoignage : « C’est une chose étonnante et digne d’une étrange attention de voir ce peuple juif subsister depuis tant d’années et de le voir toujours misérable : étant nécessaire pour la preuve de Jésus-Christ et qu’il subsiste pour la prouver et qu’il soit misérable puisqu’ils l’ont crucifié : et quoiqu’il soit contraire et d’être misérable et de subsister, il subsiste néanmoins toujours, malgré sa misère. » Fr. 640 ; cf. Bossuet, lor. cit., II" partie, La suite de la religion, c. xxi : « J’ai travaillé à vous faire voir la suite des conseils de Dieu dans la perpétuité de son peuple ; » cf. c. xxvii. Voir Mignot, La Bible et les religions, dans Correspondant, 25 décembre 1907, p. 1041 sq.

li) Le Christ de l’histoire a les traits de Dieu. — On ne connaît pas Jésus-Christ, on ne l’atteint par la foi que par la charité ou l’inspiration. Mais Pascal, s’adressant toujours à la seule raison, entend ici démontrer par l’histoire et par l’expérience des âmes que Jésus-Christ a tous les traits et l’action de Dieu. « Quel homme eut jamais plus d’éclat ? Le peuple juif tout entier le prédit avant sa venue. Le peuple gentil l’adore après sa venue. Les deux peuples, gentil et juif, le regardent comme leur centre. » Fr. 792. Et en effet, parce qu’en lui toutes les prophéties et toutes les figures se sont réalisées, jusqu’à la façon de mourir, fr. 701, et qu’il se présente ainsi comme le Messie, il est vraiment le centre de la religion, commencée aux

premiers jours et destinée à durer autant que l’humanité ; et, comme la Providence a conduit l’humanité en fonction du Messie, il est vraiment le centre du monde.

Ses miracles font également de lui un être unique. « Si vous ne croyez en moi, croyez au moins aux miracles. Il les renvoie comme au plus fort. » Fr. 839. Mais, « quand il n’y aurait point de prophéties pour Jésus-Christ, et qu’il serait sans miracles, il y a quelque chose de si divin dans sa doctrine et dans sa vie qu’il en faut au moins être charmé », fait dire à Pascal Filleau de La Chaise, t.xii, p. ccxxv. On lit, en effet, dans l’Apologie : « Jésus-Christ a dit les choses grandes si simplement qu’il semble qu’il ne les a pas pensées, et si nettement, néanmoins, qu’on voit bien ce qu’il en pensait. Cette clarté jointe à cette naïveté est admirable. » Fr. 797, cf. fr. 798 et Sainte-Beuve. Nouveaux lundis, t. iii, Les saints évangiles. Et « qui a appris aux évangélistes les qualités d’une âme parfaitement héroïque pour la peindre si parfaitement en Jésus-Christ ? » Fr. 800. « Jésus-Christ est un Dieu dont on s’approche sans orgueil et que l’on sert sans désespoir. » Fr. 528.

Enfin, comme on l’a vii, c’est « par Jésus-Christ et en Jésus-Christ » que l’homme est éclairé sur les choses qui l’intéressent davantage, que « l’on prouve Dieu et que l’on enseigne la morale et la doctrine Fr. 547. Pour saisir la portée de son action il n’y a qu’à se souvenir des profondes transformations opérées dans le monde par son enseignement et son exemple, cf. fr. 724 et 772, et à mesurer la sainteté, la hauteur et l’humilité d’une âme chrétienne. Fr. 289.

Mais cette grandeur du Christ est de l’ordre de la charité. « Qu’on considère cette grandeur-là dans sa vie, dans sa passion, dans son obscurité, dans sa mort : dans l’élection des siens, dans leur abandon, dans sa secrète résurrection et dans le reste, on verra qu’il a bien tout "l’éclat de son ordre ». Mais, si « jamais homme n’a eu tant d’éclat, jamais homme n’a eu tant d’ignominie ». Fr. 792. Il a dédaigné les grandeurs des ordres de la chair et de l’esprit. Et « cela est encore une marque de sa vertu surhumaine » : « Tout cet éclat n’a servi qu’à nous, pour nous le rendre reconnaissable et il n’en a rien eu pour lui. » Ibid. Et cela a été également voulu par Dieu qui a rendu ainsi « le Messie connaissable aux bons et méconnaissable aux méchants », fr. 758, c’est-à-dire, à ceux dont le cœur est ainsi corrompu « qu’ils ne peuvent admirer que les grandeurs charnelles ou les spirituelles. Que « Josèphe. ni Tacite, ni les autres historiens n’aient pas parlé de lui, tant s’en faut que cela fasse contre, cela fait pour ». Fr. 787. « Jésus-Christ dans une obscurité (selon ce que le monde appelle obscurité) telle que les historiens, n’écrivant que les importantes choses des États, l’ont à peine aperçu. » Fr. 786. Plus tard, « sa re.igion a fait grand bruit et ces gens-là ne l’ignorent pas, mais ils l’ont celé à dessein ou bien ils ont parlé et on l’a supprimé ou changé ». Fr. 787.

i) L’établissement de l’Église malgré ses impossibilités humaines. — « La religion est proportionnée à toutes sortes d’esprits. Les premiers s’arrêtent au seul établissement et cette religion est telle que son seul établissement est suflisant pour en prouver la vérité. Les autres vont jusqu’aux apôtres. » Fr. 285.

L’Église n’est pas une idée des apôtres réalisée grâce à la légende de Jésus-Christ ressuscité. « Les apôtres ont été trompés ou trompeurs ; l’un et l’autre est difficile, car il n’est pas possible de prendre un homme pour être ressuscité… Si Jésus-Christ ne leur es1 apparu, qui les a fait agir ? » Fr. 802. Car « l’hypothèse des apôtres fourbes est bien absurde. Qu’on la suive tout au long : qu’on s’imagine ces douze hommes assemblés après la mort de Jésus-Christ faisant le complot de dire qu’il est ressuscité. » Fr. 801. Qu’on